Les Samouraï du prog passent à l’attaque
par Bernard Dugué
jeudi 2 octobre 2014
Cet album a été conçu d’une manière inhabituelle. Aux trois membres du groupe se sont greffés quatre autres musiciens présents sur la scène progressive, chacun jouant de son instrument mais aussi participant aux compositions des morceaux avec Marco Bernard comme coordinateur du projet et produisant le CD avec ses deux acolytes. C’est bien un disque hétéroclite qui nous est proposé, avec notamment Robert Webb ainsi que le claviériste d’Anglagard Linus Kase et quelques séquences de l’incontournable mellotron pour donner une touche vintage au style. Ces sept protagonistes ont également été rejoints par quelques invités de marque, comme le guitariste de Glass Hammer, Alan Shikoh. Au final près de 60 minutes de musique exécutée sur seulement cinq morceaux dont trois avoisinent les 8 minutes tandis qu’une longue suite musicale s’étale sur quelque 28 minutes.
Les premières écoutent laissent l’impression d’une musique très contemporaine jouée à la sauce baroque et comme cela arrive souvent avec les excellents disques de prog, il faut plusieurs écoutes pour saisir les subtilités de cette musique qui n’a rien d’ennuyeux et chaque fois surprend avec une densité instrumentale très bien équilibrée grâce à une production de très bonne facture. Le premier morceau débute par des facéties jouées au piano, puis la musique s’emballe pour prendre un côté débridé, saccadé, avec des lignes mélodiques partant dans tous les sens. On pense inévitablement à Gentle Giant ou parfois, à ce groupe suisse méconnu que fut Flame Dream. La voix est suave, fluide, avec un timbre élevé, dans un registre assez classique, celui de John Anderson ou même Peter Gabriel. Bref, des parties vocales parfaitement exécutées et intégrées, ce qui n’est pas pour déplaire car fréquemment, le chant est le maillon faible du prog. Les parties de claviers sont parfois déchaînées, exécutées à la Patrick Moraz, suivies par des passages calmes et romantiques, avec flûte et violon, de quoi évoquer Glass Hammer. Le second morceau est lui aussi bien envoyé, avec toujours cet entrelacs d’instruments jouant comme s’il s’agissait qu’un ensemble de musique de chambre contemporaine. C’est subtilement interprété. Pas vraiment dans le style symphonique si convenu et parfois ennuyeux mais plutôt une orientation baroque très légèrement teintée de facéties jazzy et subtilement folk. Ce qui n’étonnera pas les mélomanes puisque j’ai évoqué comme dominante le légendaire Gentle Giant des early seventies.
La longue suite de 28 minutes ne déçoit pas. Elle est composée notamment par Robert Webb. Alternent ambiances feutrées rappelant les albums d’Antony Philips et séquences teintées de folk jouée avec une impression de fausse improvisation. A certains moments, on croit entendre une bande son pour film de Tim Burton. Très étrange, inattendu, et surtout, de la belle musique subtilement composée. On croirait même entendre le Genesis de Fox Trot à plusieurs reprises. Cette suite musicale est conçue comme une authentique fresque avec des dizaines de tableaux se succédant. C’est ce qui se fait de mieux dans le prog actuel. Sans oublier la présentation dans une pochette cartonnée à trois volets et des illustrations somptueuses. A l’intérieur, on trouve un livret non moins somptueux d’une trentaine de pages avec les textes, la présentation des musiciens, le tout sur fond de magnifiques illustrations. A l’opposé du CD classique servi en emballage plastique. Si vous achetez ce CD des Samouraï, vous avez un véritable objet d’art digne de figurer dans une collection de prog.
A noter également la parution d’un recueil de morceaux joués et composés par Robert Webb, couvrant près de quarante ans de carrière. Ce CD est lui aussi édité sur le label Seacrest Oy. Il saura ravir les passionnés de prog et d’ambiances subtiles avec une quinzaine de séquences musicales jouées dans des styles différents et parfois sonnant comme les dernières productions d’Anthony Philips. A noter une reprise assez étonnante du Carmina Burana. Allez, bonne écoute et ne rater surtout pas cet album des Samouraï que je n’hésite pas à situer dans le top 10 des œuvres progressives parues en 2014.