Les grands concertos pour hautbois

par Fergus
jeudi 3 mai 2012

Caractérisé par son anche double, le hautbois est, avec la flûte, l’un des plus anciens instruments connus, les archéologues en ayant démontré l’existence en Égypte il y a près de... 4 000 ans. Beaucoup plus près de nous, c’est sous les formes archaïques de la « chalémie » et du « cromorne » que le hautbois s’est imposé dans la musique du Moyen Âge puis de la Renaissance avant que des formes plus évoluées ne deviennent incontournables dans les œuvres baroques, notamment dans le répertoire de Jean-Sébastien Bach. Malgré un son quelque peu « nasillard » qui lui a parfois été reproché, le hautbois, instrument chaleureux s’il en est, a pourtant été le premier « bois » à être utilisé en concerto de soliste...

 

Composé vers 1717, le concerto pour hautbois en ré mineur d’Alessandro Marcello est inscrit au répertoire de la plupart des hautboïstes. Il n’a pourtant pas été écrit par un professionnel de la musique mais par un dilettante noble passionné de philosophie et de mathématiques. Le résultat, clairement apparenté au style de Vivaldi, n’en est pas moins superbe et fait de cette œuvre l’une des plus prisées de la musique baroque.

 

Incontournables également, les concertos « a cinque » de l’Opus 9 publié par Tomaso Albinoni en 1725. Sur les 12 concertos, 4 sont destinés au violon solo, 4 au hautbois solo et 4 à deux hautbois solistes. Parmi eux, le superbe, et à juste titre célèbre, concerto pour hautbois en ré mineur (Op. 9 n°2) : ouvert par un très mélodique allegro, suivi par un magnifique adagio, cette œuvre se conclut par un final allegro riche en écriture contrapunctique. Un peu moins célèbre, mais non moins réussi, le concerto pour deux hautbois en sol majeur (Op. 9 n°6) : après un énergique allegro, il nous offre un très bel adagio avant d’être conclu par un allegro au caractère dansant très marqué.

  

Antonio Vivaldi  a composé près de 500 concertos dont 350 environ pour un instrument soliste. Parmi eux, 26 dédiés au hautbois, la plupart destinés à être joués par les demoiselles de l’Ospedale della Pietà où il enseignait aux orphelines. Formidable mélodiste et compositeur inspiré, Vivaldi le prouve sans discussion possible avec son superbe concerto pour hautbois en ré mineur RV454 ; on y retrouve toute la verve créative du « Prêtre roux » mise ici au service de deux mouvements brillants encadrant un ravissant largo parfaitement représentatif du style du génial Vénitien.

 

Un joyau du répertoire

 

Contrairement à ce que croient de nombreux mélomanes, Domenico Cimarosa n’a jamais composé son fameux concerto pour hautbois. La musique est pourtant bien de lui, mais elle était destinée à des pièces pour clavecin. Ce sont ces pièces, réunies et orchestrées en 1942 par le compositeur australien Arthur Benjamin, qui constituent cette œuvre vite devenue l’une des favorites des solistes. « Un joyau du répertoire », selon le hautboïste hongrois Lajos Lencsés ; on ne peut que lui donner raison.

 

Il existait encore peu de concertos de grande qualité au répertoire lorsque s’est imposé à la cour de l’Électeur palatin l’immense talent du hautboïste virtuose Ludwig Lebrun. Qu’à cela ne tienne, le compositeur s’est attelé à l’écriture et a composé pour son usage personnel 14 concertos dans la tradition de la célèbre École de Mannheim. 6 d’entre eux seulement ont survécu. « Quelle virtuosité ! Quel foisonnement d’idées ! » s’est exclamé à leur sujet l’excellent hautboïste néerlandais Bart Schneemann. Un enthousiasme que l’on partage sans restriction à l’écoute du très inspiré concerto n° 1 en ré mineur (allegro, grazioso, allegro) composé en 1775.

 

Lorsque le riche hollandais et flûtiste amateur De Jong (nom souvent francisé en Dejean) lui a passé commande, en 1778, de trois concertos d’un accès relativement aisé pour son instrument, Wolfgang Amadeus Mozart s’est montré contrarié de devoir brider son inspiration pour une contrainte de difficulté, mais il avait besoin de gagner sa vie. Ainsi sont nés le magnifique concerto pour flûte en sol majeur KV 313 – injouable par le malheureux De Jong – et le non moins superbe – et tout aussi difficile – concerto pour flûte en ré majeur KV 314. Pourquoi évoquer ici la flûte ? Tout simplement parce que Mozart ne s’est pas embarrassé de scrupules : le KV 314 n’est autre qu’une transcription du concerto pour hautbois en ut majeur écrit l’année précédente pour le hautboïste Giuseppe Ferlendis et redécouvert en 1920 au Mozarteum de Salzbourg. Flûte ou hautbois, c’est toujours avec un immense plaisir que l’on écoute cette œuvre tour à tour lyrique, charmeuse et délicieusement enjouée.

 

Ami de Mozart, le compositeur et hautboïste bohémien Joseph Fiala a légué à la postérité l’un des plus séduisants concertos écrits pour son instrument durant la période classique : le concerto pour hautbois en si bémol majeur. Incontestablement d’inspiration mozartienne, cette œuvre illustre parfaitement le style de l’époque avec son allegro enjoué, son adagio rêveur et, pour finir, un rondo conforme aux canons du temps.

 

Le concerto perdu

 

Impossible de passer sous silence Ludwig van Beethoven. Le répertoire de cet immense compositeur ne compte pourtant pas de concerto pour hautbois. Eu égard au génie de ses œuvres concertantes, on regrette d’autant plus ce manque que l’on sait que le compositeur en a écrit un, malheureusement perdu. Ou peut-être simplement égaré dans une bibliothèque ou un grenier d’Allemagne ou de Bohême. Espérons que ce concerto réapparaîtra un jour...

 

Dernier des compositeurs et ultime Kapellmeister de la Cour impériale d’Autriche, le Morave Franz Krommer a principalement écrit de la musique instrumentale dans un style raffiné très prisé par ses contemporains. Composé en 1805, quelques années après une 1ère œuvre très plaisante dans la même tonalité, son concerto pour hautbois en fa majeur Op. 52 est incontestablement une réussite. Empreint d’un caractère déjà marqué par l’émergence du romantisme, il laisse moins la place aux éléments virtuoses que les œuvres antérieures du compositeur pour donner au hautbois un rôle plus intégré dans la construction symphonique (pas de lien, malheureusement).

 

Malgré sa brièveté, le célèbre concertino pour hautbois en fa majeur du compositeur d’opéra Gaetano Donizetti, initialement écrit sous la forme d’une sonate pour hautbois et piano, est incontournable dans le répertoire. Cette œuvre superbe, très expressive dans son andante initial et particulièrement pétillante dans son allegro final en forme de rondo montre de manière éclatante que Donizetti n’a pas été seulement un homme de théâtre, même si l’écriture de ce concertino se réfère fortement à celle de ses opéras-bouffe.

 

Comme la flûte, délaissée dans l’écriture concertante durant presque toute la période romantique, le hautbois a connu une longue éclipse avant de revenir en force dans le répertoire contemporain. Peu connu du public, et de ce fait peu joué, le konzertstück pour hautbois et orchestre de Julius Rietz est à cet égard une exception d’autant plus intéressante qu’il déroge à la forme classique du concerto en débutant par une longue rêverie lyrique avant de laisser libre cours à la virtuosité.

 

Des accents jazzy

 

Plus près de nous, le concerto pour hautbois en la mineur de Ralph Vaughan Williams a été créé en 1944. Comme souvent chez le compositeur britannique, l’écriture résolument moderne de l’œuvre s’inspire également de la musique baroque. On retrouve cette inspiration duale dans le rondo pastorale initial, et plus encore dans le deuxième mouvement, menuet et musette, qui fait directement référence aux danses baroques ; le concerto est conclu par un scherzo tantôt guilleret, tantôt rêveur, empreint d’une joie de vivre contrastant, sans doute à dessein, avec l’atmosphère pesante de l’époque.

 

Le concerto pour hautbois en ré majeur de Richard Strauss a été interprété pour la première fois à la Tonhalle de Zürich en février 1946. Á l’exception de rares épisodes animés, le premier mouvement (allegro moderato) prend la forme d’une longue rêverie qui se poursuit dans l’andante sous la forme d’une paisible cantilène ; malgré son indication de tempo vivace, le final reste sage ; comme l’ensemble de l’œuvre, il est marqué par une inspiration résolument romantique et se démarque clairement de l’écriture contemporaine.

 

Composé en 1955, le concerto pour hautbois et petit orchestre du Tchèque Bohuslav Martinů est construit de manière classique sur une structure vif-lent-vif. Cette œuvre montre une influence nord-américaine aux accents parfois quelque peu jazzy dans le premier mouvement moderato. Après un épisode poco andante au caractère élégiaque, Martinů donne libre cours au talent du soliste dans un final poco allegro où l’on perçoit des clins d’œil à ses origines sous la forme de rythmes bohémiens.

 

Comme tous les florilèges, celui-ci peut prêter à la critique. Pas de problème : c’est avec un très grand plaisir que seront accueillis les commentaires des amateurs de musique classique ou ceux des hautboïstes en visite sur le site. En attendant, bonne écoute...

 

Autres compositeurs ayant écrit des concertos pour hautbois remarquables (par ordre alphabétique) : Ditters von Dittersdorf, Haendel, Hertel, Kalliwoda, Lotti, Molter, Sammartini, Telemann

 

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