Le réalisme de Millet ou quand l’âme y est

par Taverne
lundi 12 novembre 2012

Fondateur avec Gustave Courbet du courant réaliste, Jean-François Millet n'a pas exclu de son oeuvre toute transcendance, contrairement à Courbet auquel on reprocha notamment son "Enterrement à Ornans". Eduqué - ou plutôt éclairé - par un oncle prêtre, Millet partagea la condition des paysans et leurs croyances. L'Angélus est l'oeuvre emblématique qui dépeint avec réalisme le quotidien de paysans mais ne rejette pas l'idée d'un Au-Delà.

Le réalisme habité de Millet

Gustave Courbet, et plus encore Honoré Daumier, déformaient les visages ou les effaçaient : voir par exemple chez Daumier "Les Mendiants", "La Blanchisseuse". Les visages des "Casseurs de pierre" de Courbet étaient cachés au regard du spectateur. Si Millet fut bel et bien influencé par Daumier et Courbet, si comme eux il s'appliqua à peindre le réel, il ne se départit pas de l'idée de représenter l'âme des gens et leurs visages. Quand les visages sont peu visibles, les personnages s'expriment néanmoins par leur posture et leurs gestes. Voir ci-dessus l'Angélus, par exemple.

Le réalisme de Millet n'écarte pas toute spiritualité. L'Angélus en est la preuve. Avec l'excuse de chercher à représenter le rythme de la vie au champ plus que la religiosité. « L'Angélus est un tableau que j'ai fait en pensant comment, en travaillant autrefois dans les champs, ma grand-mère ne manquait pas, en entendant sonner la cloche, de nous faire arrêter notre besogne pour dire l'angélus pour ces pauvres morts » disait Millet.

Mais Millet est-il un peintre réaliste au sens strict du terme ? Cela se discute. Certes, il n'a pas recours aux effets, à l'idéalisation, à l'exaltation. Mais sa manière de peindre est bien distincte de celle de Daumier et de Courbet. Il préfigure le mouvemennt symboliste...



Du paysan éclairé au peintre de Barbizon

"Les Glaneuses"

Millet rejettait la ville et le modernisme. C'est un homme de racines. Installé à Barbizon en 1849, il resta cependant en marge du groupe des peintres qui vivaient là. C'est à Barbizon qu'il fera de la peinture des champs sa spécialité. Les champs, il connaît. Millet est un fils de paysans. Il sera lui-même berger dans son enfance et plus tard laboureur. Mais c'est un paysan éclairé : il bénéficie de la culture d'un oncle, un curé lettré.

Fier de ses origines paysannes, il laisse transparaître dans ses oeuvres un peu de l'orgueil du salaire gagné à la sueur de son front. Cela n'est pas du goût de tous, en particulier du critique bohème Charles Baudelaire. Voici la critique féroce de Baudelaire dans les Curiosités esthétiques :

« M. Millet cherche particulièrement le style ; il ne s'en cache pas, il en fait montre et gloire. Mais une partie du ridicule que j'attribuais aux élèves de M. Ingres s'attache à lui. Le style lui porte malheur. Ses paysans sont des pédants qui ont d'eux-mêmes une trop haute opinion. Ils étalent une manière d'abrutissement sombre et fatal qui me donne l'envie de les haïr. Qu'ils moissonnent, qu'ils sèment, qu'ils fassent paître des vaches, qu'ils tondent des animaux, ils ont toujours l'air de dire : "Pauvres déshérités de ce monde, c'est pourtant nous qui le fécondons ! Nous accomplissons une mission, nous exerçons un sacerdoce !" Au lieu d'extraire simplement la poésie naturelle de son sujet, M. Millet veut à tout prix y ajouter quelque chose. Dans leur monotone laideur, tous ces petits parias ont une prétention philosophique, mélancolique et raphaélesque. Ce malheur, dans la peinture de M. Millet gâte toutes les belles qualités qui attirent tout d'abord le regard vers lui. »

Mais Millet n'aimait pas autre chose que ce monde-là, celui de la terre et de la peine que l'on met à l'ouvrage : "Ce que je connais de plus gai, c'est ce calme, ce silence dont on jouit délicieusement ou dans les forêts ou dans les endroits labourés (...). Vous voyez des figures bêchant, piochant. Vous en voyez une de temps en temps se redressant les reins, comme on dit et s'essuyant le front avec le revers de la main : Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front (...). C'est cependant là que se trouve pour moi la vraie humanité, la grande paix... "

Et quand, le 20 janvier 1875 à l'âge de 61 ans, Millet meurt, il dira encore ces mots : "C'est dommage j'aurais pu travailler encore !". Le travail, toujours et encore ! Mais ce n'est déjà plus le fruit du travail qui fait les fortunes, c'est la spéculation ! Alors qu'il est mort pauvre, les spéculateurs - marchands et amateurs d'art - s'emparèrent de ses toiles après sa mort.

La vidéo commence par l'Angelus et le son de cloches correspondant. Trois coups comme au théâtre, mais répétés trois fois. Sauf qu'ici, nous ne sommes pas au théâtre, mais dans la réalité paysanne...

 


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