Les fils de l’homme
par jamesdu75
lundi 13 novembre 2006
2027, une mystérieuse épidémie rend les femmes stériles dans le monde. La population vieillit, en ce matin d’automne les Anglais sont émus par le meurtre du plus jeune Anglais vivant sur l’île. Le groupe terroriste poisson pose une bombe dans un café sans la revendiquer, les étrangers en situation irrégulière sont parqués comme des chiens pour être évacués hors du pays. Un homme, Théo (Clive Owen), désabusé, alcoolique est contacté par son ex-femme (Julianne Moore) devenue terroriste pour aider une jeune fille à sortir du pays. Cette jeune fille, Kee (Claire-Hope Ashitey), noire, d’une vingtaine d’années, est enceinte. Une première, depuis presque vingt ans.
Voila le point de départ du dernier film d’Alfonso Cuaron, à qui l’on doit l’excellent Y tù mama tambien ou Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban. L’histoire est tirée du livre éponyme écrit par P.-D. James, publié en 1993.
Pour recréer un Londres futuriste et ses environs surpeuplés, pollués et en proie à des guerres internes et externes, le réalisateur n’a pas, comme beaucoup de bourins hollywoodiens, utilisé d’effets spéciaux à outrance ou, comme Ridley Scott dans Blade Runner, plongé l’atmosphère du film dans un monde délirant noyé dans la nuit. Non, il a simplement grossi les choses ; pour ceux qui ont déjà visité Picadily Circus ou Cadmen Town, les prises de vues sont impressionnantes, on s’y croirait presque, chaque rue est à l’identique de ce qu’elle était dans le Londres de 2006. Un monde gris, sale, pour autant proche de la réalité. La guerre fait rage hors des frontières, le développement de nouvelles technologies est peu sensible, les habitudes humaines sont là. Des voitures très proches des nôtres (un Velsatis ou une DS modifié), des triporteurs comme on en voit des milliers dans les cités surpeuplées d’Asie du Sud-Est.
Cette histoire pourrait sur certains point rappeler le livre 1984, avec énormément de références au passé et au présent : Londres, l’Angleterre protégée par ses frontières naturelles qui l’ont sauvée à plusieurs reprises. Une politique intérieure encore plus dure que pendant les années Churchill et surtout, les derniers événements tels que les attentats du métro, la peur de l’Africain, du musulman, comme pendant l’été 2005. Reprenant encore une fois la réalité, Alfonso Cuaron mélange les conflits qui divisent le monde. Certaines scènes sont filmées tellement près d’une explosion, d’un tir de fusil, qu’elles peuvent devenir à tout moment un documentaire fictif sur une guerre réelle. Au Mexique, la police se promène en pick-up avec des mitraillettes, des rapts sont faits sur les autoroutes du Nord, les USA créent un mur de la honte pour se protéger d’hommes qui ne veulent qu’une chose, vivre. Le réalisateur, loin de ce genre de tracas, plus européen, préfère filmer autrement. Le conflit israélo-palestinien, la guerre dans les Balkans, l’abattoir de Guantanamo, les ghettos sous l’Allemagne nazie, les étrangers traités comme des chiens dans des cages, un passeur de clandestins venant de l’Est, donnent l’impression d’images tirées du JT de 20 heures. Des femmes en larmes pleurant leur fils mort dans leurs bras, des hommes criant le nom d’un dieu qui les a abandonnés, des militaires surarmés n’hésitant pas à tirer sur le premier civil venu, comme le font l’armée israélienne en Palestine ou l’armée américaine en Irak. Et tout ça, pourquoi ?
Pour une population condamnée par ses dérives, armes chimiques, guerres ? Pour être certain que son pire ennemi sera forcément mort même si aucune autre génération ne sera là pour le voir ? Tout simplement l’humanité condamnée à la solitude sait que quoi qu’elle fasse, son sort sera sellé, donc autant laisser revenir ses instincts les plus primaires. Une seule chose est sûre, tout le monde va mourir de vieillesse ou par balle.
Sans dévoiler le film, juste une scène, qui se superpose aussi tristement que possible à notre réalité et montre la détresse et l’incompréhension dans laquelle nous vivons : la jeune maman, armée de son bébé, chose que personnes n’avait vu depuis presque vingt ans, passe devant des « terroristes » et des militaires. Elle, jeune noire, symbole du futur, plus forte qu’un fusil, plus forte qu’un char, fait baisser les armes aux hommes, les immoraux de nature, fait verser une larme à ceux qui avait oublié, leur fait reprendre goût en une foi qu’ils avaient perdue. Puis, après être passés, les hommes oublient vite ce miracle de la nature qu’est la naissance, pour se concentrer à nouveau sur la guerre.
Le jeu des acteurs, depuis Clive Owen jusqu’à la jeune inconnue Claire-Hope Ashitey, est parfait. Il sera bon aussi de voir que les prestations de Michael Caine et Peter Mullan - méconnaissable - sont d’une drôlerie qui fait oublier par moments que l’homme peut être dur. Il est réellement préférable de voir le film en VO, ne serait-ce que pour les passages où l’accent d’une personne fait la différence entre la vie sûre et sans encombre en Angleterre ou la mort dans un camp de concentration sordide. Comme je l’ai dit plus haut, le réalisateur a choisi une image granuleuse, proche de celle d’un documentaire, des séries de plan séquences pour nous immerger dans une atmosphère apocalyptique. Une bande son très sixties renforce ce sentiment d’un monde qui ignore quelle sera sa destinée et donc se réfugie dans sa meilleure période.
Les fils de l’homme est sorti le 18 octobre, il a fait peu d’entrées, en raison certainement d’une quasi-absence de publicité. Mais tout comme Bienvenue à Gattaca ou Brazil, c’est le genre de films qui, comme un bon vin, sera bonifié avec le temps et deviendra "culte". Et dans quelques années (en 2027, peut-être) les gens se diront : « Sur beaucoup de point il avait tort, mais quelle clairvoyance ! ». Hélas non, P.-D. James et Cuaron ne connaissent pas l’avenir, mais à l’instar d’un Orwell ou d’un Jules Vergnes, ils reprennent les peurs, la technologie d’aujourd’hui, et les grossissent.
Le seul point noir du film sera sa durée, 1h50, trop court. Une demi-heure de plus n’aurait pas été de trop, ne serait-ce que pour en savoir un peu plus sur les personnages, sur les origines de la défaite de l’humanité.