Les Gaulois se sont levés en l’entendant chanter

par Emile Mourey
samedi 14 juin 2008

Il est pénible de toujours entendre la même chanson, que les Romains auraient tout fait et qu’ils nous auraient tout apporté. Après la découverte récente d’un buste de César dont, manifestement, on s’est débarrassé en le jetant dans le Rhône, c’est la ministre de la Culture elle-même qui nous affirme dans son communiqué du 13 mai que le vainqueur d’Alésia serait le fondateur de la cité romaine d’Arles et que cette ville n’aurait été créée qu’en 46 avant J.C. !

Le problème, c’est qu’il n’existe aucun texte, aucun document qui permette vraiment à la ministre de dire que la fondation d’Arles ait été le fait de Jules César. Voici ce que l’intéressé a écrit dans ses Commentaires sur la guerre civile qui l’opposa à Pompée : César porte trois légions à Marseille. Il fait construire les tours et les baraques d’assaut pour attaquer la ville. Il fait faire douze galères à Arles. Celles-ci sont réalisées et équipées en trente jours, abattage et débitage du bois compris. Á leur arrivée à Marseille, il en donne le commandement à Brutus et il laisse au légat Trebonius le soin d’attaquer Marseille (DBC, I, 1, 36 - traduction E. Mourey).

Le seul enseignement que l’on peut tirer de ce témoignage est qu’en 49 avant J.C., trois ans après Alésia, la ville gauloise d’Arles existait bel et bien, puisqu’on était en mesure d’y construire douze galères dans son chantier naval, et cela, en moins de trente jours, ce qui est une belle performance. Et c’est bien ce que confirme Strabon : Il y a pourtant sur les bords du Rhône une autre ville, la ville d’Arelate, dont le marché ne manque pas non plus d’importance (Geog. IV, I, 6). Le mot "polis" utilisé par Strabon est un terme précis qui, depuis le VII ème siècle avant J.C., définit une cité grecque comme un ensemble géographique (ville et territoire) social, administratif et politique autonome et libre (cf. Mireille Courrent de l’Université de Perpignan). Rien à voir avec une fondation romaine. J’ajoute que Strabon s’inspire d’écrits antérieurs à la guerre des Gaules et qu’il ne manque jamais de signaler les quelques empreintes ou traces que les Romains ont laissées.

L’autre texte important - qui explique l’interprétation de la ministre - est un passage du testament de l’empereur Auguste, Res gestae divi Augusti, qui dit ceci : « Colonia Julia paterna Arelate sextanorum, colonie des vétérans de la VI ème légion fondée à Arles par mon père Jules César ». Le seul enseignement que l’on peut tirer de ce passage est que des vétérans de la sixième légion - retraités ou pré-retraités - ont été installés par César à Arles, sous forme de colonie, de toute évidence pour maintenir la cité gauloise dans le droit chemin (et non pas par reconnaissance comme on l’écrit encore avec beaucoup de naïveté).

Á quel endroit, cette colonie s’est-elle installée ? La ville gauloise ayant logiquement choisi de se placer sur la hauteur défendable de la région, à l’est du Rhône, il me semble militairement tout aussi logique que cette colonie se soit installée face à la ville gauloise, sur la rive ouest, et cela pour de multiples raisons (méfiance à l’égard des autochtones, sécurité, concurrence économique). L’installer au milieu de la population locale, à la merci des mouvements de foule ou de la moindre insurrection, est, à mon sens, une absurdité.


Il n’y a d’ailleurs là rien de contradictoire avec le fait que la ville "gauloise" d’Arles se soit développée à la façon des villes romaines. Le rhéteur Eumène l’affirme pour la cité éduenne : notre cité qui, la première, a reconstruit sur l’emplacement des villes détruites des villes en quelque sorte romaines (il s’agit de la ville gauloise d’Autun avec ses portes monumentales en forme d’arcs de triomphe romains. Actions de grâces à Constantin).

Qu’il y ait eu quelques alliances matrimoniales entre Gaulois et Romains, c’est prouvé en ce qui concerne la classe noble mais quant à y voir une mixité gallo-romaine généralisée dans l’ensemble du pays, c’est une vaste fumisterie que de l’enseigner dans nos écoles. En 21 après Jésus-Christ, la Gaule se soulève. En 68, c’est le Gaulois Vindex qui dresse une partie de l’empire contre Néron.

On sait que l’empereur Néron aimait monter sur scène pour se faire applaudir sous le masque de comédien. Suétone rapporte qu’à Rome, les séditieux écrivaient sur les colonnes : « Les Gaulois, eux-mêmes, se sont levés en l’entendant chanter. » (Il s’agit là d’une phrase sybilline à sens caché et ironique ; le verbe excitasse est un mot à double sens. Suétone, vie des douze Césars, Néron, 45).

La Gaule retrouve son indépendance au III ème siècle. Les spécialistes peuvent avancer toutes les nuances qu’on voudra. Le fait est là. L’avènement des empereurs gaulois marque la scission d’avec Rome. Le colonialisme romain est mort et enterré. Et si le IV ème siècle marque le retour de la Gaule dans l’empire, c’est sur des bases tout à fait nouvelles avec la montée en puissance du christianisme. Que sont devenues les anciennes colonies romaines avec leurs statues païennes de Neptune ou de satyre ? Ont-elles fini dans le Rhône, comme à Arles, avec le buste de Jules César ? Le quartier détruit d’Arles dont on a retrouvé les vestiges sur la rive ouest du Rhône ne correspondrait-il pas à l’emplacement de l’ancienne colonie romaine ?

Non ! Madame la ministre de la Culture, je ne pense pas qu’Arles ait été une fondation romaine. En relisant votre communiqué, je mesure avec effroi combien la propagande romaine a été efficace dans le modelage de nos cerveaux jusqu’à aujourd’hui. Il faut se méfier des vainqueurs qui écrivent l’Histoire, surtout quand c’est devenu une mode pour les historiens conventionnels d’en rajouter.

Surfez sur le web ! Ne croyez pas sur paroles ceux qui, un jour, placent Gergovie sur une hauteur pelée, et un autre jour dans la plaine, incapables qu’ils sont de vous expliquer la magnifique cathédrale de la ville arlésienne. Lisez Wikipedia ! Occupé dès le Xe siècle av. J.-C. par les Ligures, puis après la première migration celte, par les Celto-Ligures, le site d’Arles est fréquenté par des commerçants méditerranéens, Phéniciens et Etrusques notamment.

Avec la fondation de Marseille (600 av. J.-C.), la ville s’organise vers la fin du Ve siècle av. J.-C. d’abord en emporion grec puis en colonie appelée Théliné.

Lors de la poussée celte du début du IVe siècle av. J.-C., la cité revient sous domination autochtone et reprend son patronyme d’Arelate et entretient des relations mouvementées avec sa voisine Marseille. A la fin de l’été 218 av. J.-C., Hannibal franchit le Rhône à proximité d’Arles. Peu après, vers 200 av. J.-C., Arles participe à la fédération des Salyens fondée par une aristocratie locale qui s’oppose à la cité-État marseillaise.

Certains pensent qu’Arles, dans la légende, fut crée par le grand Titan Cyril demi-fils caché de Chronos. Cela n’aurait rien d’étonnant ; les Gaulois étaient des géants. Voyez mon article du 20 mai : Bibracte, Gergovie, Pergame, le combat des géants et des dieux.


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