Le Vieux-Port
par NewsofMarseille
mercredi 20 juillet 2011
« Protis arrivât seul ; mais par un prompt renfort, nous voici un milliard aujourd’hui au Vieux-Port » !
« Quai des Belges, premier arrondissement » : telle est l’inscription qui figure sur la large berge perpendiculaire à la Canebière. En 1915, la mairie décide en effet de rendre hommage aux valeureux soldats d’outre-quiévrain pour leur résistance au début du premier conflit mondial. Auparavant, le débarcadère s’appelait « quai de la Fraternité »… Avant auparavant, on parlait de « Quai Napoléon ». Encore avant auparavant, « Quai Monsieur »… Encore, encore, « Quai Impérial » ! À la Révolution, le quai prend même le nom du célèbre Jean-Jacques… Goldman n’ayant à l’époque pas encore aménagé dans la région marseillaise, les édiles optent pour « Quai Rousseau » !
Suisses, Belges ou Grecs, le Vieux-Port est une auberge espagnole qui a aussi sa tête de Turc, en la personne d’Escartefigue ! Héros pagnolesque moqué, lui qui se revendique marin alors que les traversées qu’il dirige ne sont longues que de quelques 250 mètres… Cette ligne maritime, probablement la plus courte du monde, existe pourtant bel et bien : la ligne du ferry boat, que l’accent peu anglophone de Raimu a immortalisé en « feriboite » ! Inauguré en 1880, le ferry boat, décliné en trois lignes maritimes, permet une traversée rapide en largeur du Vieux-Port pour les pêcheurs et poissonniers du Panier se rendant à la Criée, pour les employés de mairie, pour les ouvriers des manufactures de la rue Sainte, ou pour les dockers travaillant aux nouveaux quais de la Joliette.
Car le Vieux-Port n’a pas toujours été vieux ! Et c’est seulement la construction du bassin de la Joliette, décidée en 1844, qui accole au Lacydon cet adjectif temporel. Le port ancestral de la cité ne peut effectivement plus accueillir les flux croissants de navires et de marchandises nés de l’expansion coloniale et de la révolution industrielle.
Mais le progrès technique profite aussi au Vieux-Port. Ainsi en 1905, une gigantesque nacelle suspendue à l’armature métallique d’un pont fait son apparition à Marseille : le pont transbordeur ! Appuyé sur deux pylônes de plus de 80 mètres de haut, cet objet d’art est pensé par l’architecte Ferdinand Arnodin qui en a déjà construit un identique, avec hauban et contrepoids, à Nantes, sans toutefois pouvoir rejoindre Montaigu… Les digues marseillaises du Vieux-Port, elles, voient ainsi ce pont transbordeur faire concurrence au ferry boat dont deux lignes tombent à l’eau dans les années 1920.
Le pont transbordeur connaîtra la même fin tragique. Le 22 août 1944, l’occupant allemand tente de noyer le poisson pour gêner l’avancée alliée en faisant sauter le pont… Mais un seul pylône s’effondre ! Il faudra alors près de quatre quintaux d’explosifs pour achever en septembre 1945 cet amas de ferraille qui n’avait pas grand-chose à envier à la tour Eiffel !
Aujourd’hui et depuis 1967, c’est un tunnel routier qui traverse invisiblement le Vieux-Port alors que son idylle avec le ferry boat continue. Certes, plusieurs séparations ont mis de l’eau dans le gaz du Vieux-Port comme cette « arrêt définitif » inscrit sur une pancarte à l’été 1983… Mais les retrouvailles n’en ont été que plus belles et plus modernes puisqu’aujourd’hui, le ferry boat avance à l’énergie solaire ! Une conduite écologique qui permet à ses passagers de relier rapidement et gratuitement la place aux Huiles à l’Hôtel de Ville, et réciproquement.
Et gare à ce que l’on ne vous mène pas en bateau, si les poissonnières de la Criée vous racontent une des multiples variantes de la galéjade de la sardine qui a bouché le port ! A Marseille, cette histoire de sardine a été tellement mâchée et rabâchée qu’elle en deviendrait presque bouillabaisse !
Mais derrière les étals quotidiens de poissons se trouvent les embarcadères pour les navettes qui prennent le Vieux-Port en longueur, destination Château d’If, îles du Frioul, ou calanques de Cassis. Mer patrie de Marseille, le retour sur le Vieux-Port revêt toujours une charge émotionnelle forte… Les forts Saint-Jean et Saint-Nicolas à l’entrée du Lacydon semblent ainsi servir d’écrin pour une ville qui de la mer apparaît belle. Le passager de retour à la terre ferme pense également aux marins des temps passés revenant sur Marseille… Le temps d’un songe, il imagine les matelots du Grand Saint-Antoine ramenant sans le savoir la peste dans la ville en 1720. Et d’un coup, il projette une ville qui sue la peur par tous ses pores… Revenant à peine à la réalité en débarquant sur le quai des Belges, il pourra alors se demander qui de Quick ou de Mc Do est la peste ou le choléra…
Michel Callamand - News of Marseille