« Les enfants du silence » (se) font « signe » au Vieux-Colombier
par Theothea.com
jeudi 23 avril 2015
- LES ENFANTS DU SILENCE
- photo © Cosimo Mirco Magliocca / collection Comédie-Française
« The sound of silence » chantent toujours Simon & Garfunkel ! Serait-ce un paradoxe similaire qui régit actuellement la mise en scène d’Anne-Marie Etienne au Vieux-Colombier ?
Ce bruit du silence qui, déjà pareillement, envoûtait Jean-Marc Barr dans « Le Grand Bleu » descendant vers l’ivresse des profondeurs avec un mieux-être progressif aussi fascinant que maléfique !
Ainsi se révèle un monde en autarcie que ceux qui y pénètrent pourraient défendre bec et ongles, tellement sa richesse intérieure leur apparaît supérieure en intensité et en qualité intrinsèque.
Dans cette perspective, pourquoi vouloir se rapprocher de l’univers des parlants en tentant de communiquer dans leur langage si limité par des mots articulés qui ne seraient que vibrations de l’air évanescentes ?
Françoise Gillard interprète donc le rôle de Sarah avec un brio absolument remarquable d’aisance, de détermination et de conviction ; c’est, de toute évidence, à une lutte avec elle-même que nous assistons, médusés par tous ces efforts ressentis vains malgré leur motivation d’apparence ô combien rationnelle.
Il y a donc un frein de taille gigantesque à cet apprentissage de la lecture sur les lèvres du partenaire avec tentative de reproduire par la voix leur fonctionnement phonique censé relier le monde des sourds au paradis en trompe l’oreille de tous les « beaux parleurs ».
Cette frontière, c’est tout simplement le bénéfice objectif que la langue des signes a su générer, à la fois, par sa grammaire dédiée mais, surtout, par la force des symboles qu’elle véhicule dans un silence total et sans aucun doute jubilatoire pour ceux qui la pratiquent, d’autant plus s’ils sont effectivement complètement sourds !
Bref, il y a un trésor à défendre et c’est bel et bien ce que fait Sarah sur la scène du Vieux Colombier face à Jacques Leeds (Laurent Natrella), l’orthophoniste empli de bonne volonté en cherchant à convaincre celle-ci qu’elle aurait tout à gagner, notamment sur le plan social, si elle parvenait enfin à « parler » d’une manière « adaptée » !
C’est ici que surgit le ressort psycho-dramatique et surtout glamour de leur rencontre thérapeutique alors que celle-ci se transforme à vue en histoire d’amour façon « Love Story » !
Le rôle de Laurent Natrella est quasiment héroïque car il se fonde sur une performance d’acteur qui doit, à la fois, jouer et se voir jouer en s’exprimant en langue des signes tout en traduisant oralement ceux que Sarah refuse d’articuler par la voix.
Cette attirance entre lui et elle ne cesse d’alimenter la quête de communication qu’ils poursuivent en parallèle, tous les deux simultanément, mais dont ils devront prendre conscience qu’en fait, elle les sépare de plus en plus, par méconnaissance irréductible réciproque du monde de l’autre.
C’est tout simplement magnifique !… Il suffit de se laisser porter par ces puissants enjeux pour être pris d’un vertige indicible et, sans doute en effet, métaphorique à celui de l’abîme insondable que nous suggérait ainsi Luc Besson dans « Le Grand Bleu ».
photos © Cosimo Mirco Magliocca / collection Comédie-Française
LES ENFANTS DU SILENCE - ***. Theothea.com - de Mark Medoff - mise en scène Anne-Marie Etienne - avec Catherine SALVIAT, Alain LENGLET, Françoise GILLARD, Laurent NATRELLA, Nicolas LORMEAU, Elliot JENICOT & Anna CERVINKA - Vieux-Colombier