Les chansons en langue allemande des compositeurs classiques

par Taverne
lundi 4 mars 2013

Comprendre et apprendre à apprécier les chansons (lieder) de Schubert, Schumann, Brahms, Mendelssohn, Liszt, Wagner et Mahler, entre autres, tel est le but que se donne cet article. La tâche peut sembler incommensurable mais la méthode ici présentée constitue un début de réponse, me semble-t-il , efficace. Distinguer la mélodie de l'harmonie, le lied des autres formes chantées, discerner la forme populaire ou artistique, identifier la place prépondérante donnée soit au texte soit à la musique, telles sont déjà des pistes utiles.

Des chansons mondialement connues sont des lieder : l'ave Maria de Schubert, la berceuse de Brahms, et la Truite, encore de Schubert, dont le compositeur reprendra le thème musical pour composer ses variations célèbres. De plus, les lieders allemands ont fortement puisé dans le fond des chansons populaires. Pourtant, nombreux sont encore les mélomanes qui ne franchissent pas le pas indispensable à la compréhension de ces chants magnifiques, jugés sans doute trop précieux, trop romantiques, trop lointains ?

Avant d'écouter...

I – Qu’est-ce que le lied ?

- Ce que le lied n'est pas. Le lied n’est ni la mélodie, ni la romance ni la ballade. La romance, qui fut très en vogue au XVIIIème siècle en France, a pour exemple emblématique la chanson « Plaisir d’amour ne dure qu’un moment ». La ballade, elle, est plus ancienne : elle a connu son heure de gloire au Moyen-Age. Toutefois, les lieder sont de forme strophique qui peut s'apparenter à des ballade vocales quand ils se déroulent de façon linéaire (le Roi des aulnes, de Schubert). Ce sont des chansons d’amour courtois de style raffiné, un genre proche des chansons des troubadours et trouvères.

- Lied allemand et mélodie française. La mélodie française est l’équivalent du lied allemand mais, alors que le lied allemand est surtout inspiré de la veine populaire, la mélodie française de cette époque est plus savante. Le spécialiste en fut Berlioz. Puis il y eut Duparc, Fauré et Debussy.

- Lied et opéra. Le lied est en quelque sorte un genre intermédiaire entre la chanson et l’opéra. Il est en forme de strophe, d’où son nom de lied (« das Liet » en ancien allemand).

- Deux formes de lied. La forme la plus ancienne remonte au Moyen-Age, le volkslied (chanson populaire du folklore). Le plus célèbre volkslied est « Des Knaben Wunderhorn » (« Le cor merveilleux de l’enfant »). Dans la composition même du Volkslied, on retrouve peu de modulation (musique), la mélodie est toute simple et facile à retenir même pour ceux qui n’exercent pas le métier de musicien. Le kunslied (chanson artistique : Kunst veut dire art) sera cultivé par Beethoven et porté à son apogée par Schubert. C’est à partir de Herder que s’opère cette distinction de deux genres de Lied. Les influences du volkslied sont nombreuses : elles passent par Shakespeare et Rousseau. Une place importante est à accorder aux vieilles ballades de Thomas Percy qui eurent un succès considérable, spécialement en Allemagne.

- Lied et poésie. Le lied est une osmose de la musique et de la poésie. Le piano ne se contente pas d'accompagner le chant ; il est une seconde voix suggérant l'ambiance, le décor, les tensions.

II - Le lied avant Schubert

Le trio des compositeurs classiques du 18ème sièle et du 19ème débutant, Haydn, Mozart, Beethoven, a oeuvré pour le lied. Haydn a atteint l’âge mûr quand, à la faveur d'un second voyage en Angleterre, il compose des lieds sur des poèmes d’Anne Hunter en 1795. Mais c'est sa seconde série de Canzonettes - qui débute par « She never told her love » [ écouter ] sur un texte de Shakespeare - qui porta l’art du lied de Haydn à son apogée expressive. Mozart, lui, met en musique des poèmes de faible facture, à l’exception de « Das Veilchen » (La violette) de Goethe [ écouter ], son chef-d’œuvre. Plus ambitieux sur le plan poétique, Beethoven composera neuf lieder sur des textes de Goethe.

III - Le lied après Schubert

Pour les lieder de Schubert, je renvoie à mon article "les lieder sublimes de Schubert" qui lui est spécialement consacré. Franz Schubert a écrit plus de six cents lieder dont de nombreux à partir des textes de Goethe.

- SCHUMANN

A la recherche d’une poésie musicale, Schumann ne compose d'abord que pour son piano. En 1840, il compose ses premiers lieder sur des textes de Heine pour muse sa femme Clara. Tout comme Goethe fut le poète de Schubert, Heine sera le poète de Schumann. Malheureusement, son engouement pour ce poète sera de courte durée. En effet, Schumann, ne supportera plus les remarques de Heine à l’égard de Mendelssohn avec lequel il était très lié. La rupture entre le compositeur et le poète ne permettra pas de réitérer des chefs-d’œuvre comme « Dichterlliebe ». Schumann compose ensuite sur des textes de Rückert : « Lied der Braut I et II », « Rose, Meer und Sonne » et « Volksliedchen », « Schneeglöcken », « Meine scöner Stern »...

- BRAHMS

Auteur de la très célèbre berceuse, il préfère des poètes mineurs à Goethe parce qu'il veut rehausser les textes avec sa musique. Il puise aussi dans le patrimoine populaire allemand ou d'autres peuples.

- LISZT

Chez Liszt, si l'harmonie est germanique, la mélodie est latine. Il compose sur des textes de Goethe "Der du von dem Himmel bist", "Freudwoll und Leidwoll", "Über allen Gipfeln ist Ruh". Et sur des textes de Heine : "Du bist wie eine Blume", "Im Rhein, im schönen Strome", "Die Lorelei" (légende d'une sirène qui provoque la mort d'un batelier).

- MENDELSSOHN

Il aura comme tendance de choisir des poètes médiocres. Il composa néanmoins sur des poèmes de Heine : "Frühlingslied" (chanson printanière), "Neue Liebe" ainsi que "Auf Flügeln des Gesanges" (sur les ailes du chant). Il avait, comme Brahms, un goût et un don pour le lied populaire.

- WAGNER

On ne retient de ce compositeur que cinq lieder rassemblés dans le recueil "Wesendonck-lieder" et composés sur des poèmes de sa muse Mathilde Wesendonck. "Der Engel" rappelle Lohengrin et "Stehen still" le Vaisseau fantôme.

- GUSTAV MAHLER

Mahler abandonna le piano au profit de la version orchestrale. D'abord inspiré par le folklore bohémien, il évolue vers le mode symphonique.



"Das Klagende Lied" (le chant de la plainte) en trois parties : 1 - Waldmärchen / Histoire de la forêt. 2 - Der Spielmann / Le Ménestrel (Sehr gehalten). 3 - Hochzeitsstück / Le Mariage.

Mahler a aussi composé notamment : "Lieder eines fahrenden Gesellen" (chant d'un compagnon mourant), dont la première symphonie de Mahler est inspirée. "Des knaben Wunderhorn" (le cor merveilleux de l'enfant). Kindertotenlieder (chants pour des enfants morts). "Das Lied von der Erde" (le chant de la terre).

- HUGO WOLF

Dans le sillage tragique de Schumann, Wolf se montra très méticuleux dans le choix et la restitution des oeuvres poétiques. Son exigence perfectionniste fait que certains lieder sont des opéras en miniature. Une osmose se crée entre la musique du langage et le langage musical. Eduard Mörike sera « son » poète.

Le Lied de Mignon. Wolf reprend à son tour l'histoire de Mignon de Goethe, tirée du roman "Les années d'apprentissage de Wilhelm Meisters". Wilhelm Meisters, fils de riche négociant, rêve de de devenir artiste. Durant un voyage, il se joint à une troupe dans laquelle se trouve Philine, jeune femme légère mais charmante. Wilhelm enlève une jeune enfant, Mignon, aux forains. Lied "Kennst du das Land ?" : avec désespoir et nostalgie, Mignon songe à son Midi ensoleillé. Dans son voyage avec Wilhem, Mignon rencontre un vieillard triste qui joue de la harpe. Le premier chant du harpiste du Wilhelm Meister, "Wer sich der Einsamkeit ergibt" (quiconque s'abandonne à la solitude), est fondé sur un chromatisme descendant. A l'occasion d'une fête, Mignon est travestie en ange et, pressentant sa mort prochaine, elle chante "So laßt mich scheinen, bis ich werde" (laissez-moi devenir ce que je serai).

- RICHARD STRAUSS

Il n'était pas un maître du lied. Quelques lieder à retenir cependant : "Standchen". Et Vier Letzte Lieder. Quatre poèmes : "Frühling", "September", et "Beim Schlafengehen" d'Herman Hesse, et "Abendrot" d'Eichendorff, sans lien thématique, composés entre 1946 et 1948. Puis on découvrit son lied ultime, Malven (Les Mauves), daté du 23 Novembre 1948 sur des textes de Betty Knobel et dédiée à sa maîtresse, Maria. Les Quatre Derniers lieder, sont donc cinq. Ces lieder sont d'une beauté crépusculaire qui symbolise la fin du genre. Il est d'usage de terminer par Abendrot même s'il fut composé en premier, parce qu'il évoque le crépuscule du lied et la fin du compositeur.

IV -Aide à l'étude et à l'appréciation des lieder

L'approche de la musique se fait parfois plus aisément par l'écoute de chants sublimés par de belles voix sur de belles mélodies, sans souci du texte. La familiarité de l'existence d'un refrain ou d'un air à résonance populaire peut aussi aider. Pour ce qui est d'apprécier les textes, il est plus aisé de débuter par les poèmes de Heine comme "Seit ich ihn gesehen" (depuis que je l'ai vu), "Wenn ich in deine Augen seh' "(Quand je regarde au fond de tes yeux), "Du bist wie eine Blume" (Tu es pareille à une fleur). On peu taussi débuter par la trilogie symphonique de Mahler "Das Klagende Lied" (le chant de la plainte), le texte étant très narratif et pas trop élaboré poétiquement (ce n'est pas du Hölderin !).

[ une annexe à cet article - en zone commentaire sur Agoravox - viendra rappeler des règles grammaticales allemandes et donnera des astuces utiles pour permettre de mieux étudier et approcher les textes originaux ]

Et la célébrissime berceuse de Brahms ou le 3ème chant d'Ellen plus connu sous le titre d'Ave Maria".

1 - Deux exemples bien connus : Berceuse de Brahms et Ave Maria de Schubert

Wigenlied (berceuse) [écouter "Wigenlied"]

Guten Abend, gute Nacht,..................................Bonsoir, bonne nuit,
mit Rosen bedacht,.............................................Veillé par des roses
mit Näglein besteckt,..........................................Couvertes de petites épines,
schlupf′ unter die Deck !.....................................Glisse sous l'édredon !
Morgen früh, wenn Gott will,..............................Demain matin, si Dieu veut,
wirst du wieder geweckt....................................Tu seras à nouveau éveillé.

Guten Abend, gute Nacht,..................................Bonsoir, bonne nuit,
von Englein bewacht,.........................................Gardé par de petits anges.
die zeigen im Traum...........................................Ils te montrent en rêve
dir Christkindleins Baum...................................Le petit arbre du petit Jésus
Schlaf nun selig und süß,.............................Dors seulement, bienheureux et doucement
schau im Traum ′s Paradies............................Vois le paradis dans tes rêves.

Ellens dritter Gesang ("Ave Maria" ) [ écouter ]

Ave Maria ! Jungfrau mild,....................................Ave Maria ! Douce vierge,
Erhöre einer Jungfrau Flehen,........................Ecoute la supplication d'une jeune femme,
Aus diesem Felsen starr und wild....................De ce rocher immobile et sauvage
Soll mein Gebet zu dir hinwehen.......................Ma prière doit être emportée vers toi.
Wir schlafen sicher bis zum Morgen,................Nous dormons en sûreté jusqu'au matin,
Ob Menschen noch so grausam sind..............Même si des hommes sont encore si cruels.
O Jungfrau, sieh der Jungfrau Sorgen,........Ô vierge, vois le chagrin d'une jeune femme,
O Mutter, hör ein bittend Kind !...........................Ô mère, entends un enfant suppliant !
Ave Maria !..............................................................Ave Maria !

2 - L'étude de la forme musicale des lieder

Voici des indications utiles. Les lied revêtent le plus souvent la forme strophique simple ou strophique variée. Exemples : La Truite, Le Tilleul, « Heidenröslein » (la Petite rose des bruyères), de Schubert.

- la forme strophique simple du lied : c’est la forme la plus ancienne et la plus habituelle. La même musique est réutilisée à chaque strophe. Il est adapté à des poèmes à la prosodie très régulière. Le risque est la monotonie. Exemples : « Wiegenlied » (Berceuse) de Brahms ou « Auf dem Wasser zu singen » (À chanter sur l’eau) de Schubert.

- la forme strophique variée. Pour mieux calquer le contenu sur les variations du texte, les compositeurs ont modifié certaines strophes. Haydn, par exemple, procède de cette façon sur des textes anglais : Quatorze Canzonettas (« Sailor’s Song » et « Pleasing Pains »). Ou Schubert : le meilleur exemple est « Der Lindenbaum », 5ème lied du Voyage d’hiver. Ou encore Richard Strauss : « Das Rosenband ».

- la forme Durchkomponiert (« composé au travers » c’est-à-dire en continu), qui suppose plusieurs strophes : Des réussites de Schubert : « Gretchen am Spinnrade » (Marguerite au rouet) et « Erlkönig » (Le Roi des aulnes).

- les formes tripartites :

La forme AAB est héritée du Moyen-Age : couplet, couplet, envoi. Exemples : Schumann « Mondnacht » (Nuit étoilée), Schubert « Die Forelle » (la Truite), « An Sylvia » (A Sylvia : de Skakespeare, extrait des « Deux Gentilshommes de Vérone »), « Du bist die Ruh » (Tu es le repos).

La forme ABA : Schumann « Widmung » (Dédicace ».

- la forme rondo : forme strophique avec alternance couplet-refrain. Mais ici, les couplets sont interprétés différemment. C’est le cas du curieux « der Musensohn » (Le Fils des muses) de Schubert, où, entre chaque strophe du poème, une ritournelle pianistique fait office de refrain.

- la forme symétrique : elle est encore plus rare que la forme rondo.

Cet article a dénommé "chansons" des oeuvres quis sont des lieder (en allemand : un lied / des lieder), un genre spécifique allemand de l'époque romantique. Les puristes s'en offusqueront... Il est vrai que le mot "chanson" a pris, dans son acception moderne, un sens différent et fourre-tout, bien éloigné de la poésie et de la musique pures. Néanmoins, les lieder de certains compositeurs sont très proches des chansons de l'opéra. Par ailleurs, l'origine du lied est le liet moyenâgeux qui était bien un genre de chanson. Le lied, qui vient du peuple, retourne ainsi au peuple ! Le choix du mot "chanson" était aussi, bien entendu, fait dans l'intention d'attirer des lecteurs non accoutumés à ce genre vocal. Nul doute que le lecteur-auditeur saura trouver chaussure à son pied dans le tri assez large proposé ici.

Bonne écoute !

 


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