Les cavaliers de la perfection
par C’est Nabum
vendredi 22 août 2014
Le Cadre Noir de Saumur
Bien dans leur assiette.
Comment être à proximité de Saumur et ne pas faire un saut du côté du Cadre Noir ? Il est vrai que mes préventions contre tout ce qui est martial m'auraient éloigné de cette visite, sans la présence, dans notre groupe, de deux cavalières émérites. C'est donc un peu sur la réserve que j'allai à la découverte de ce haut lieu de l'art équestre.
Bien m'en prit car j'avoue avoir été impressionné par la qualité du spectacle, la perfection de la chorégraphie proposée à une foule nombreuse. Je n'imaginais pas qu'il pût y avoir un tel enthousiasme parmi les touristes pour une représentation, somme toute, très marquée quand même par une rigueur toute militaire.
Mais il y a une telle beauté et une harmonie si prégnante entre le cavalier et sa monture, que le spectateur en oublie vite la rigidité posturale pour ne voir que la complicité et l'incroyable précision dans la conduite de l'exercice. C'est étrange combien une production d'une immense technicité peut laisser percer des moments de poésie et d'émotion. Insensiblement, les préventions tombent, le spectateur glisse doucement dans un autre monde : celui du paganisme équestre ou d'un animisme ancestral.
C'est sans doute le fait du cheval qui porte en lui une incroyable capacité à réveiller chez nous une affection séculaire, une reconnaissance qui n'est pas parvenue à s'estomper malgré sa mise au rencart par la modernité mécanique. Le cheval fascine tout autant qu'il attire ; il porte l'ancienne dignité du compagnon de labeur, tout en imposant une capacité à susciter crainte et respect, distance et reconnaissance, sérieux et fantaisie.
Certains le prétendent « plus belle conquête de l'homme ! » Je crois davantage que c'est l'animal qui a conquis l'humain, a emporté à jamais son admiration béate, inconditionnelle le plus souvent. Il n'était qu'à observer le regard pétillant des enfants, les mains tendues des adultes flattant l'encolure de ces magnifiques animaux. Il y a quelque chose qui relève de la dévotion ! Le cheval est si souvent thérapeute des parcours disloqués, qu'il est bien plus qu'un simple loisir d'urbains en quête d'authenticité ...
Le Cadre Noir, tout naturellement, s'inscrit alors dans la liturgie à la gloire de ce dieu ancestral, icône de notre rapport à la nature. Le cheval n'est pas un animal domestique ; il est bien au-delà d'une notion réductrice et souvent abêtissante. Il est puissance céleste, force tellurique, certitude et mystère. Il semble obéir au doigt et au coup d'éperon, certes ; est-ce vraiment la victoire du cavalier, ne serait-ce pas plutôt sa totale soumission au prodige de l'animal tout puissant ?
Le cheval se cabre, et ce sont tous les spectateurs qui se prosternent devant cette statue antique. Le cheval se dresse de toute sa hauteur, et nous ne sommes plus que de misérables vermisseaux. Le cheval saute, et nous constatons à quel point il nous est supérieur en toutes choses. Son cavalier est alors le célébrant et non le maître qui impose sa volonté.
La discrétion de l'accompagnement et des explications proposées, lors de cette représentation, ajoute à cette dimension sacrée. C'est une messe au Dieu cheval qui est célébrée en une cathédrale érigée à sa gloire. Les grands miroirs, placés au fond du magnifique manège, ajoutent au décorum et forcent le respect, le recueillement et la dévotion.
Quelques voltigeurs vinrent ensuite rompre la dimension sacrée pour apporter un peu de fantaisie. Cependant, devant les difficultés des exercices, l'harmonie entre l'acrobate et sa monture, nous ne pouvions, une fois encore, que retomber dans le même silence, d'essence religieuse. Le cheval avait encore conquis deux mille fidèles. L'armée était un lointain cadre ; l'animal avait retrouvé la seule place qui fut la sienne de tout temps : la première.
Chevaleresquement sien.