Les musiciens africains survivront-ils en Europe ?

par Aimé Mathurin Moussy
vendredi 28 juillet 2017

La célébrité et le grand prestige dont jouissent nos artistes musiciens font languir d’envie, les juvéniles ardeurs de la plupart d’artistes en herbe. Un artiste qui est au sommet de son art, est à coup sûr, une opportunité de légitimer sa prestance, son savoir-faire. Il suscite des envies, de l’admiration et parfois de la jalousie. A ce moment précis, tout lui sourit : interview, spectacles, émoluments. Ce n’est pas pour autant que tout est rose dans ce milieu.

 Le 19 juillet 2017, au cimetière parisien de Thiais, j’accompagnais dans les phalanges angéliques, Peter Makossa (ONGUENE ONANA Pierre). Chantal Ayissi, Spirit Enumedy, Junior Ebeny, etc. Ce sont ces irréductibles connus du grand public, qui ont rendu un dernier hommage à leur confrère ; le cimetière n’était pas noir de monde, mais noir de deuil.

 La musique avait perdu cet après-midi, en même temps que son accent, un peu de sa sympathie initiale. Cette foule composée d’anonymes et de la famille, laisse paraitre une forme de désappointement. Peter Makossa était seul, sa bobine trônait sur des trépieds de circonstance. La posture fait assez riquiqui, peu importe. Plus bas, en fond sonore, un Smartphone diffusait en boucle, les chefs-d’œuvre de l’artiste. Difficile dans ces conditions, cette solennité de circonstance, de retenir ses larmes. Cet événement a suscité en moi plusieurs interrogations.

J’ai compris au risque de me tromper que, le monde artistique est le reflet authentique de notre société. De fait, chacun d’entre nous s’enferme trop souvent à l’intérieur de frontières invisibles, qui conditionnent nos vies, nos conceptions de la réussite et du bonheur. Des frontières qui condamnent toute humanité, toute solidarité, toute empathie, à n’être qu’une apparence, une répétition du même, à quelques variantes dérisoires près.

En dépit de cette absence de solidarité que j’ai notée, il ressort après constatation que les artistes et les musiciens en particulier ne prennent pas au sérieux leur mission. Ont-ils conscience de tout de ce que nous permet la musique, dans une société africaine où les opportunités tant sociales qu’économiques se font rares ? La musique est un espace de substitution à la violence, à l’exercice sans frein du pouvoir.

En ces temps de changements politiques et de surprises idéologiques, de ruptures esthétiques et de dictature de l’immédiat, de triomphes éphémères et de gloires vaines, il est temps de comprendre que la source des réussites vraies, des avancées significatives, des vies utiles, est toujours la même, depuis l’aube des temps : l’art, voire la musique.

C’est en osant de transgresser les individualismes, que les artistes joueront un rôle dans l’émergence de leur pays et du continent. Deux principes ont toujours fait la société, le savoir et l’art. C’est aussi en dépassant certains clivages, qu’on découvre l’art véritable ; car l’artiste n’est pas défini par les normes dominantes, à moins de se résigner à n’être qu’une copie d’autrui, par confort mental, par lâcheté, ou par paresse.

La plupart de nos artistes pensent qu’ils sont éternels une fois qu’ils arrivent à la célébrité, au top. Un firmament, selon leur entendement. Mais la mort d’un artiste nous interpelle tous. On peut cerner les grandeurs et les misères de ces porteurs d’espoir. Ces moments de tristesse nous démontrent leur solitude et notre sollicitude à leur égard.

Les pouvoirs publics ont leur part de responsabilité dans la déchéance de nos artistes. Ils n’ont pas mis en place de véritables politiques incitatives pour la création artistique. Mais les responsabilités n’incombent pas seulement aux gouvernements des pays respectifs. La plupart des artistes, ne prennent pas leur métier au sérieux. Ils forgent tout leur avenir sur un succès qui a fait leur réputation.

Les défis vers des horizons meilleurs ne les intéressent pas. Loin d’eux, le projet de fonder une véritable entreprise musicale autour de leurs œuvres. Il ne leur traverse même pas l’esprit de créer un label. Ils se contentent de l’immédiateté sans penser au lendemain. Il est néanmoins inadmissible qu’un artiste, après dix ans de carrière au sommet de son art, ne possède pas un lopin de terre ou un pied-à-terre. Il est hors de question qu’un artiste après vingt ans de carrière de haut niveau, n’ait souvent pas un titre de séjour permanent ; continue à pavaner de bars en bars ; d’aventures en aventures, pour trouver sa pitance... Il est inconcevable, voire lamentable, qu’un artiste qui reçoit une haute distinction de l’Etat de son pays, se retrouve aujourd’hui en train de négocier des spectacles, et parfois se retrouve à la recherche effrénée d’un producteur. Il est temps que les artistes se réveillent, qu’ils soient solidaires et deviennent plus professionnels.

© AIME MATHURIN MOUSSY


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