Le mystère d’un spectacle
par C’est Nabum
mercredi 10 avril 2013
Le Bonimenteur n'a rien compris
L'originalité n'est pas suffisante.
Il m'a été donné d'assister tout à fait par hasard à un étrange spectacle qui m'a laissé perplexe et tout à fait interrogatif. Il est surprenant de se voir ainsi signifier son manque de perspicacité, d'ouverture ou simplement d'intelligence. Car, comment pourrait-il en être autrement, c'est le spectateur qui faire l'effort de la compréhension. C'est du moins ainsi que l'on présente le plus souvent les choses dans les milieux éclairés.
Reprenons tout depuis le début pour tenter d'éclairer votre lanterne de l'obscurité qui est la mienne. Une caravane d'un vieux modèle, arrive tractée par des hommes et des femmes tout de noir vêtus. Ils arrivent à notre hauteur, garent leur étrange engin. Ils le calent et ouvrent la porte pour en sortir seize parapluies et 6 tubes d'un mètre cinquante.
Songe aux pensées des autres qui sans cesse te frôlent et que tu n'entends pas. À cette musique folle qui t'entoure sans te prendre et te reste étrangère. - Valérie Catherine Richez
Les parapluies sont gravés de la marque « L'aurillacoise », nous devinons qu'il y a un clin d'œil au théâtre de rue. Ceci est encore dans nos cordes. Chaque personnage prend par la main deux spectateurs pour les entraîner sur un sentier. Tous se passe lentement, sans un mot. Ils ouvrent les parapluies et les posent sur l'herbe.
Toujours dans le silence, ils font comprendre aux gens qu'ils doivent s'asseoir sur le parapluie, noir, lui aussi, vous l'auriez deviné. Il fait un vent glacial, rapidement la pose va devenir désagréable. Il ne se passe rien pour l'instant. Nos étranges oiseaux funèbres se déplacent parmi nous, agitent un éventail … Que va-t-il se passer ? Pour l'heure, la curiosité l'emporte sur l'exaspération.
Disposer le ciel en bouquets, égrener ses parfums, tenir quelques heures la beauté contre soi et se réconcilier. - Jean Michel Maulpoix
Puis, mystérieusement, l'un après l'autre, nos fantomatiques compagnons viennent placer l'extrémité de leur tube tout près de l'oreille d'un spectateur assis. Ils susurrent à travers le tuyau ce qui ne peut être entendu que par un seul. Six personnes écoutent alors attentivement ce que nous ne savons pas encore. Nous attendons notre tour, pour savoir, nous aussi …
Cela finit par arriver avec un peu de patience et beaucoup de frissons. Une voix uniforme, un ton sans variation, un débit d'une extrême lenteur vient glisser à une oreille qui ne saisit pas toutes les paroles, un texte poétique, complexe, évanescent. Le diseur, avant que d'aller souffler dans une autre oreille, vous glisse un petit papier jaune. Un texte de deux lignes d'une plume célèbre ajoute à votre perplexité.
Imagine si ceci / un jour ceci / un beau jour / imagine si un jour / un beau jour / ceci cessait / imagine. - Samuel Bekett
Le temps se fige, le même mécanisme se renouvelle ainsi. Chaque spectateur aura deux ou trois textes. Il est bien difficile de se souvenir de ce message. Les circonstances ne se prêtent guère d'ailleurs à la mémorisation. Puis la troupe regroupe leurs si patients auditeurs, pour quelques pas plus loin, former un magma de parapluies et d'humains serrés les uns contre les autres.
Encore une fois, le rituel du tuyau à poésie se remet en action. Cette fois, la séance est moins longue. Tous n'auront pas l'honneur d'un message au creux de l'oreille. Les agents de la pompe littéraire funèbre se remettent en marche sans nous, cette fois. Ils font une haie d'honneur puis retournent à leur caravane.
Tout le long de la muraille que nous habitons, il y a des mots immenses, qui sont en attente de nous – Màrio Césariny
Ils s'en vont comme ils sont venus ; sans un mot, sans un sourire. Visages figés, mines lugubres, déplacements robotiques. Que faut-il comprendre ? Que fallait-il faire ? Ni applaudissements ni échanges. Un spectacle purement visuel au plan collectif. Des textes qui ne se donnent qu'à une personne à la fois.
C'est la négation du spectacle vivant. C'est un enterrement en première classe du sens qui échappe, du plaisir du partage collectif. Une heure de silence pour trois ou quatre minutes de paroles au creux d'un tuyau. Je ne peux me satisfaire de la remarque de mes voisins : « C'est original ! » Oui, mais que fallait-il comprendre ?
Toute couleur, toute ma vie naît d'où le regard s'arrête. Ce monde n'est que la crête d'un invisible incendie – Philippe Jaccottet
Ils sont partis, il ne reste que des images fugaces, du noir et des silence, des trognes qui s'en sont retournés vers un ailleurs où vous n'êtes pas conviés. Il n'y aura pas d'échange avec eux. Ils vous laissent à votre incompréhension. J'en suis navré.
Stupidement leur