Les mystères de la chanson
par C’est Nabum
samedi 19 octobre 2013
Le Festival de Travers faisait ce soir-là un passage dans une nouvelle salle. La commune de Saint Hilaire Saint Mesmin ouvrait grand sa petite salle des fêtes. Il y avait quelque chose de surprenant à découvrir ainsi un espace désuet mais chaleureux, amusant et quelque peu obsolète. Je m'amusai à noter la curieuse impression qui me faisait ce local en attendant le début des concerts.
Il y a du patronage en ce lieu. Un ensemble aux couleurs froides : parme, rose et violet. La scène est surélevée par rapport aux spectateurs . Des chaises sont alignées. Le long des murs courent de gros fils électriques oranges qui encadrent une plante imposante. Une rampe de quatre projecteurs se dresse de part et d'autre de l'estrade. On s'attend à une remise de récompense, la cérémonie des prix de notre enfance.
C'est dans ce décor quelque peu obsolète que je vais assister à un duel à micro moucheté. Un duel à distance, un combat singulier où nous allons pouvoir toucher du doigt la magie du spectacle, cette étrange alchimie qu'on appelle le talent. Deux chanteurs vont se produire l'un après l'autre, usant d'une économie de moyens presque similaire
En lever de rideau, Pierre Lebelâge, en seconde partie Valérian Renault. Le second a l'avantage de jouer à domicile. Nous retiendrons cette circonstance au moment du verdict. Chacun s'accompagne d'une guitare. Pierre, pour se sentir sans doute un peu moins seul, a demandé à un second guitariste de venir lui faire un léger contrepoint.
Déjà la maîtrise de l'instrument n'est pas la même. Pierre fait de la caisse un complément de percussion qui personnellement m'agace quelque peu. La guitare souligne discrètement la chanson, elle n'apporte rien de plus. Il est même assez difficile de distinguer une variation d'un morceau à l'autre. Valérian passe de l'acoustique à l'électrique avec un brillant éclectisme. Il commente ses changements d'instrument, ses réglages et ses bidouillages. Le courant passe entre lui et la salle quand Pierre s'excuse presque de nous dire deux mots d'explication.
Car c'est là que va se jouer le premier acte de la victoire du local. Il est en communion avec la salle quand l'autre y est en pénitence. Manifestement à l'aise, parfaitement décontracté en apparence, Valérian converse, plaisante, se moque de lui-même, fait du public son complice quand Pierre est engoncé dans une posture qui le met mal à l'aise. Il s'excuse presque d'avoir fait des premières parties d'artistes connus quand son adversaire aime à rappeler son parcours avec le groupe ; « Les vendeurs d'enclume ! ».
Pour que le spectacle soit vivant, il faut que l'artiste demeure en vie, heureux d'être là, fort du désir de faire passer son répertoire. Pierre semble être sous barbituriques. Il aligne ses belles chansons monotones. C'est un souffle de voix au service d'une petite ligne mélodique. Sa prestation achevée, que reste-t-il dans nos mémoires ? Presque rien pour ne pas être contrariant, car il a eu la sagesse de reprendre une chanson de Leprest et une autre de Brassens. Des siennes, tout s'est envolé sans même nous octroyer un petit refrain entêtant !
Valérian nous éclabousse par sa virtuosité vocale. Il y a quelque chose d'un immense artiste belge en lui. La comparaison est si évidente que je ne vais pas lui envoyer des fleurs ; il préfère les bonbons. Le spectateur est saisi par sa présence, par sa faculté à l'emporter dans son monde. Monde pourtant un peu sombre, un peu chaotique aussi (la ressemblance toujours …). Rassurez-vous cependant , il ne joue pas de l'analogie, il explore un univers très personnel ; il ne copie pas, il invente un style qui va exploser un jour ou l'autre, c'est une évidence !
Pierre nous a lassés ; Valérian nous a bluffés. Le spectacle est un univers impitoyable, la chanson plus encore. Comment, en trois petites minutes vous emporter dans un autre monde ? Comment laisser une petite graine dans l'esprit des spectateurs ? Comment impressionner durablement un public qui partira alors avec un souvenir enchanté ?
Qu'on appelle cela talent ou charisme, présence ou virtuosité, il se passa ce soir- là une évidence. L'un allait être oublié bien vite quand l'autre ne demandait qu'à grandir encore plus. Je souhaite que Pierre se réveille un peu, se fasse violence pour défendre ses textes qui valent mieux que la douce somnolence que je leur ai accordée. J'espère sincèrement que Valérian va obtenir la consécration que devrait lui valoir son talent . Il a l'étoffe d'un grand de la chanson, il ne lui reste plus qu'à bénéficier de ce supplément de chance qui est, hélas, une condition bien aléatoire, un impondérable mystérieux !
Enchanteusement leur.