« Le Misanthrope » de Michel Fau se lit à la dérive des âmes
par Theothea.com
mercredi 12 février 2014
Jamais, à notre époque, cette comédie de Molière n’a-t-elle été mieux entendue et psalmodiée au rythme des alexandrins que grâce à cette mise en scène de Michel Fau dirigeant une interprétation chorale, à la fois déclamatoire, baroque et surtout éminemment « pédagogique ».
- LE MISANTHROPE
- photo © MARCEL HARTMANN
A l’instar de Sarah Bernhard s’adressant de manière emphatique autant aux galeries qu’aux rangs de l’orchestre, ici dans cette jauge de 326 places, de telles envolées lyriques fusent au gré des répliques atrabilaires ou à fleur de peau alors que d’autres confidences peuvent aussi s’effectuer Mezzo voce.
C’est un véritable régal que de voir cette troupe costumée et bigarrée à saturation du XVIIème siècle, éclairée et maquillée comme à kitsch land ainsi que décalée dans le temps comme si les fouilles archéologiques d’Alceste avaient mis à jour sa fratrie originelle, sur un registre complètement fantasmatique.
Au cœur de l’enjeu amoureux en transes métaphysiques, Julie Depardieu y trône comme une coquette égarée dans le délire séducteur alors qu’à proximité, Edith Scob lâche les chevaux du cynisme, de la médisance voire de la folie érigée en art de vivre. A contrario, pour faire bonnes mesures d’élégance du cœur et de l’âme, Laure-Lucile Simon y impose une aura aristocratique, tempérée et néanmoins sans appel.
Face à ce trio féminin emblématique, mais à peine caricatural, Michel le chef de bande menacé, à quelques périodes dans la vraie vie, du désir de misanthropie absolue, se soigne allègrement dans la distanciation géniale du rôle de composition, à la fois hors normes et pourtant si proche de la névrose paranoïaque collective.
Jean-Pierre Lorit et Jean-Paul Muel l’entourent d’effusions transgressives paradoxales tellement attentionnées ou fantasques qu’elles permettent à ce meneur de jeu de ne jamais en faire trop, tant les autres s’en chargent pour lui :
Roland Menou, Frédéric Le Sacripan, Fabrice Cals veillent au grain de folie en orbite active, corrigeant le tir rival au moindre décalage de trajectoire fumeuse.
Aussi, dans cette distribution où le déjantement contrôlé est le maître mot de la dépression comportementale généralisée menaçant l’humanité, c’est par fusées d’artifices complètement réglées en contre-feu de la raison amoureuse que tous oeuvrent au énième degré de l’humour pour rendre (in)supportable la vie avec leurs semblables.
S.O.S. ! Save Our Souls, Michel Fau !
photo © MARCEL HARTMANN
LE MISANTHROPE - **** Theothea.com - mise en scène Michel Fau - avec Julie Depardieu, Michel Fau, Edith Scob, Jean-Pierre Lorit, Jean-Paul Muel, Laure-Lucile Simon, Roland Menou, Frédéric le Sacripan & Fabrice Cals - Théâtre de L'Oeuvre