Les hommes de bonne volonté (madres paralelas) et les autres (tre piani)

par Orélien Péréol
jeudi 30 décembre 2021

Critiques croisées de films, croisées et décalées.

Ordinairement, on tâche de critiquer le cinéma par les règles du cinéma, sauf que ces règles sont nombreuses, informelles, contradictoires, éternelles certes et que personne ne les connaît. On fait de même avec la peinture, le théâtre, la littérature, dans des conditions semblables et avec le même (in)succès liés à cette incertitude de base qui rend l’exercice infini. A propos de critique de littérature, Arnaud Viviant a chanté son cantique, dont je parlerai peut-être un jour, s’il m’apporte son livre, ce que j’attends toujours qu’il fasse, mais c’est une autre histoire.

Je vais critiquer deux films en parallèles par la psychologie des personnages, prise globalement. Je considère l’ensemble psychique dans lequel ces personnages agissent, se comportent, je parle d’un cadre psychique. La psychologie vue par son cadre générique donne une vision du monde (deux visions incompatibles en l’occurrence).

Madres paralelas et Tre piani ont en commun d’être des films psychologiques, dont l’action se situe donc dans des familles. Ils sont tous les deux du sud, pas du même sud, et de langue latine, comme ici, pas la même langue. Les deux films contiennent nombre de rebondissements.

Le critique d’un film est soumis à une contrainte forte, à propos du scénario : maintenir le suspens, c’est-à-dire ne pas trop parler de la fin, ne pas dévoiler la fin (dévoiler est le mot consacré). Parce qu’il faut garder, pour faire venir le spectateur, l’attente anxieuse (modérément anxieuse) de la suite, qui doit toujours contenir son lot de surprises, son mix de continuité et de rupture. C’est un moteur du spectateur que le critique ne peut pas casser, c’est une entente tacite du critique avec le réalisateur, le producteur et toute l’équipe…

Pas d’inquiétude dans mon texte par rapport à cela, je ne parle que du cadre des psychés (des psychologies), pas du récit.

Madres paralelas et Tre piani diffèrent dans le rapport que les personnages ont avec eux-mêmes, leurs buts et leurs désirs, ont entre eux, ont avec le monde, ont au bout du compte, avec le bien et le mal. Les éléments sont sensiblement les mêmes : l’amour, la procréation, la transmission, le viol…

Il y a un miracle dans Madres paralelas : aucun personnage ne se donne pour but de faire mal à un autre personnage, même momentanément. Quand ils sont en conflit, en disputes, qu’ils ne peuvent plus se voir, au sens propre, qu’ils ne peuvent plus être ensemble, ce n’est jamais pour punir l’autre, pour lui faire du mal, c’est pour résoudre leur propre difficulté, leurs propres incompréhensions, diminuer leurs propres souffrances.

Tout au contraire, dans Tre piani, un juge répudie son fils parce qu’il a tué une passante en voiture alors qu’il était ivre. Il y a des soupçons croisés de viol et d’attouchements pour un père. Dans Tre piani, bien des malheurs proviennent de la dureté des personnages entre eux, de leur agressivité, de leur volonté de punir, de se venger, voire de leur volonté gratuite de nuire, d’exploiter une situation « avantageuse » a priori, ayant beaucoup de chance d’être « gagnante », sans profit réel pour eux mais avec de gros dommages pour l’autre.

 

Lequel des deux films parle le mieux du monde tel qu’il est ? Nous le savons bien. Un monde des relations humaines dans lequel les heurts et les souffrances entre personnes ne dépasseraient pas les limites de ce qu’il est impossible d’empêcher n’existe pas, ou alors, dans des temps très courts, et des groupes peu nombreux.

C’est au fond la beauté inégalée du film d’Almodovar, de nous embarquer dans ces personnages sans méchanceté, et qui se défendent cependant pour vivre mieux et souffrir moins, mais sans empiéter sur l’autre plus qu’il ne faut. Ils choisissent ce qui est bien pour eux, même quand cela fait mal à l’autre, jamais ils ne choisissent de faire mal exprès.

Paix aux hommes de bonne volonté est une injonction chrétienne, dont on sait bien qu’elle aboutit à son contraire. Les hommes (il s’agit de l’humanité hommes et femmes) de bonne volonté connaissent rarement la paix, elles et ils sont plutôt les proies des êtres humains nombreux pour qui se sentir plus forts en faisant mal (plus forts que celles et ceux à qui ils font mal) est irrésistible.

C’est le miracle invisible de Madres paralelas qu’il y en ait aucun.


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