Léon Degrelle va revivre, grâce à Littell
par morice
jeudi 10 avril 2008
Le dix avril prochain, si je puis me permettre, je vous recommande d’aller chez votre libraire. Devant sa caisse, bien en évidence, il y aura en tête de gondole la tête encartonnée d’un Américain new-yorkais d’une quarantaine d’années devenu prix Goncourt à sa première tentative, une prouesse que peu d’individus ont réalisée (dont cependant Jean Rouaud avec son superbe « Les Champs d’honneur »).
J’ai donc vu Léon Degrelle, le jour exact où il atteignait sa trentième année, le 15 juin dernier. Ce jeune chef, à vrai dire, ne paraît même pas beaucoup plus de 25 ans. Et ce qu’il faut avouer d’abord, c’est que, devant ce garçon vigoureux, entouré d’autres garçons aussi jeunes, on ne peut se défendre d’une assez amère mélancolie. On a cru déconsidérer Rex en l’appelant un mouvement de gamins. Aujourd’hui, il y a autour de Léon Degrelle des hommes de tout âge, et la seule jeunesse qui importe est celle de l’esprit. Mais l’essentiel reste dans la jeunesse réelle, la jeunesse physique des animateurs, qui s’est communiquée à tout l’ensemble. Hélas ! ma chère Angèle, quand aurons-nous en France un mouvement de gamins ?
Degrelle, cet admirateur d’Hitler qu’apprécient toujours autant les créateurs du VlaamsBelang, en Belgique, et bien d’autres qui le louent sans vergogne dans leurs sites nauséabonds, est en effet un personnage rêvé de roman à lui tout seul. Au VlaamsBelang, on a l’habitude d’admirer Hitler, au point de prendre parfois de sérieuses libertés avec l’Histoire, et de réussir la prouesse d’éditer une biographie d’Hitler sans parler des SS ni des camps de concentration ! Chez les admirateurs du VMO (le Vlaamse Militanten Orde), ce parti néo-nazi qui défilait en 1967 encore à Anvers en rangs serrés et en uniformes de ville, mais en gants blancs, étendards en bataille, on se permet tout en effet. Ils défilaient ainsi il y a à peine quarante ans encore, et il doit encore y avoir des uniformes qui dorment dans pas mal de maisons belges ou... flamandes.
Logique de le retrouver, notre Léon, depeint dans le détail dans ce nouveau roman, Le Sec et l’Humide, qui promet tout autant que Les Bienveillantes qui ont assis définitivement la réputation de l’auteur. Un Degrelle qui n’apparaissait que sur deux pages et deux allusions (p. 219 et p. 782) et qui cette fois est bien le héros de l’action. Pour Degrelle, qui a vécu une retraite tranquille et heureuse en Espagne où il s’était réfugié (sous Franco), le temps s’était véritablement arrêté en 1945 : jamais de sa vie il n’affichera ou n’avouera de remords continuant à chanter les louanges d’Hitler et les bienfaits du national-socialisme. Sans non plus jamais dénoncer l’holocauste et devenait bien au contraire le chef de file des pires négationnistes qui soient, tels Zündel ou Faurisson. Un Faurisson enfin condamné en France le 3 octobre 2006, par la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris de "complicité de contestation de l’existence de crime contre l’humanité", pour avoir nié l’existence des chambres à gaz. Condamné à trois mois de prison avec sursis et à une amende de 7 500 euros, ce qu’on peut trouver bien trop peu encore.
Les propos négationnistes ou antisémites, que l’on pouvait croire rayés du vocabulaire d’hommes du XXIe siècle refleurissent pourtant bel et bien un peu partout : ces derniers mois, c’est au beau milieu de l’Europe qu’ils sont réapparus avec une violence inouïe. En Hongrie, en effet, où l’antisémitisme a connu ses troupes de choc avec les Croix fléchées, le mal est toujours en train de couver. Une personne semblait l’avoir oublié en septembre 2007. Le 14 septembre 2007, notre président visitait Budapest, où il évoquait brièvement son père lors d’une conférence de presse commune avec le Premier ministre hongrois avec lequel « il avait évoqué la figure de son père [...] qui avait fui le communisme pour s’établir en France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale », dit Libération, qui précise que "Tous ses interlocuteurs avaient été prévenus : Nicolas Sarkozy [...] n’aime guère s’épancher sur son passé familial. Il ne parle pas le magyar, n’a aucun souvenir dans ce pays, où il ne compte plus qu’une grande tante, et sait que son père a beaucoup romancé la saga des Sarkozy de Nagybocsa." Drôle de pays en effet, on conçoit qu’il n’est pas facile d’en parler. Car comme le note un journaliste en 2006 : "Si l’on regarde les scores électoraux ou la composition du Parlement, on peut en conclure qu’en Hongrie l’extrême droite n’existe tout simplement pas. L’ancienne formation, MIEP, du poète antisémite Istvan Csurka a été délogée du Parlement en 2002, la relève, les « jobbik » vivotent dans les sondages entre 1 et 2 % d’intention de vote. Pourtant cette image est trompeuse, l’extrême droite est là et bien là et se montre de plus en plus, décide même qui a le droit de parler et qui ne l’a pas".
Un pays étonnant en effet où la petite frange d’extrême droite attire les politiques du même bord : Jean-Marie Le Pen s’était bien rendu à Budapest quelque temps auparavant, le 23 octobre 2003, pour commémorer le 47e anniversaire du soulèvement de 1956 contre l’URSS, à l’invitation du Parti de la justice et de la vie (MIEP). Ce parti d’extrême droite hongrois alors dirigé par Istvan Csurka avec pour vice-président Lorant Hegedus, condamné lui en décembre 2002 par la justice de son pays à dix-huit mois de prison avec sursis... pour antisémitisme. Il avait à l’époque en effet déclaré dans la revue de son parti : « Nous (les Hongrois) devons parquer les juifs à part parce que sinon ils prendront notre place. » On reconnaît bien là les propos d’un autre Maximilien Aue, toujours vivant semble-t-il. Les Croix fléchées ont laissé des traces sinon des petits, et proposent déjà à Littell de déplacer ses recherches pour son prochain roman du côté de l’Europe centrale et des Balkans. Ce jour-là, avec Le Pen, on arbore fièrement l’Arpad Sav, le large drapeau à bandes rouges et blanches datant du Moyen Âge, et on défile fièrement devant... David Irving, le négationniste anglais bien connu. Sans aucune honte, et même plutôt avec respect devant cet admirateur d’Hitler. Le 23 octobre 2007, un mois à peine après la visite présidentielle, la résurgence directe de ces fameuses Croix fléchées, la Garde hongroise (Magyar Garda) défile à 600 personnes au beau milieu de la capitale, comme pouvait le faire le VMO à Anvers quarante ans auparavant : la ville n’est plus la même, mais l’état d’esprit et la parade de forces en présence reste la même. C’en est trop : le 17 décembre, le parquet général de Budapest avait demandé la dissolution pure et simple du corps paramilitaire de la Garde hongroise en raison de ses dérives profondément racistes. Selon les réquisitions du Parquet hongrois "la Garde s’est rendue coupable de discrimination raciale, a heurté la dignité humaine et a suscité la peur au sein de la population tzigane de Hongrie", qui compte ne l’oublions pas 500 000 personnes. On en est là, avec un foyer évident de résurgence du nazisme, l’ouverture récente vers le Kosovo n’ayant pas ramené que des chérubins à proximité dans la Communauté européenne. La communauté Serbe d’extrême droite est là pour le rappeler, avec ces leaders soutenus en Belgique par des gens tels que Nation dirigée par Hervé Van Laethem, l’ancien dirigeant-fondateur du groupe "Assaut", des néo-nazis avérés, ou Pierre d’Ans, l’ancien fondateur d’une éphémère UMP-Belgique... non, vous ne rêvez pas, cela a bel et bien existé. Mais cela n’avait pas avoir eu l’air de plaire de ce côté-ci de la frontière. Malgré les déclarations apaisantes de son leader « On ne veut pas nuire à l’UMP et à M. Sarkozy, que nous considérons comme un homme d’exception. Nous voulons, comme M. Sarkozy en France, rassembler toutes les forces de droite en Wallonie ».
Des partis néo-nazis qui prônent l’indépendance de la Flandre, mais refusent celle du Kosovo, allez comprendre... L’extrême droite n’en est pas à son premier paradoxe. Littell, avec toute cette fange, a encore de la matière pour des siècles. C’est bien pour la littérature, ça l’est beaucoup moins pour le bonheur des peuples.