Les Fous de l’Empire

par henry_jacques
samedi 30 mars 2013

Leur passion pour le premier Empire est sans borne. Pas un détail de l’Histoire ne leur échappe, ni la moindre anecdote concernant la vie des soldats, jusqu’aux manœuvres militaires. Faire revivre les troupes de Napoléon, tel est le grain de folie qui anime tous ces groupes de reconstitution. Chacun a son hobby ou son idole, cela tourne parfois à l’obsession.

BELGIUM (Waterloo) Battle reconstitution
©JPPorcher

Dans des uniformes impeccablement confectionnés par leurs soins, ils s’invectivent dans un vocabula ire de hussard... mais attention, le manque de respect à son capitaine vaudra comme sanction, un tour de garde. On croit rêver ! Eh bien non, nous sommes en plein XXIème siècle, la réalité dépasse la fiction.

Aujourd’hui ils sont près de deux cents reconstituants en France. « A l’origine, avec plusieurs amateurs figurinistes, nous avons eu l’idée de reconstituer à échelle réelle des uniformes », explique un des pionniers. Les régiments se sont créés spontanément, regroupés en association, au gré des affinités et des goûts de chacun. Evidemment le prestige de l’uniforme y est pour quelque chose.

Pour certains, il s’agit d’une révélation précoce, « J’avais 5 ans lorsque je suis allé au musée du Louvre. J’ai eu le choc de ma vie devant le tableau du ‘’Chasseur à cheval’’ de Géricault. Je me suis juré de lui ressembler. Depuis, partout où je vais, j’ai toujours cette reproduction du chasseur avec moi ». Jean-François est cadre commercial dans la vie. Aussitôt sa fonction achevée, il se réfugie dans son appartement cossu, où l’empereur n’aurait dédaigné y passer une nuit. Il l’agence à grands coups de sacrifices. Avec une authenticité Premier Empire qui ferait pâlir de jalousie un metteur en scène. Son mobilier d’époque est encombré de trophées, de la balle extraite d’un champ de bataille à un aigle en pierre rapporté de l’ile d’Elbe.

FRANCE (Paris) Napoléonians passionates in their flat
©JPPorcher

Quand ils n’évoquent pas un vieux rêve, tous avouent une passion démesurée pour l’Empire à travers les armes et surtout les soldats de plomb. Patrick, du 1er régiment des tirailleurs grenadier de la jeune garde’’, est de ceux-là, « Depuis une vingtaine d’années que je peins et collectionne les figurines, j’ai réussi à constituer un war game de cinq armées, soit 5.000 soldats de plomb ! ».

Lui, c’est Armand ou Napoléon, on ne distingue plus ! L’identification est édifiante. Même loin des regards, il conserve la pose. C’est sur l’insistance de ses compagnons qu’il est devenu ‘’l’Empereur’’. Et il y met du sien : grâce à une bibliothèque de plus de 500 ouvrages, le personnage n’a plus de secret pour lui, « Je promène une silhouette qui est très populaire. On m’appelle ‘’Sire’’, je joue le jeu, mais c’est un rôle délicat ». Evidemment, il ne plaît guère à tout le monde.

FRANCE (Mourmelon) The Emperor front a tank of the dersert storm war
©JPPorcher

C’est l’habit qui fait l’homme

‘’Les réunions de travail’’ prennent de drôles de tournures. Une fois le calendrier des sorties établi, ils se livrent à des activités surprenantes... En effet, par soucis d’économies, ils sont nombreux à coudre et à broder eux-mêmes leurs tenues. « Comme il a fallu tout apprendre, nous nous sommes spécialisés, et répartis les tâches », explique Bruno, du 1er des chasseurs à pieds de la Garde Impériale. Lui-même taille les ceintures en buffle et coud les gibernes (petit sac à cartouches).

De quoi remplir les longues soirées d’hiver ! Les moins patients ont fait appel à Christian, enrôlé dans le groupe. Maître tailleur dans l’armée, il remet çà le week-end pour toutes les nouvelles recrues. Grâce à son poste, il a retrouvé et copié dans les moindres détails les uniformes d’époque, jusqu’aux boucles et boutons moulés sur les originaux (certains maniaques, vont jusqu’à se laisser enfermer dans les musées afin de relever les empreintes). Un uniforme coûte environ 3.000 €. Le goût de la perfection n’a pas de limite ; il peut atteindre 7.700 €. « Que l’on vienne pas nous dire que l’on se déguise, nous voulons seulement faire descendre l’histoire dans la rue ».

Une de leurs principales activités est bien sûr la recherche de documents historiques. Cela va des planches d’uniformologie à la biographie de soldats en passant par les récits de bataille. Ainsi, les membres du 10ème escadron se sont attribués des noms de soldats , aux mêmes initiales que les leurs, quand ils n’ont pas retrouvé un ancêtre. D’autres groupes reproduisent des livrets militaires où ils ne manquent pas de signaler : campagnes et batailles, grades et sanctions, blessures et infirmités.

Le bivouac, l’histoire en direct

BELGIUM (WATERLOO) Bivouac of the Napoleonians passionates
©JPPorcher

Du scoutisme au masochisme, ils ont franchit le pas. A la ferme du Caillou, campement de Napoléon à Waterloo, ils arrivent avec malles, armes et provisions, et, sans tarder, installent les petites tentes en toile écrue. « Ici, pas question d’anachronisme, on dort dans la paille, chacun à son écuelle et sa timbale en étain », explique Vincent, sergent du 1er chasseur à pieds de la vieille garde impériale. Il commande et répartit les corvées . En plein air, c’est l’occasion d’effectuer les manœuvres. Après 20 kilomètres de crapahutage dans les champs, le bain de pieds ressemble à la terre promise. Le soir, ils se retrouvent autour du feu. Dans la marmite cuit une soupe fameuse, lentilles, patates et saucisses assaisonnées à la poudre de fusil ! Ce frugal repas absorbé, c’est au rythme de « J’aime l’oignon frit à l‘huile », suivi de chansons paillardes que s’égrène la veillée.

Ce régiment boycotte les grandes reconstitutions comme celle de Waterloo (une défaite !) « C’est une pitrerie, il y a beaucoup trop de ‘’déguisés’’ ». Cette manifestation qui a lieu tous les ans regroupe quand même 3.000 figurants venus de toute l’Europe, et même de Russie. La prochaine aura lieu les 22 et 23 juin prochains.

Boulogne sur Mer, autre rassemblement qui réunit pas loin de 2.000 participants. C’est ici, au bord de la falaise que Napoléon surveillait les côtes anglaises. La réplique est parfaite et reproduit sans conteste l’illustration d’un livre d’histoire.

FRANCE (Boulogne sur mer) The Emperor watching the British navy
©JPPorcher

L’Histoire n’a pas oublié les femmes. Elles sont quelques cantinières comme la ‘’mère Hulote’’ qui donnent la goutte aux soldats (un alcool maison), et assurent l’intendance.

La manie de l’extrême

Fontainebleau, la Malmaison et bien d’autres sites commémoratifs sont leurs terrains de prédilection. Mais, Waterloo reste un haut lieu de pélerinage... Pour le week-end, Jean-Louis dans son habit de général de division de hussard, n’a pas résisté à se rendre en Belgique, pour découvrir le nouvel ‘’Hotel 1815’’. Ici les chambres portent les noms de Soult, Ney, Cambrone ou Napoléon. Mais c’est à Welington, le vainqueur de la Bataille, qu’on a réservé la suite, boudée par certains voyageurs. Aucun détail n’a été négligé, comme le très kitch mini-golf reproduisant le champ de bataille.

Quant aux vacances, elles sont toutes trouvées. Borodino, Leipzig ou Iéna... sont prétextes à des récits épiques. A l’occasion de ces grands départs, les groupes recrutent. Mais attention, cette passion peut rendre fou. Comme le rédacteur en chef du magazine Tradition, leur média favori. Parti en reportage, il s’est retrouvé en uniforme àparticiper à leurs exploits.


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