Les grands concertos pour flūte

par Fergus
mercredi 7 mars 2012

De tous les instruments de l’orchestre classique, la flûte est assurément l’un des plus anciens puisque l’on en trouve des traces dès le paléolithique. Deux formes de flûtes sont utilisées en musique classique, toutes les deux directement héritées d’un lointain passé : la flûte à bec, omniprésente dans la musique baroque, et surtout la flûte traversière à laquelle les transformations apportées au 18e siècle, et notamment l’apport de clés, ont donné des possibilités inconnues auparavant. Petit florilège...

 

Antonio Vivaldi a naturellement beaucoup utilisé la flûte, et pas seulement pour donner des accents champêtres à sa musique théâtrale. On ne lui doit pourtant, dans son immense production, que 13 concertos de soliste destinés à la seule flûte. Parmi eux, les 6 qui composent le fameux Opus 10 publié en 1729. Les 3 premiers, les plus célèbres, appartiennent au genre descriptif et, depuis des siècles, enchantent les inconditionnels du génial Vénitien. Ils ont pour nom « La tempesta di mare  » (La tempête de mer), « La notte » (la nuit) et « Il gardellino  » (le chardonneret). Mais c’est probablement avec le concerto pour flûte à bec sopranino en ut majeur que Vivaldi donne le meilleur de son génie, notamment avec la sublime cantilène du largo central, encadrée par deux mouvements d’une grande virtuosité.

 

S’il est resté dans l’histoire comme un théoricien de l’art de jouer de la flûte, mais également comme le professeur et l’ami de Frédéric II de Prusse*, Johann Joachim Quantz a surtout été un formidable compositeur, auteur d’environ 300 concertos, la plupart destinés à la flûte. Parmi ceux-ci, le très célèbre concerto en sol majeur (n° 161), au final très enlevé, et le non moins remarquable concerto en ut mineur (n° 216). Tous deux, très prisés des solistes, marquent déjà par leur inspiration la transition entre la période baroque et la période classique.

 

Le prolifique et talentueux compositeur bohémien Franz Xaver Pokorny a longtemps été dépossédé d’une partie de ses œuvres pour une raison étonnante. Jaloux de Pokorny, l’un de ses collègues à la Cour princière de Thurn und Taxis, l’obscur Theodor von Schacht, avait falsifié les archives pour attribuer le mérite de ces partitions à d’autres compositeurs. C’est ainsi que le superbe concerto pour flûte en ré majeur a longtemps été inscrit au catalogue des œuvres de... Luigi Boccherini. La vérité rétablie, c’est donc Pokorny qui doit être loué pour ce concerto très enjoué dont le charme indiscutable continue de séduire tant les solistes que le public.

 

Wolfgang Amadeus Mozart n’appréciait guère la flûte, bien qu’il l’ait utilisée de superbe manière dans la plupart de ses œuvres. Il n’en a pas moins répondu favorablement au riche hollandais Willem de Jong lorsque celui-ci, installé à Paris sous le nom francisé de Dejean, lui a passé commande de trois concertos** destinés à son propre usage, et par conséquent d’une technicité abordable par un amateur. Mozart n’en a écrit que deux, le premier en 1777, le second au début de 1778. Disons-le tout net, il n’a guère respecté les clauses du contrat, car si l’allegro maestoso du magnifique concerto en sol majeur ne comporte guère de difficultés, pas plus que le très expressif adagio, le rondo final, empreint du génie de son auteur, est redoutable. Moins difficile, le concerto en ré majeur n’est pas, comme on l’a longtemps cru, une œuvre originale : il s’agit d’une transcription pour flûte du concerto pour hautbois écrit quelques années plus tôt par Mozart et redécouvert en 1920. L’allegro aperto et l’allegro final, résolument lyriques – on retrouve là l’un des airs de L’enlèvement au sérail –, encadrent une page porteuse dans sa simplicité d’un très grand charme. Impossible de quitter Mozart sans évoquer le merveilleux double concerto pour flûte et harpe. Œuvre de commande passée par le Duc de Guines pour lui-même à la flûte et sa fille à la harpe, ce concerto de 1778 se révèla lui aussi d’une trop grande technicité pour de simples amateurs. Régulièrement jouée en concert, cette œuvre, d’une prodigieuse limpidité malgré l’incroyable richesse de ses idées mélodiques, connaît à chaque fois un très grand succès auprès du public. 

 On doit une douzaine de concertos pour flûte au talent de François Devienne. Compositeur à la fois élégant et passionné, celui qui fut l’un des fondateurs du Conservatoire de Paris a donné au répertoire de cet instrument des œuvres superbement structurées, souvent brillantes, et dont les passages romantiques annoncent déjà Beethoven. Le concerto en mi mineur (allegro, adagio, allegretto) de 1787 et le concerto en sol majeur (allegro, largo, tempo di polacca) de 1794 en sont d’excellentes illustrations.

 

Domenico Cimarosa est avant tout connu pour avoir été un prolifique auteur d’opéras, et accessoirement un compositeur de pièces sacrées. Très peu de concertos à son actif, deux seulement étant connus de nos jours, l’un pour clavecin, l’autre pour deux flûtes. Écrit en 1793, peu après le fulgurant succès de son opéra Le mariage secret, ce concerto pour deux flûtes en sol majeur (lien sur le largo et le rondo), empreint d’une joyeuse écriture aux accents parfois théâtraux, est un éblouissant régal pour l’amateur. Á mettre dans toutes les oreilles de gens déprimés !

 

Dernier des compositeurs et ultime Kapellmeister de la Cour impériale d’Autriche, le Morave Franz Krommer a principalement écrit de la musique instrumentale dans un style raffiné très prisé par ses contemporains. Composé à la fin du 18e siècle, son concerto pour flûte en sol majeur est caractérisé dans l’allegro initial par une plaisante inspiration mélodique émaillée de traits virtuoses ; suit un élégant et expressif adagio ; un rondo très enlevé et joyeux vient conclure l’œuvre (pas de lien).

 Avec une soixantaine d’opéras à son actif, Saverio Mercadante est avant tout un homme de scène. On lui doit pourtant quatre superbes concertos pour flûte dominés, comme chez le violoniste Paganini, par la prédominance de l’instrument soliste sur l’orchestre, au point que celui-ci est parfois réduit à un rôle de comparse. Composé en 1814 et fortement empreint d’une écriture scénique, son concerto en mi mineur (allegro maestoso, adagio, rondo : allegro giusto) est un pur régal et figure au répertoire de tous les grands flûtistes, tout comme le concerto en ré majeur (1819) et sa très poétique sicilienne.

 

Surtout connu comme violoncelliste, Bernhardt Romberg a principalement écrit pour son propre instrument. Son concerto pour flûte en si bémol fait donc exception. C’est pourtant à lui que Romberg doit l’essentiel de sa notoriété dans le public des mélomanes. Sans être à proprement parler une œuvre majeure, ce concerto n’en est pas moins intéressant car son écriture s’inscrit dans le romantisme naissant. Liens : allegro maestoso (partie 1, partie 2) andante grazioso, rondo : allegretto.

 

D’inspiration clairement romantique, le concerto pour flûte en ré mineur de Bernhardt Molique n’est pas à franchement parler un chef d’œuvre, mais il est l’un des derniers d’importance dédiés à la flûte durant un 19e siècle qui s’est ensuite détourné de cet instrument dans l’écriture concertante avant qu’il ne revienne en grâce à l’aube du 20e siècle. Composé en 1824, ce concerto est constitué sans surprise de trois mouvements : allegro, andante, rondo : allegro.

 

Dernière grande œuvre instrumentale du compositeur Carl Reinecke, le concerto pour flûte en ré majeur s’inscrit lui aussi dans la tradition des œuvres romantiques. Écrit en 1902 dans un schéma classique en trois mouvements, ce concerto déroule des accents lyriques et rêveurs dans l’allegro initial, avant de prendre une teinte plus austère dans le lento central aux allures de marche funèbre, après quoi il retrouve un ton joyeux et insouciant dans le finale moderato.

 Maurice Ravel et Arthur Honegger, présents en 1926 dans la salle Gaveau lorsque le concerto pour flûte de Carl Nielsen (allegro moderato, allegretto, adagio, tempo di marcia) a été créé, ont apprécié sans réserve cette œuvre du compositeur danois. Écrite en deux mouvements, ce concerto plein de charme et d’inventivité répond incontestablement au goût des années 20. La flûte, entre deux solos, y dialogue principalement avec les vents et les cuivres dans une atmosphère d’insouciance enfantine ponctuée à l’amorce du final par une intervention remarquée du trombone basse.

 

Composé en 1934, le concerto pour flûte de Jacques Ibert fait partie de ces œuvres incontournables, intégrées au répertoire des plus grands solistes. Il est construit de manière classique en trois mouvements : un redoutable allegro au caractère résolument joyeux et virevoltant, suivi d’un andante élégiaque ; le concerto est conclu par un allegro scherzando très tonique où la flûte nous offre des moments de rêverie bucolique alternés avec des épisodes sautillants pleins de fantaisie, ponctués à grands traits par l’orchestre.

 

Réservé aux amateurs de musique contemporaine, le concerto pour flûte et cordes (I, II) d’André Jolivet séduit en revanche de nombreux solistes par sa difficulté. Composé en 1949 pour le grand flûtiste Jean-Pierre Rampal, cette œuvre est caractérisée par une écriture résolument virtuose, pour ne pas dire acrobatique, qui n’est pas sans rappeler celle d’Honegger.

 

De nombreux autres compositeurs ont écrit des concertos pour flûte dignes d’intérêt. Parmi eux figurent notamment (par ordre alphabétique) CPE Bach, JC Bach, Benda, Doppler (double concerto), Haendel, Hasse, Haydn, Hoffmeister, Leclair, Pergolese et Telemann. Enfin, impossible d’ignorer les transcriptions pour flûte de concertos écrits antérieurement pour d’autres instruments. Outre celui de Mozart cité plus haut, trois se détachent du lot : le concerto de Giuseppe Sammartini, transcrit du hautbois, et ceux de Félix Mendelssohn et d’Aram Khatchaturian, transcrits du violon. Trois belles réussites, plébiscitées par les solistes.

 

Casque sur les oreilles, il ne reste plus qu’à écouter ces très belles pages qui font honneur à la musique classique...

 

C’est dans un pavillon de chasse que Frédéric II fut initialement formé par Quantz, en cachette du père de l’héritier du trône de Prusse, furieux de voir son fils s’adonner à la musique. Frédéric II fut lui-même un compositeur non dénué de talent. 

 

** Mozart n’a jamais écrit le 3e concerto. Furieux de la difficulté des partitions, Dejean s’en est tenu aux deux premiers et a versé 93 florins à Mozart pour solde de tout compte au lieu des 200 florins promis pour les trois concertos. Une décision compréhensible.

 

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