Les enfants du paradis
par Jules Elysard
mardi 6 novembre 2012
Une nouvelle sortie du film en salles et une exposition à la cinémathèque :
"Les Enfants du paradis, le chef-d’œuvre de Marcel Carné, d’après un scénario de Jacques Prévert, est l’un des films français les plus connus dans le monde, admiré depuis sa sortie en 1945.
En 1830, les rideaux s’ouvrent à Paris sur le boulevard du Crime, en pleine période du Romantisme. Merveilleux et fascinants, les personnages inventés par Prévert sont emportés dans un flux balzacien, une atmosphère fiévreuse qui oscille entre le rêve et la réalité. Les Enfants du paradis relate surtout l’histoire d’un amour fou impossible entre une fine fleur du pavé parisien nommée Garance (Arletty) et, le mime Baptiste Deburau (Jean-Louis Barrault) qui fait la gloire du théâtre des Funambules.
Répliques étincelantes, mouvements de foule, joie de vivre désespérée, sont portés par l’interprétation des plus talentueux acteurs de l’époque : Arletty, Jean-Louis Barrault, Pierre Brasseur, Maria Casarès, Pierre Renoir, Louis Salou et Marcel Herrand. La mise en scène de Marcel Carné impressionne par sa fluidité et son sens de l’équilibre.
La réalisation de cette œuvre majeure s’est faite sous l’Occupation, à une période noire de l’Histoire de France. Des débuts du tournage, en 1943, aux studios de la Victorine à Nice, puis aux studios Francoeur à Paris, jusqu’à la sortie du film le 15 mars 1945, le tournage des Enfants du paradis connaîtra de nombreuses vicissitudes liées à la situation politique que traversait la France à cette période.
Une exposition produite par La Cinémathèque française réalisée en partenariat avec la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, grâce au mécénat de Pathé, avec le concours de Madame Tania Lesaffre / Succession Marcel Carné et de Fatras / Succession Jacques Prévert."
http://www.cinematheque.fr/fr/expositions-cinema/exposition-enfants-paradis.html
Quand j’étais enfant, j’aimais aller dans un magasin de jouets et je me souviens qu’il s’appelait le Paradis des enfants. J’y achetais des petites voitures et des petits soldats.
Plus tard, j’ai découvert Les enfants du paradis. C’est un film de cinéma, en noir et blanc, réalisé par Marcel Carné en 1943 et 1944, sur un scénario et des dialogues de Jacques Prévert, sorti en salles en 1945.
Les enfants d’aujourd’hui se souviennent peut-être que ces années font partie de la Deuxième Guerre mondiale, et les années du tournage font même partie des années dites de « l’occupation ». Ils se rappellent que le 11 novembre 1942 a vu les Allemands envahir la « Zone dite libre » (pour répondre au débarquement des forces alliées en Afrique du Nord) ; que l’année 1943 a débuté en février par la capitulation d’une armée allemande à Stalingrad et s’est poursuivie par la « reconquête de l’Italie. Et ils savent tous que le 6 juin 1944, les forces alliées débarquaient en Normandie.
Et pendant ce temps, le film avait été tourné à Nice, puis à Paris après le débarquement. Il était le fruit d’une nouvelle collaboration de Marcel Carné et de Jacques Prévert, mais aussi de Vladimir Cosma et d’Alexandre Trauner. Les rôles principaux étaient tenus par Jean-Louis Barrault ; Pierre Brasseur, Marcel Herrand et Arletty (qui, de son propre aveu, n’avait pas été très résistante). Un rôle secondaire (Jéricho) avait d’abord été tenu par Robert le Vigan (collaborationniste notoire) avant d’être confié à Pierre Renoir.
Jacques Prévert avait été passagèrement surréaliste et communiste, mais est resté durablement plutôt anarchiste. L’idée du film vient d’abord de Jean Louis Barrault qui avait envie d’incarner le mime Jean-Gaspard-Baptiste Deburau. Il proposa cette idée à Prévert, lui rappelant qu’à la même époque vivaient aussi Frédérick Lemaître et Pierre François Lacenaire.
Je ne sais pas pourquoi dans les premiers écrits Prévert les a rebaptisés Tabureau, Leprince et Mécenaire. Mécenaire ? Serait-ce une prémonition de Mesrine, l’assassin lettré du siècle suivant ? Non, évidemment, puisque ce patronyme sera prononcé Mérine par celui qui le portera et finira sa vie porte de Clignancourt.
Dans le film, l’action se déroule principalement Boulevard du Temple, que la langue populaire avait rebaptisé (avant sa transformation par le Préfet Haussmann, le grand urbaniste du Second Empire) Boulevard du Crime, non pas en raison des nombreux crimes de sang qui y auraient été commis, mais en « en raison des nombreux crimes qui étaient représentés chaque soir dans les mélodrames de ses théâtres » (Wikiped).
Le film se compose de deux époques : Le Boulevard du crime et L'Homme blanc. Mais, selon certains témoins, c’est une troisième époque, restée à l’état l’ébauche, que Jean Louis Barrault avait d’abord soumis à son ami Prévert. Baptiste Deburau n’était pas dans le civil le clown blanc qu’il était sur scène. Il avait tué dans la rue (à coup de canne, semble-t-il) un ouvrier qui avait manqué de respect à sa femme. S’en était suivi un procès où la foule se pressa pour entendre la voix du mime, procès à l’issue duquel il fut acquitté.
Mais c’est autre tueur qui avait les faveurs de Prévert. Lacenaire se revendiquait assassin et réussit, lui, à se faire guillotiner. Il était donc dans le « panthéon surréaliste » et, sur ce point, Jacques Prévert rejoignait André Breton qui avait consacré quelques pages au dandy tueur dans son Anthologie de l’humour noir. Il y a donc deux histoires dans le film : celle rêvée par Barrault consacrée à Deburau ; et celle gambergée par Prévert et hantée à Lacenaire. C’est dans sa bouche qu’il met les paroles les plus fortes et les plus désespérées et, souvent, elles sont empruntées aux Mémoires qu’a laissés le tueur solitaire. Et les répliques qu’il met dans la bouche de Garance sont les plus astucieuses et les plus désarmantes.
Prévert se déchaîne aussi dans le personnage de Frédérick Lemaître et on apprend que la scène du « détournement » de L’auberge des Adrets est historique.
« Comment, sans faire rire, rendre ce personnage grossièrement cynique, cet assassin de grand chemin,… poussant l’impudence jusqu’à se friser les favoris avec un poignard, tout en mangeant un morceau de fromage de gruyère !... Un soir, en tournant et retournant les pages de mon manuscrit, je me mis à trouver excessivement bouffonnes toutes les situations et toutes les phrases des rôles de Robert Macaire et de Bertrand, si elles étaient prises au comique.
Je fis part à Firmin, garçon d’esprit, et qui comme moi se trouvait mal à son aise dans un Bertrand sérieux, de l’idée bizarre, folle, qui m’avait traversé l’imagination.
Il la trouva sublime ! »
(Frédérick Lemaître, Souvenirs cité par Wikiped)
Quelques répliques pour finir :
Garance à Lacenaire :
« Vous avez la tête trop chaude pour moi, Pierre François, et le cœur trop froid. Je crains les courants d’air. »
Frédérick Lemaître au comte de Montray :
« Croyez, Monsieur, que je suis sensible à l’honneur que vous me ferez en envoyant dans l’autre monde un homme qui n’est pas du vôtre ! »
Garance au comte de Montray :
« Vous êtes extraordinaire, Edouard. Non seulement vous êtes riche, mais encore vous voulez qu’on vous aime comme si vous étiez pauvre ! Et les pauvres, alors ! Soyez raisonnable, mon ami, on ne peut tout de même pas tout leur prendre, aux pauvres !
Guy Debord, qui a longtemps joué aux petits soldats (mais jamais, peut-être, aux petites voitures) et qui s’est manifestement identifié à Lacenaire, en reprend quelques-unes dans son film In girum imus nocte et consumimur igni (1978).
D’autres films, avant celui-là, avaient déjà « revisité » Les enfants du paradis. L’exposition en donne un aperçu. On peut s’y attarder avant de revoir le film, ou après l’avoir revu.
J’y ai même rencontré un visiteur qui n’avait pas encore vu le film.
http://www.cinematheque.fr/fr/expositions-cinema/exposition-enfants-paradis.html
http://www.youtube.com/watch?v=TvzN3a2-Z6A
http://www.youtube.com/watch?v=wqE2kGUd_Z8