Les Beatles, un phénomène inclassable

par Axel_Borg
vendredi 18 janvier 2019

Groupe d'exception, les Beatles continuent de fasciner dans le monde entier et de vendre des albums comme des petits pains. Alors que le cinquantenaire de leur séparation approche, pourquoi continuent-ils d'avoir un tel succès ?

Symboles de la ville de Liverpool, les Beatles ont rendu universel le nom de la cité située sur les bords de la Mersey. Seul le Liverpool Football Club, quadruple Champion d'Europe des clubs entre 1977 et 1984, prendra le relais après 1970 et la séparation des Fab Four. Mais là aussi la fin sera brutale, avec le drame du Heysel en 1985 qui laissera les Reds aux prises avec leurs voisins d'Everton, les Toffees ... loin des joutes européennes !

Avril 1970. Quelques jours avant le drame d'Apollo 13 qui tiendra le monde entier en haleine, Paul McCartney annonce la fin du groupe qui s'est rendu célèbre avec Love Me Do, qui a été anobli par la reine Elizabeth, qui a vu John Lennon faire scandale en se déclarant plus populaire que le Christ et qui a décliné l'invitation de Ferdinand et Imelda Marcos aux Philippines ...

Pendant des décennies, les Beatles vont continuer à influencer des dizaines de groupes de pop-rock : les frères Gallagher (Oasis), Bono et son gang irlandais (U2), Radiohead et tant d'autres. Dans la généalogie de la pop-rock, les Beatles sont souvent les aïeux de beaucoup de formations musicales.

Près de cinquante ans plus tard, dans le nord de Londres, les fans se pressent encore pour se faire prendre en photo en traversant Abbey Road comme les quatre garçons dans le vent, avec des hymnes dans la tête qui fleurent bon le Katmandou des hippies : All You Need is Love, Revolution, Ob-la-di Ob-la-da, Strawberry Fields Forever ...

Les Beatles sont partis en 1970 au sommet de leur art, après seulement huit ans de cohabitation : dernier album paru, Let it Be est un pur chef d'oeuvre. Dernier album enregistré, Abbey Road en est un autre. Mais le climax de la production des géniaux musiciens anglais reste l'enchaînement entre Revolver (1965), Sergeant Pepper's Lonely Hearts Club Band (1967) et l'album blanc (1968), trois opus de musiciens nourris par les fées du destin au nectar et à l'ambroisie.

L'impact de Revolver fut tel en 1965 qu'il amena, en 2001, le groupe allemand The Notwist a réenregistrer son album Neon Golden, expliquant que lorsque Radiohead dévoila au monde Amnesiac, ce disque leur faisait l'effet qu'avait dû avoir Revolver sur les groupes des années 60 .. Et ce n'est pas un hasard si un trio français de pop de chambre a choisi comme nom de groupe Revolver, en hommage à cet album mythique, classé 3e meilleur de tous les temps par la revue Rolling Stone (le 1er du top 500 étant Sergeant Pepper''s Lonely Hearts Club Band, autre OVNI du quatuor de Liverpool).

Si Revolver et à un degré moindre Sgt Pepper's sont relativement homogènes dans leur contenu, ce n'est pas le cas du double blanc, véritable auberge espagnole accueillant différents styles. L'album de l'orchestre du Sergent Poivre, lui, est un véritable kaléidoscope musical, un voyage initiatique et psychédélique : premier concept album de l'Histoire du rock, Sgt Pepper's est un labyrinthe de petits jeux : les bruits d'animaux à la fin de Good Morning, Good Morning ne sont pas choisis au hasard ...

En efffet, chaque cri de bête surgissant est celui d'un animal capable de dévorer le précédent dans la chaîne alimentaire chère à Darwin ... Au milieu de ce puzzle musical d'une richesse incroyable, on trouve cependant une vieille chanson de Macca jouée dès l'époque bénie de la Cavern : When I'm sixty-four.

Cet album incomparable et inclassable fut à la musique ce que 2001, Odyssée de l'Espace fut au cinéma : une révolution copernicienne, on franchit le Rubicon des conventions et on jette aux oubliettes les certitudes, démarche reprise plus tard par David Bowie dans sa trilogie berlinoise ou U2 au moment d'Achtung Baby (1991), Bono décrivant quatre hommes en train d'abattre le Joshua Tree ... Les Beatles sont le mètre étalon du rock : tout le monde se compare à eux. Parfois, cela tourne à l'obsession viscérale, telle une quête personnelle, comme pour les frères Gallagher (en particulier Liam) également influencés par Paul Weller et par les Sex Pistols. Mais personne n'arrive à la cheville des Beatles.

Leurs rivaux des sixties, les Rolling Stones, ont eux plus de cinquante ans de carrière. Mais la troupe de Mick Jagger n'a jamais retrouvé l'inspiration des débuts, comme d'autres groupes devenus des dinosaures, tel U2.

S'il ne fait pas partie du célèbre club des 27 (Brian Jones, Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison), John Lennon est devenu une icône à sa mort en 1980 à seulement quarante ans, assassiné par Mark Chapman devant le Dakota Building de New York. Comme Freddie Mercury (1991), Kurt Cobain (1994) ou Jeff Buckley (1997) décédés trop jeunes après lui, John Winston Lennon a laissé le rock orphelin de son charisme et de sa créativité hors normes.

Son mélange subtil d'osmose et de dualité musicale avec Paul McCartney a fait des Beatles un groupe d'exception, les autres troupes ayant souvent un seul frontman et/ou un seul leader musical : Mick Jagger (Rolling Stones), Freddie Mercury (Queen), Sting (Police), Richard Ashcroft (The Verve), Mark Knopfler (Dire Straits), Kurt Cobain (Nirvana), Michael Stipe (R.E.M.), Black Francis (Pixies), Pete Townshend (The Who), Jimmy Page (Led Zeppelin), Bono (U2), Sergio Pizzorno (Kasabian), Chris Martin (Coldplay), Thom Yorke (Radiohead), Joe Strummer (The Clash), Damon Albarn (Blur), Tom Barman (dEUS), Kelly Jones (Stereophonics), Julian Casablancas (The Strokes), Jim Morrison (The Doors), Steve Lukather (Toto), Angus Young (AC/DC), Francis Healy (Travis) ou encore Matthew Bellamy (Muse).

Rares exceptions, Pink Floyd tiraillé entre Roger Waters et David Gilmour après que Syd Barrett eut porté le groupe sur les fonts baptismaux en 1966-1967, les Sex Pistols partagés entre Jonny Rotten et Sid Vicious, les Smiths portés par Johnny Marr et Jim Morrissey, ainsi qu'Oasis nourri du duel fratricide entre Noel et Liam Gallagher.

Egalement, impossible de désigner la chanson phare du groupe tant le répertoire est riche. Personnellement je vote Hey Jude de peu devant A Day in the Life, mais d'autres mettront en avant Yesterday, Michelle, Let it Be, Lucy in the Sky with Diamonds, In my Life, While my guitar gently weeps ou I am the Walrus.

Avec d'autres groupes, bien que très inspirés, la chanson phare se détache quasiment d'elle même : Time (Pink Floyd), Bohemian Rhapsody (Queen), Stairway to Heaven (Led Zeppelin), Smells like teen spirit (Nirvana), Where is my mind ? (Pixies), Instant Street (dEUS), Creep (Radiohead), Bitter Sweet Symphony (The Verve), Hotel California (Eagles), Money for Nothing (Dire Straits), L.S.F. (Kasabian), Hells Bells (AC/DC), Zombie (Cranberries), Boulevard to Broken Dreams (Green Day), New Born (Muse), In My Place (Coldplay), The Angry Mob (Kaiser Chiefs), London Calling (The Clash), Sing (Travis), Glory Box (Portishead) ou encore Whatever (Oasis).

Un seul autre groupe mythique pourrait se targuer d'avoir plusieurs tubes universels si difficiles à départager, les Stones : Paint it Black, (I can't get no) Satisfaction, Sympathy for the Devil, Gimme Shelter.

Même problématique de densité sur les albums où Sgt Pepper's, Revolver et le double blanc forment une sainte trinité, avant un atterrissage final magistral avec le doublé Abbey Road / Let it Be. Bien peu de groupes ont réussi à se maintenir au sommet de leur inspiration et de leur créativité sur ne serait-ce que de déjà deux albums : Led Zeppelin (Led Zeppelin II, Led Zeppelin IV), Pink Floyd (Dark Side of the Moon, Wish you were here), U2 (The Joshua Tree, Achtung Baby), Oasis (Definitely Maybe, (What's the Story) Morning Glory ?), Muse (Origin of Symmetry, Absolution), Radiohead (The Bends, OK Computer), dEUS (Pocket Revolution, Keep You Close) ...

En effet, tant d'autres groupes d'envergure sont victimes du syndrome de l'album ultra dominant dans leur discographie malgré de belles réminiscences a posteriori : Queen (A night at the Opera bien avant News of the World, The GameThe Works et Innuendo), Pixies (Doolittle avant Bossa Nova, Indie Cindy et Head Carrier), Keane (Hopes and Fears avant Under the Iron Sea et Perfect Symmetry), The Cranberries (No need to argue), Green Day (American Idiot), Ghinzu (Blow avant Mirror Mirror), Nirvana (Nevermind), Sex Pistols (Never mind the Bollocks), The Clash (London Calling), Blur (The Great Escape), Kasabian (West Ryder Pauper Lunatic Asylum après Kasabian et Empire, avant Velociraptor !), The Verve (Urban Hymns), Franz Ferdinand (Franz Ferdinand), The Strokes (Room on Fire), Coldplay (X&Y après Parachutes et A Rush of Blood to the Head, et surtout avant Viva la Vida, Mylo Xyloto, Ghost Stories et A Head Full of Dreams), Travis (The Invisible Band bien avant 12 Memories, Ode to J. Smith, Where you stand et enfin Everything at Once), Stereophonics (Language Sex Violence Other ?), Portishead (Dummy) ou R.E.M. (Automatic for the People) ...

Vivant en huis clos depuis le dernier concert de San Francisco en 1966 dans le pandemonium de Candlestick Park, le groupe n'offrira qu'un ultime live, le 30 janvier 1969 en rooftop sur le toit de l'immeuble londonien d'Apple Records, au milieu d'une descente aux enfers programmée par la mort de Brian Epstein (1967), la place envahissante prise par Yoko Ono dans la vie du quatuor, les légitimes envies d'émancipation de George Harrison, le huis-clos en studio et la Beatlemania si étouffante vécue par ces jeunes gens non préparés à devenir de telles idoles planétaires, bien plus populaires que leur modèle Elvis Presley, au firmament du rock and roll ...

Tous les groupes de pop/rock sont les enfants plus ou moins directs des Beatles, dont la musique est éternelle, en témoigne le succès en solo des trois des anciens membres du groupe (John Lennon avec Imagine, Paul McCartney avec les Wings puis en solo avec Chaos and Creation in the Backyard puis le tout récent Egypt Station, George Harrison avec All Things Must Pass).

En 1977, là où Wolfgang Amadeus Mozart, Ludwig von Beethoven, Jean-Sébastien Bach, Igor Stravinski et Chuck Berry recevaient l'hommage d'être sélectionnés dans le fameux Voyager Golden Record succédant à la plaque de Pioneer (message aux extraterrestres). Trois ans plus tôt, en 1974, les Beatles voyaient le paléontologue français Yves Coppens nommer l'australopithèque Lucy en référence à la sublime chanson Lucy in the Sky with diamonds.


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