Les tribulations de l’amour courtois

par jack mandon
mardi 22 octobre 2013

Il est mille manière de parler d'amour, mais dans la courtoisie de la fin du moyen âge, à l'orée de la renaissance, cela prit la forme d'une constellation qui enchanta l'âme. La pléiade en fut une délicate et savante illustration.

« Seigneurs, c'est une histoire vraie que je vous conte, l'histoire de Tristan et Iseut, de leur amour qui fut si grand, dont ils eurent mainte douleur, et comment ils en moururent »

Ainsi débute la version d'un conte nordique fondateur. Il deviendra l'un des Mythes les plus fascinants du monde occidental.

A la source de la vie, idéalement, dans les bras d'une mère et sous le regard et la protection d'un père nous nous sommes nourri et avons grandi. Dans le secret de nos entrailles et de nos neurones, cette empreinte indélébile demeure. Pourtant, à la surface de notre mémoire, il n'est rien de clair qui vaille.

Cependant, nos sentiments, pensées et actions sont portés dans un élan qui ne prend pas ses marques dans un espace contenu, visible et lisible...l'amour naît d'un imbroglio d'humanité. Né à l'aveugle dans une cécité qu'accompagnent surdité et aphasie en un temps qui ne se conjugue pas ou plus.

En effet les auteurs de cette implosion de vie ne sont plus. Parents et lointains ancêtres devenus ? Alors c'est magie, car présentement, nous voici ignorant la dette et la reconnaissance. C'est désintéressés, que nous accomplissons un geste généreux sans puiser dans la mémoire. Mieux, nous n'avons même plus besoin d'en chasser le souvenir, c'est accompli. C'est comme un acte de sublimation génitale. une mère qui accouche, acte d'amour, c'est donné. Et pourtant nous sommes en dette d'une vie. Enclins que nous sommes à suivre le courant de cette énergie qui nous précède, nous submerge et nous dépasse naturellement. Si nous nous sentons concernés, ce n'est pas par devoir ou justice, mais parce que l'interruption de cette animation serait fatale. L'antonymie la plus radicale de l'amour, c'est la mort...et personne ne se résigne à mourir de bonne foi...à moins qu'il fut malade d'une manière ou d'une autre. Alors nous aimons, parce que nous avons commencé.

Cependant, il faut un peu de temps et beaucoup de caractère pour aller vers quelqu'un qui n'évoque rien pour nous. On prétend ne pas l'aimer. Il n'est pas comme nous, il vient d'ailleurs, il parle un autre langage. Même s'il s'agit de la même langue que la notre, nous le rejetons. Le prendre en charge, le porter, peut être est-il blessé, le materner, peut être est il en manque d'amour, le paterner, peut être est il pauvre ou ruiné.

Alors, néophytes, nous entrons passionnément dans le premier piège tendu par notre naïveté et jeunesse de cœur, l'amour idéal, l'amour fusionnel, l'amour fou.

Cet amour a la particularité première, il est l'amour de nous même. Alors, si jeune homme je suis, je serais un héros, peut être infortuné et malheureux, ce qui ajoutera à ma noblesse d'âme. Si ma sensibilité guide mes pas, alors je serais troubadour et entrerai enthousiaste dans la métaphore. Aux amours d'Antan de mon ami Georges, Fanchon deviendra Margot, la reine. Aux grâces roturières, aux nymphes de ruisseau, aux Vénus de barrière et aux plus humbles bergères, je troquerai la dame du temps jadis, Tristan je serai et Iseut j'invoquerai.

Je prendrai un risque inouï, celui de mêler la finitude à ma soif d'éternité, et cela, malgré le conseil du conteur : l'histoire de Tristan et Iseut, de leur amour qui fut si grand, dont ils eurent mainte douleur, et comment ils en moururent »

De cet amour courtois, fondateur de noblesse et de chevalerie, que reste-t-il ? Une littérature porteuse de rêve et de créativité. Une inspiration nomade qui investit l'esprit de celui ou de celle en attente de mots. Pour dire ou vivre l'exclusive émotion dans l'intimité de son histoire.

Mais l'abstraction ou la sublimation n'ont pas le privilège de la palette subtile et complexe de nos émotions et de nos sentiments. Georges tonitruant nous chante

 

Les copains d'abord,

...C'étaient pas des amis de luxe
Des petits Castor et Pollux
Des gens de Sodome et Gomorrhe
Sodome et Gomorrhe
C'étaient pas des amis choisis


Par Montaigne et La Boetie
Sur le ventre ils se tapaient fort
Les copains d'abord...

Georges Brassens

 

Amours galactiques, Castor et Pollux, dans la constellation des Gémeaux.

Amités et amours courtoises et compliquées, en opposition à l'amitié spontanée, virile, chaleureuse et gauloise qu'il prône gaillardement.

 

Amitié et amour d'esthètes et d'intellectuels, Michel de Montaigne attristé par la disparition de son ami et confident La Boétie : « Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne peut s'exprimer qu'en répondant : Parce que c'était lui, parce que c'était moi » (les Essais)

 

Nous évoquions l'émotion d'empathie qui permet la communication inter-psychique entre les humains. Offrir une aide, une écoute, du temps, et poursuivre son chemin comme un frère d'humanité, sans distinction d'origine, de race, de religion, ni de classe en oubliant notre action. Mais celui qui fut secouru accroche une dette à sa mémoire. Il porte un acquis au fond de lui, aussi précieux que fatal, qu'il lui faut redonner pour ne pas interrompre le mouvement de la vie.

Connaissez-vous une maman qui au moment de l'accouchement se refuse à libérer son enfant ?

Le désintéressement n'existe pas dans cette humanité. La maman, elle même, soigne et nourrit son enfant pour qu'il vive. Aimer son enfant, c'est lutter contre sa propre mort. Les âmes pieuses ou militantes de protester. Vous vous leurrez. Il ne s'agit pas de contester l'authenticité de votre amour, mais d'en révéler la profondeur. Pour la même raison, nous avons beaucoup de mal a cheminer vers un dissemblable, un « étranger »,car à ce moment là, la projection et l'identification positives sont rendues difficiles. Pour rencontrer l'autre et pour lui dire les sentiments qu'il nous inspire, il faut se sentir proche de lui, se reconnaître dans ses yeux, se sentir exister à travers lui. Quand on lui dit je t'aime, cela veut dire, je m'aime chez toi. J'aime l'image de moi, que tu me renvoies en miroir. Par la même occasion, et c'est assez subtil, quand on lui dit je ne t'aime pas, avec une certaine passion, nous projetons aussi, mais négativement. A ce moment là, tous les défauts ou travers qu'il ou qu'elle suscite en nous, sont à noter, car ils représentent tous les travers et défauts que nous portons en nous, que nous refusons de voir, mais reconnaissons et condamnons chez elle ou lui.

Entrevoir une vie interactive plus clairvoyante est un défi incommensurable à notre époque. Et pourtant c'est la meilleure thérapie que l'on puisse souhaiter à cette humanité bringuebalante qui chemine à vau-l'eau.

En attendant nous pouvons rêver sur le couple d'amants le plus célèbre de la fin du moyen âge,

 

« ...Tristan mourut pour son désir,

Iseut d'être trop tard venue ;

Tristan mourut pour son amour

et la belle Iseut de douleur... »

 

Le conteur finit ici ce conte.

 

A tous les amants,

il dit salut : aux pensifs et aux heureux,

aux envieux, aux désireux, au réjouis, aux éperdus,

à tous ceux qui m'ont écouté.

J'ai dit le mieux que j'ai su ;

j'ai dit toute la vérité.

Puissent les amants y trouver réconfort

encontre change, encontre tort

encontre peine, encontre pleur

encontre tous les maux

d'amour

 

Roman de Tristan et Iseut-Amd-France.eu (Joseph Bédier)

Le Mythe de Tristan et Iseut est l'un des plus fascinants du monde occidental.

 

 


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