Le sourire de la Joconde : l’art et l’illusion

par Emile Mourey
lundi 18 février 2008

Mystérieux, énigmatique, insondable, le sourire de la Joconde fascine, ensorcelle, hypnotise. Quel secret Léonard de Vinci a-t-il caché dans le sourire de Monna Lisa ? Et si ce secret n’était qu’un secret d’atelier, une technique, une recette, un procédé comme il s’en transmettait autrefois de nombreux dans les ateliers des maîtres ?

Enquête sur un sourire.
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Lettre imaginaire adressée à Léonard de Vinci, depuis Venise, par le jeune Salaï de sa maisonnée (extrait d’un de mes ouvrages).

Il règne à Venise une incroyable atmosphère de Venisolâtrie. Le carnaval y dure des mois durant. C’est une véritable folie. Des enfants habillés en bouffons courent dans les rues. Coiffés d’un chapeau à trois pointes, une grande cape sur les épaules, des jeunes gens échangent des regards amusés avec des jeunes femmes vêtues de gaze et portant masque. D’autres se déguisent en clowns et s’amusent à lancer avec une fronde des œufs remplis d’eau de rose à toutes les femmes qu’ils trouvent belles. L’idylle y est à l’honneur comme l’amour libertin. Les habitants ont fait de Venise la cité de tous les plaisirs.

L’homme qui monte est Titien. La foule afflue devant le palais des Doges pour voir la Flore qu’il vient de peindre. J’ai voulu la voir, moi aussi, car j’ai le sentiment qu’il est au courant de votre oeuvre. Il veut vous faire concurrence. On dit que dans cette peinture, il aurait réussi à réunir les deux visages de l’Amour.
Le portrait, en demi-figure comme sur votre tableau, est celui d’une femme très belle, au profond décolleté, somptueusement vêtue de couleurs chaudes et fortes qui se juxtaposent et se mêlent en une riche harmonie.



Le sourire est le point central. C’est un sourire à la fois moqueur et attirant. Il est moqueur dans la joue droite du fait de la subtile influence qu’exerce sur la bouche l’œil malicieux qui regarde en coin. En revanche, dans la joue gauche, il est pur, naïf et attirant.


Les deux côtés du visage sont très différents l’un de l’autre. Le côté gauche est celui d’une jeune ingénue. Le côté droit, avec sa joue très légèrement empâtée, est celui d’une ‘’bohémienne’’ rouée et experte dans tous les jeux de l’amour.
L’effet est très curieux car lorsqu’on croise son regard, même si la bouche paraît gourmande, on hésite, suivant qu’on fixe un oeil plutôt que l’autre, entre une grande courtisane et une jouvencelle.
Du côté ‘’jouvencelle’’, l’accroche-cœur de l’abondante chevelure reste discret ; du côté ‘’péripatéticienne’’, il se prolonge par une tresse insidieuse qui caresse l’épaule dénudée, puis suit la dentelle du décolleté jusque vers le creux de la gorge.
Le bras, du côté gauche, dans un geste élégant et discret, présente ostensiblement dans sa main ouverte la couronne en fleurs d’oranger des vierges.
Du côté droit, le bras droit, nu, à l’image de la gorge déshabillée de tout collier, émerge de l’ample vêtement mordoré. Avec nonchalance, la séductrice l’appuie mollement sur un voluptueux coussin brodé dont la couleur rouge vibre au contact du velours vert de la cape et dont les deux coins sont ornés de glands.

L’un se devine dans l’ombre, dans la main qui l’enserre ; l’autre pend sur le bord de la table... un gland décoré de passementerie fine.
Derrière, à l’arrière-plan, le spectateur se demande ce que l’Amour veut lui faire comprendre par son index tendu. De toute évidence, si l’on tient compte des lois de l’optique, ce n’est pas l’enfant qui se reflète dans la glace, mais moi. Ces yeux concupiscents de l’Amour, cette bouche sensuelle à demi ouverte, ces joues en feu, c’était mon désir. Alors, je me suis approché pour saisir le fruit dans le merveilleux médaillon rond à la chaude couleur agrafé sur l’épaule gauche et d’où goutte une perle.
Oubliant le triste monde qui m’entoure, je suis entré dans le tableau. Je me suis enfoncé avec délice dans le rubis d’une chair rouge pourpre aux huit facettes qui ne demandait qu’à s’ouvrir et, au moment suprême, on m’a poussé sur le côté et je me suis retrouvé par terre.

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Extrait d’un de mes ouvrages dans lequel j’essaie, en m’inspirant de ses écrits, de retrouver la pensée de Léonard.

Avant de peindre le tableau de la Gioconda (la Joconde), celui que j’ai ramené à Cloux, j’ai décidé de procéder par étapes, en suivant une démarche scientifique.
J’ai demandé à Salaï de poser, le buste nu, et je l’ai peint sans autre façon en le représentant en être androgyne, c’est-à-dire indifférencié donc imparfait. Puis, pendant un certain temps, je me suis interrogé sur l’ensemble et sur tous les détails qui ne me convenaient pas. La nuit, le jour, l’image se modifiait dans mon esprit. La pose, le fond du tableau, des détails comme le pont. Du flou émergeaient des formes de plus en plus harmonieuses, des meilleurs fondus et, surtout, une atmosphère.
A cette époque, je me trouvais à Florence et j’y revenais occasionnellement lors de mes séjours à Milan et à Rome. Francesco del Giocondo était mon ami. Je me rendais fréquemment chez lui et je lui avais fait part de mon projet.
Monna Lisa, non seulement, est belle, mais il se trouve en elle tellement de qualités et de vertus que je ne pouvais pas espérer de meilleur modèle pour essayer d’exprimer tout ce qu’il y a de plus profond dans une femme.
Lorsque j’estimai que ma première phase de réflexion avait porté ses fruits, j’ai demandé à Francesco qu’il autorise son épouse à poser de nouveau pour moi.
J’ai parlé également de mon projet de tableau à Julien de Médicis qui a bien voulu m’en passer commande.
Pendant tout le temps où Monna Lisa posait, je faisais jouer de la musique par un orchestre que j’avais spécialement fait venir dans la grande salle où j’avais dressé mon chevalet. Tantôt je faisais jouer un air triste, et je peignais son côté droit mélancolique, tantôt je faisais jouer un air gai et je peignais son côté gauche.

Note  : les photos sont de l’auteur. Les tableaux représentés sont la propriété d’un collectionneur privé qui m’a donné l’autorisation de les reproduire. Pour écrire l’ouvrage d’où ce texte est extrait, je me suis beaucoup inspiré de l’ouvrage de Serge Bramly intitulé Léonard de Vinci, biographie. Par exemple : Vasari, évoquant le fameux sourire de la Joconde, confirme que le Vinci s’entoure, durant les séances de pose, de musiciens, de chanteurs et de bouffons (page 294).
Également de l’ouvrage de Giuseppe Pallanti Monna Lisa, mulier ingenua que mon épouse m’a traduit de l’italien.


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