Le retour de Tom Cruise : mission impossible ?

par Vincent Delaury
vendredi 16 décembre 2011

Le super espion Ethan Hunt revient sous les traits de Tom Cruise pour la 4e fois dans Mission : Impossible – Protocole Fantôme. Ce coup-ci, après avoir été accusée d’avoir fomenté un attentat contre le Kremlin à Moscou, rien que ça !, l’agence Mission Impossible est sur la sellette. Sans ressources et sans argent, les membres du groupe – Hunt et ses trois derniers agents – déclenchent alors le protocole Fantôme, ce dispositif undercover leur permettant de continuer à travailler en dehors de la matrice officielle. D’où, sur les affiches promotionnelles, l’aspect bad boy de Cruise, encapuchonné et mâchoires serrées. Et cette image a valeur en quelque sorte de synecdoque pour la trajectoire de l’acteur dans la vie réelle (sex-symbol des années 90 devenu secte-symbole au milieu des années 2000) : il revient, sous un jour nouveau (par la petite porte, en contrebande, ou « sous le manteau »), et la partie n’est pas gagnée.

Veut-on encore de lui ? N’est-il pas temps pour lui, à Hollywood, de passer le relais ? D’ailleurs, ce quatrième volet fait la part belle à son acolyte William Brandt (Jeremy Renner). C’est même celui-ci qui bénéficie de l’un des gimmicks de la série : être suspendu dans l’air pour régler des problèmes d’ordre technique. Alors, Tom Cruise*, fini ? Has been ? Que nenni ! Il est très bon, dans le film de Brad Bird, comme à son habitude. Telle une mécanique plaquée sur du vivant. On aime aussi les stars américaines, héritières la plupart du temps de l’Actors Studio, pour ça : elles ne jouent pas qu’avec la tête, elles ont une présence organique, ayant fait de leurs corps-même un outil dressé pour être filmé sous toutes les coutures. TOUT joue chez Cruise, au millimètre près : de sa mâchoire crispée à un salut de la main jusqu’à la moindre mèche dépassant de sa tignasse opulente ! Et l’animal sait tout faire ! Tom « Superman » Cruise, question action pure, est l’homme de la situation. Le clou du film c’est sans aucun doute, comme on l’a lu partout, la scène désormais fameuse de l’escalade de la plus haute tour du monde, la tour Burj Khalifa de Dubaï, aux Emirats Arabes Unis. C’est le plus haut gratte-ciel du monde avec ses 828 mètres de hauteur ! Lorsqu’on voit le petit corps râblé de la star, du haut de son 1 mètre 70, crapahuter au sommet de cette tour vertigineuse, c’est un réel plaisir pour l’œil (les images, d’un piqué saisissant, sont superbes, impressionnantes), et ça l’est d’autant plus qu’on sait la star américaine casse-cou : Tom Pouce a tourné sur la façade du building, suspendu à plusieurs centaines de mètres d’altitude, sans trucages ni doublures. Chapeau l’artiste.

Comme l’écrivait Jacques Rivette, « Tout film est un documentaire sur son propre tournage ». Ici, avec cette scène d’escalade, qui est un mélange convaincant de prises de vue réelles et d’effets visuels, on devine le tour de force. On prend plaisir à regarder Cruise à l’écran comme c’était le cas pour Jean Marais et Belmondo, auteurs de leurs propres cascades. Bref, au rayon du cahier des charges, il est indéniable que, question effets spéciaux et plaisirs pyrotechniques reprenant avec une certaine désinvolture les codes des blockbusters, l’acteur-star de Mission : Impossible – Protocole Fantôme, ainsi que son cinéaste Brad Bird et son producteur J.J. Abrams (auteur du précédent film de la franchise), ne volent pas l’argent des spectateurs. Tant mieux. En outre, et c’est un plus pour lui, ce Protocole Fantôme ne manque pas d’humour, voire d’auto-ironie. Notamment en ce qui concerne les running gags autour d’engins high-tech qui ne fonctionnent pas comme il faut : un comble dans une franchise qui a fait de la technologie de pointe l’un de ses fers de lance pour épater la galerie. Protocole Fantôme, sans jamais atteindre le maniérisme flamboyant du 2ème, réalisé par John Woo (2001), fait preuve, pour un blockbuster, d’une certaine élégance. Il a un côté ligne claire, grosse BD luxuriante et pop, avec une pointe de désenchantement (on retrouve un peu de la noirceur du Cruise croisé chez Spielberg : Minority Report et La Guerre des mondes), ce qui n’est pas pour nous déplaire.

On sent le travail dans Mission : Impossible – Protocole Fantôme. C’est de la belle ouvrage comme on dit, images chiadées et scénario ciselé, même si on n’est pas dupe de toute la machinerie commerciale qu’il y a derrière. Autour de Tom Cruise, on peut passer le temps en devinant le potentiel du film à l’international (de Dubaï à Mumbaï via Vancouver, Prague, Moscou) et en comptant les multiples placements publicitaires qui s’y trouvent : de la myriade de téléphones cellulaires dernier cri en passant par Coca-Cola et autres bolides BMW équipés du système « ConnectedDrive » (système de communication embarqué made in BMW). Du côté de Tom Cruise, il fait le boulot, c’est indéniable. Ca se confirme quand on parcourt la presse, même si là encore on n’est pas dupe du service après-vente véhiculé par des articles au bord du publi-reportage. Dans Métro n°2121 (décembre 2011), Jeremy Renner ne tarit pas d’éloges sur Cruise, à la fois producteur et partenaire : « Il a dix ans de plus que moi et il bosse 72 heures par jour, moi à peine 20. Par moments, je le voyais comme un type expérimenté, attentif à tous les aspects du tournage. A d’autres comme un ado dans un corps d’adulte, prêt à réaliser les cascades les plus folles. [L’ascension de la plus haute tour du monde à Dubaï ?] Je n’aurais pas pu, j’ai le vertige.  » Et la jeune, et ô combien sexy, Française du film, Léa Seydoux, d’enchaîner dans Be n°90 (9 décembre 2011) : « (…) Tom Cruise, bien sûr : un acteur fascinant – selon moi l’un des meilleurs du monde. Il peut tout interpréter. Au départ, il me faisait un peu peur : sur le plateau, c’était lui le chef, plus que le réalisateur ou les producteurs. Il a même choisi mon costume ! Mais c’est aussi un homme d’une extrême gentillesse. Sans oublier sa capacité de travail, impressionnante, comme celle de Paula Patton [qui tient l’autre rôle féminin dans le film]  : ils ont tous les deux enchaîné pendant six mois des journées de travail de quatorze heures, extrêmement physiques. Je ne crois pas être capable d’une telle endurance. » 

Tom Cruise, un acteur fascinant. Oui, je suis d’accord avec la jolie boudeuse Léa Seydoux. Si l’on met de côté son détestable prosélytisme envers l’église de scientologie, à fuir à toute berzingue, on s’apercevra que l’homme, s’il n’est semble-t-il pas passionnant dans la vie de tous les jours (on le dit comme étant le numéro 2 de la scientologie, véritable bras droit de ce mouvement sectaire, en vue de faire son apologie all over the world), est devenu, au fil du temps, un acteur remarquable, sachant varier les registres et les interprétations. Qu’il est loin le temps du bellâtre lisse de Top Gun (1985) ! Depuis, Tom a pris du galon, il faut dire qu’il a travaillé avec les meilleurs : Outsiders de Coppola, La Couleur de l’argent de Scorsese, Né un 4 juillet d’Oliver Stone, Mission : Impossible de Brian De Palma, M : I 2 de John Woo, Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick, Magnolia de Paul Thomas Anderson, Collateral de Michael Mann, Minority Report et La Guerre des mondes de Spielberg et on en passe. Franchement, quel acteur contemporain peut se vanter d’une telle filmographie ? Très peu. On apprécie aussi chez lui, même si l’on devine que c’est en partie pour redorer son blason auprès d’un public qui se méfie de ses affres médiatico-sectaires, le registre comique qu’il déploie depuis quelque temps. On peut évoquer le gourou du sexe survolté, et poilant, qu’il incarne dans Magnolia bien sûr, mais on remarque également que… « La Cruisière s’amuse » un max dans le genre populaire de la comédie. L’auto-ironie est à l’œuvre, lorsqu’il casse son image de sex-symbol bankable au sourire bright et aux cheveux lisses, en incarnant le producteur vulgaire et vantard Les Grossman dans Tonnerre sous les Tropiques (2008) de Ben Stiller. Ce personnage à succès, il l’incarne deux ans plus tard sur scène aux MTV Movie Awards (cf. photo ci-jointe). Auto-ironie que l’on retrouve, en 2010, dans le blockbuster bigger than life, et volontairement too much, Night & Day de James Mangold. Cruise devrait également nous surprendre – en tout cas on l’espère, au vu des visuels déjà diffusés sur Internet – dans ses prestations à venir que sont Rock of Age et One Shot, à l’affiche en 2012. Et, pour conclure, Mission : Impossible – Protocole Fantôme est, selon moi, un bon film d’action. Même si l’on sent que la franchise devrait s’arrêter là car elle finit par trop lorgner sur James Bond ; c’est du 4 sur 5 pour moi. Ce quatrième numéro étant en dessous du minimalisme kubrickien déployé avec brio par le maniériste De Palma, dans le tout premier (1996), et du lyrisme glamour de celui estampillé John Woo, mais au-dessus du 3e, signé J.J. Abrams (2006), un peu trop télévisuel, pyrotechnique standard et sans âme à mon goût. Bon, maintenant, à vous chers lecteurs, de vous faire votre opinion en vous engouffrant dans une salle obscure pour suivre les dernières courses-poursuites feuilletonesques de Tom… Crise.   

* Photo de l’auteur de l’article (polaroid, portrait de Tom Cruise, Paris, © 2004).

 

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