Les Belles Lois

par Voris : compte fermé
vendredi 10 août 2007

Napoléon déclara à Sainte-Hélène : « Ma gloire n’est pas d’avoir gagné quarante batailles... Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code civil, ce sont les procès-verbaux du Conseil d’Etat ». Dans son célèbre « Discours préliminaire » écrit à propos de la rédaction du Code civil, le juriste Portalis nous donne une leçon de droit dont ferait bien de s’inspirer le législateur d’aujourd’hui.

Portalis, l’un des grands juristes qui fit le Code civil, dit qu’il ne faut point de lois inutiles ; elles affaibliraient les lois nécessaires. Napoléon ne disait pas autre chose, mais à propos de la littérature "Le Grand art d’écrire, c’est de supprimer ce qui est inutile". Mais le droit ce n’est pas de la littérature. Encore que... c’est ce que nous verrons... Second point : que faut-il entendre par "inutile" ?

Il ne faut point de lois inutiles, elles affaibliraient les lois nécessaires 

Il faut être sobre de nouveauté en matière de législation, dit Portalis. Le mieux est l’ennemi du bien. Il faut s’abstenir de chercher à tout prévoir. Montesquieu disait aussi "Comme les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires, celles qu’on peut éluder affaiblissent la législation". Pour l’auteur de L’Esprit des lois, "Une loi doit avoir un effet et il ne faut pas permettre d’y déroger par une convention particulière". En réalité, c’est seulement en matière d’ordre public et de bonnes mœurs, que les particuliers ne peuvent déroger aux lois par convention entre eux. Pour le reste, le contrat est possible et on dit qu’il tient lieu de loi entre ceux qui le signent. Le recours au contrat est un bon moyen d’éviter l’inflation des textes, mais ces derniers sont nécessaires pour permettre l’équité des clauses, éviter les abus.

On est forcé de multiplier les lois parce qu’on ne sait plus les faire, dit Portalis. Dès qu’on tient une idée, on pense qu’il faut l’inscrire dans le marbre, c’est-à-dire dans la loi qui en France a une aura de prestige quasi magique. "Fait-on des lois dans le passage de l’ancien gouvernement au nouveau ? Par la seule force des choses, ces lois sont nécessairement hostiles, partiales, éversives. On est emporté par le besoin de rompre toutes les habitudes, d’affaiblir tous les liens, d’écarter tous les mécontents. (...) On a besoin de bouleverser tout le système des successions parce qu’il est expédient de préparer un nouvel ordre de citoyens par un ordre de propriétaires." Cette dernière remarque de Portalis est toute d’actualité !

Où doit s’arrêter la loi ? Elle ne doit pas empiéter sur les sciences. Pour Portalis, tout ce qui est définition, enseignement, doctrine, est du ressort de la science. Tout ce qui est commandement, disposition proprement dite, est du ressort des lois. Une frontière qui n’est pas toujours facile à tenir.

La loi se distingue du règlement. "L’office de la loi, dit Portalis, est de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit ; d’établir des principes féconds en conséquences et non de descendre dans le détail. Les lois proprement dites diffèrent des simples règlements. Les règlements sont des actes de magistrature et les lois des actes de souveraineté." Cette réflexion de Portalis s’est prolongée dans la Constitution (articles 34 et 37) qui opéra une séparation entre les domaines de la loi et du règlement. Mais il s’agit cette fois des règlements au sens moderne : décrets et autre textes du gouvernement et non plus des règlements des litiges des particuliers.

Que faut-il conserver, que faut-il jeter ? Portalis dit : "Il est utile de conserver tout ce qu’il n’est pas nécessaire de détruire : les lois doivent ménager les habitudes, quand ces habitudes ne sont pas des vices". Ne nous précipitons donc pas à abolir les textes anciens ou la coutume ! Le poète Paul Valery qui fut un grand admirateur du Code civil et qui avait d’ailleurs étudié le droit dans sa jeunesse, écrivit "Ce qui a ruiné les conservateurs, c’est le mauvais choix des choses à conserver". Supprimons ou au contraire conservons avec prudence et parcimonie ?

Cette référence à paul Valéry nous permet la transition vers la seconde question : le Code civil est-il de la littérature ?

Le Code civil, un morceau de littérature ?

Une lettre de Stendhal à Balzac, écrite en 1840, est souvent citée : "En composant la Chartreuse, pour prendre le ton, je lisais chaque matin deux ou trois pages du Code civil, afin d’être toujours naturel ; je ne veux point par de moyens factices, fasciner l’âme du lecteur". Le destinataire de cette lettre ne partageait pas cette admiration pour le style du Code civil. Stendhal avait déjà souhaité en 1834, pour son livre Lucien Leuwen, "que ce livre fut écrit comme le Code civil". "C’est dans ce sens qu’il faut arranger les phrases obscures ou incorrectes." En 1842, Flaubert, dans une lettre à sa sœur, décrie au contraire le style du Code civil : "Les Messieurs qui l’on rédigé n’ont pas beaucoup sacrifié aux Grâces. ils ont fait quelque chose d’aussi sec, d’aussi dur, d’aussi puant et d’aussi platement bourgeois que les bancs de bois de l’école où l’on va se durcir les fesses à entendre l’explication".

Au XIXe, certains proposèrent de versifier le Code civil. Imagine-t-on aujourd’hui les étudiants en droit réciter des alexandrins ? Cela aurait fort belle allure, mais la lettre du texte perdrait en valeur ce qui serait gagné en statut de Belles Lettres ?

En fin de compte, les lois n’ont pas à prétendre à s’élever au rang de littérature. Pourvu qu’elles soient écrites clairement, dans une langue à la fois précise pour éviter les mauvaises interprétations, et entendable par tous afin de donner corps au principe "Nul n’est censé ignorer la loi". Et la langue française se prête bien à cette exigence de clarté. Rivarol parlait de "cette admirable clarté, base éternelle de notre langue. Ce qui n’est pas clair n’est pas français." D’Alembert, lui, prétendait le contraire, soutenant "qu’aucune langue n’est plus sujette à l’obscurité que la nôtre". Prudence en légiférant donc. Mais je donnerais le dernier mot à Boileau : "Qui se conçoit bien s’énonce clairement. Et les mots pour le dire arrivent aisément".


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