Léonard de Vinci, cet illustre inconnu...

par Emile Mourey
mercredi 28 août 2013

Dressant le portrait de Léonard de Vinci, Giorgio Vasari dit de lui : « qu’il se forma dans son esprit une doctrine si hérétique qu’il ne dépendait plus d’aucune religion, tenant peut-être davantage à être philosophe que chrétien ».
 
Que voulait dire Vasari dans ce "peut-être" ? On a beau fouiller dans les notes que Léonard a consignées dans ses carnets ainsi que dans les ouvrages spécialisés, on ne trouve rien de précis sur cette doctrine "hérétique".
 
Comment peut-on laisser croire au public que tout a été dit sur l'homme alors qu'on n'a pas la réponse à cette question fondamentale ?
 

Qui était Vasari ?

Né en 1511, huit ans avant la mort de Léonard de Vinci (1452-1519), il appartient à la génération suivante qui s'inscrit également dans le souvenir de Raphaël (1484-1520) et encore plus dans celui de Michel-Ange (1475-1564). Ceci pour dire qu'on ne peut pas rêver de témoin plus fiable, d'autant plus qu'il faisait partie du même milieu, étant lui-même, architecte, peintre, écrivain et humaniste.

Nous sommes en pleine période de la Renaissance. Dans son portrait de Laurent le Magnifique, Vasari nous dit en peinture ce qu'il est plus prudent de pas mettre par écrit. Les symboles dont il a entouré le prince sont une critique féroce de la pensée de son temps. Sur le monument de l’histoire humaine, la tête du philosophe est en état de décomposition avancée. Le serviteur bavard du temple, dont la tête a pris la place du sang de Dieu dans le ciboire, s’est enfoncé le goupillon dans la gorge. Quant à la muse de cette tragi-comédie humaine, son instrument de musique lui est entrée dans son orbite creuse. De son nez, la morve coule tandis que la tête du chien ricane dans l’accoudoir du fauteuil.
 
Moins d'un siècle après Léonard, la belle Veronica Franco tenait salon à Venise. Son mari était médecin. Pour la postérité, elle est restée l’exemple le plus noble de la courtisane vénitienne. Sa maison à Sancta Maria Formosa était fréquentée par des musiciens, des peintres et des nobles. Des soirées musicales, des débats de philosophie et des lectures de poésies en faisaient un lieu vivant et recherché. http://www.veniceguide.net/cortigianefr.htm
Léonard de Vinci tenait lui aussi table ouverte. Il n'est pas besoin de faire un grand effort d'imagination pour comprendre qu'on y discutait de choses sérieuses entre gens cultivés. On comprend dès lors pourquoi le maître a écrit dans ses carnets que Salai se tenait très mal à table, évidemment par rapport à ses invités. Imaginer que dans ce milieu bien éduqué, il y ait eu entre le dit maître et l'enfant adopté qui lui servait de valet une relation coupable, comme certains auteurs modernes l'ont écrit, est une totale absurdité.

La sexualité de Léonard, c'est son tableau de la "Leda". Léonard de Vinci était tout sauf pudibond, ses grosses plaisanteries de corps de garde le prouvent. Ses carnets montrent qu’entre les choses de l’esprit et sa libido, il avait établi une nette séparation. Sauf à de rares moments où il a été obligé de compter ses dépenses, il avait les moyens financiers qui lui permettaient de tenir son rang dans ce domaine comme dans d’autres. Comme d'autres personnages importants de son époque, Léonard de Vinci fréquentait les maisons closes... non pas les bouges mais les établissements de luxe. Un de ses dessins pour le projet d’entrée d'un tel établissement en est la preuve. C’est ici qu’il venait – dans la discrétion – quand la pression était trop forte... non pas qu’il y ait été poussé par un vil goût de luxure mais uniquement, comme il le dit dans ses carnets,"pour se libérer d’un fardeau qui pesait sur son esprit". Le modèle qui a posé pour la Léda dans plusieurs de ses tableaux parmi les plus célèbres, où croyez-vous qu'il soit allé le chercher ? Oui, la Léda pleine de sensualité que nous admirons dans les plus beaux tableaux du peintre était une prostituée, le col du cygne en est la preuve évidente. Les conseils qu'il donnait à ses élèves d'aller chercher leurs modèles dans ces maisons en est une autre.

Transition : par contraste, l'épouse de son ami Francesco del Giocondo - la Joconde - qui participait peu ou prou aux conversations, a dû représenter pour Léonard un idéal de pureté... l'idéal de la femme, de l'épouse, et l'exemple d'une mère sans reproche.

L'esprit de Léonard ? Il est dans "la Madone de Laroque". Comme le font remarquer les propriétaires du tableau en examinant le cliché pris en infra-rouge, la Vierge ébauche un sourire. Rappelant que, selon le professeur D. Arasse, les portraits féminins n'ont commencé à sourire qu'à partir de la Joconde, il s'ensuivrait que la Madone de Laroque pourrait être le premier portrait de Vierge souriant. J'ajouterais "de mère souriante". Il ne fait pas de doute, selon moi, que Léonard lui superpose l'image et le mystère de la maternité, plus précisement de l'amour maternel lequel, en effet, ne s'exprime pas dans les vierges en majesté.

La Vierge est dans une pièce qui s’ouvre sur un paysage mi-réel mi-symbolique par une grande fenêtre/ouverture voûtée. Cette ouverture voûtée n’est fermée par rien... ou bien par une paroi de verre... Entre la chambre noire, écrit Léonard dans ses notes, et ce paysage derrière lequel règne l’infini, se trouve comme une paroi de verre. Si l’homme n’ouvre pas son œil, il ne voit rien, mais s’il l’ouvre, c’est un mouvement de l’âme qui lui fait franchir la paroi de verre.
Le tableau est composé suivant trois plans successifs. La Vierge est assise sur un siège caquetoire dont on voit une anse ajourée et le haut du dossier. Elle tient sur ses genoux l'enfant Jésus et Jean-Baptiste. C'est le premier plan. On est à l'intérieur de la chambre noire. Au-delà de la paroi de verre, deuxième plan, on voit, à gauche, le tombeau des Juges de la ville de Jérusalem, à droite, des oliviers. Le troisième plan nous montre les rives, le lac de Tibériade, puis les montagnes qui s’élèvent jusqu’à Gamala. La trouée du ciel constitue, si l’on peut dire, le fond du tableau.
 
La perspective picturale se double d’une perspective dans le temps avec changement de lieu. Premier lieu et premier temps : l'enfance du Christ dans les évangiles. Deuxième lieu et deuxième temps : les derniers instants qu'il a soufferts dans le jardin des oliviers et sa mise au tombeau à Jérusalem. Troisième lieu et troisième temps : sa résurrection sur les rives du lac de Tibériade, son ascension jusqu'à la montagne de Gamala et sa transfiguration dans le ciel.
Détail important : ce n'est pas le Christ qui se profile dans la lumière de l'infini mais un arbre penché. Dans la logique de Léonard, cet arbre doit probablement symboliser le renouveau éternel de la nature et de la vie. Il transcende le message évangélique. Il l'élargit au mystère de l'existant, de l'être, de la nature et du monde. Léonard nous mène ainsi depuis le mystère de la naissance jusqu'à une renaissance ou une fin cosmique (?) dans la lumière d'un infini que seule la peinture peut évoquer. Ce mystère de la lumière sera d'ailleurs un sujet d'étude et un questionnement qui préoccuperont Léonard beaucoup plus que l'étude des dogmes. Autrement dit, Léonard de Vinci cherchait des explications au mystère du monde au-delà de la révélation chrétienne de son époque.
 
N'est-ce pas là la doctrine hérétique de Léonard dont parle Vasari ? 
 
Tombeau des Juges : lithographie ancienne.
Caquetoire : photothèque des Arts décoratifs http://www.lesartsdecoratifs.fr/francais/arts-decoratifs/collections-26/parcours-27/chronologique/moyen-age-renaissance/les-salles/la-seconde-renaissance/caquetoire
Logo des éditions de l'olivier http://mcei.u-paris10.fr/content/les-%C3%A9ditions-de-lolivier-pr%C3%A9parer-une-rentr%C3%A9e-litt%C3%A9raire-au-service-presse
Lac de Tibériade http://chemins.eklesia.fr/terresainte/israel/galilee.php
La Madone de Laroque (autorisation de reproduction à demander aux propriétaires)
En ce qui concerne la résurrection que je place à Tibériade, et apparemment, Léonard aussi, voir http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-christ-est-il-ressuscite-a-128903
 
E. Mourey, 27 août 2013

 


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