Les grandes tragédiennes de la chanson française

par Taverne
mardi 20 août 2013

Si Edith Piaf est la plus populaire des chanteuses tragédiennes des années 30 - 40, C'est à Damia que revint le titre de « la tragédienne de la chanson ». Par ailleurs, Edith Piaf a reconnu sa dette envers Marie Dubas, qu'elle admirait beaucoup et à qui elle emprunta la chanson "Mon légionnaire". L’humour, le charme et le drame sont les trois piliers de la chanson des années 30. Les hommes préfèrent le registre comique, satirique, ou amoureux. Ils évitent le drame qu’ils laissent aux chanteuses tragédiennes comme Marie Dubas.

Edith Piaf est venue couronner une série de grandes tragédiennes de la chanson des années 1930 - 40. Pour autant, il ne faut pas oublier ce qu'elle doit à ses aînées, notamment à Marie Dubas.
 
Damia (1889 - 1978). Baptisée "la tragédienne de la chanson" ou "la tragédienne lyrique", Damia donna une telle force d'interprétation aux chansons que l'on peut dire qu'il y a un avant Damia et un après Damia pour les interprètes. En effet, avant Damia, on retenait davantage le nom du compositeur et de l'auteur que celui de l'interprète. Avec Damia, on dit : c'est une chanson de Damia". L'interprète a acquis ses lettres de noblesse et il est considéré comme un créateur part entière. Damia est une diseuse de drames. Et sa gestuelle, très forte, vient accompagner les inflexions tragiques de sa voix.

C'est Sacha Guitry qui lui conseilla le fourreau noir qui dessine sa silhouette. Vêtue d’une longue robe noire, sans manches et décolletée en V, qui la moule comme un fourreau, elle impose un style que d'autres chanteuses réalistes, après elle, imiteront : Edith Piaf, Juliette Gréco, Barbara. 

Dans son interprétation des « Goélands », elle déploie ses longs bras blancs comme des ailes maladives, faisant ainsi d'une chanson moyenne un moment fort d'interprétation. Jean Eustache a fait redécouvrir Damia dans son film « La Maman et la Putain ».

Ecouter ici 4 titres de Damia dont une version filmée et "La veuve", qui est un poème réquisitoire contre la peine de mort de Jules Jouy composé en 1887. "La veuve" est un surnom donné à la guillotine. Le poème a été mis en musique en 1924 par Pierre Larrieu à la demande de Damia.
 
Fréhel (1891 - 1951)

Connue pour "La Java bleue", cette Bretonne, parisienne d'adoption, s’est d’abord appelée Pervenche. Elle prit ensuite le nom de scène de Fréhel en référence au cap breton du même nom. Elle n’a pas besoin de dramatiser, sa vie est un drame qui dépasse l’imagination créative de ses paroliers. Son père est un ancien cheminot devenu invalide, ayant perdu un bras, happé par une locomotive, tandis que sa mère, concierge, se livrait accessoirement à la prostitution. Elle fuit une vie sentimentale désastreuse (le comédien Roberty la délaisse pour Damia, Maurice Chevalier la quitte pour Mistinguett), et elle finit par plonger dans l'alcool et la drogue. Elle quitte la France pour l'Europe de l'Est et la Turquie, d'où l'ambassade de France la rapatrie dans un état lamentable en 1923. C'est dans une chambre sordide d'un hôtel de passe, au 45 de la rue Pigalle, qu'elle meurt seule le 3 février 1951.
 
Elle eut deux carrières. La première sous le nom de Pervenche, une très belle femme vedette des nuits parisiennes, maîtresse de Maurice Chevalier qu’elle essaiera d’assassiner après l’avoir surpris au bras de Mistinguett. Elle rate son suicide et s’exile en Russie puis échoue dans les bordels de Roumanie et de Constantinople. Elle fait son grand retour en 1923, le visage portant les ravages de sa vie passée. Sa présence poignante de grosse femme marquée par l’existence lui apporte le succès, y compris au cinéma, comme dans « Pépé le Moko » par exemple.

Ecouter 5 titres de Fréhel sur cette page dont la chanson "Où est-il ?" qu'elle interprète dans le film "Pépé le Moko" de Jean Duvivier. Et la fameuse "Java bleue" !
 
Marie Dubas (1894 - 1972)
 
Sa chanson la plus célèbre est "Mon légionnaire" (sur des paroles de Raymond Asso et une musique de Marguerite Monnot), qu'elle enregistre en 1936. Elle crée également Le Doux Caboulot (sur le poème de Francis Carco), Le Tango stupéfiant (« Je me pique à l'eau de Javel / Pour oublier celui que j'aime / Je prends ma seringue / Et j'en bois même »), et interprète en 1933 "La Prière" de la Charlotte de Jehan Rictus.

On peut écouter sur cette page 5 chansons de Marie Dubas dont "Mon légionnaire".
 


Edith Piaf en 1955 : « Je dois beaucoup à Marie Dubas. Elle a été mon modèle, l'exemple que j'ai voulu suivre ; et c'est elle qui m'a révélé ce qu'est une artiste de la chanson... »
 
Edith Piaf (1915 - 1963) La "môme Piaf" est découverte par Louis Leplée alors qu’elle chantait dans les cours et sur les trottoirs, Piaf passe à Radio-Cité grâce à Jacques Canetti.
 
Puis elle rencontre Raymond Asso, l’auteur de « Mon légionnaire » (et ancien légionnaire lui-même) et de bien d’autres succès. Tel un pygmalion, il va forger le personnage d’Edith Piaf. Raymond Asso introduit Piaf auprès de Marguerite Monnot qui sera sa compositrice fétiche. Raymond Asso compose aussi des chansons pour d’autres, ainsi « Un petit coquelicot » écrite pour Mouloudji.

Le drame est tellement lié à la vie de Piaf que des légendes ont fleuri sur sa vie.
 
La compositrice Marguerite Monnot

On lui doit les musiques des chansons célèbres comme « Milord » (Piaf 1959 – sur des paroles de Moustaki), « L'hymne à l'amour », « La vie en rose » (dont la musique ne sera signée que de Louiguy), « La goualante du pauvre Jean », « C'est à Hambourg », « L'étranger » et une comédie musicale à succès (Irma la douce).

On le voit, le drame était vraiment alors une histoire de femmes.


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