Lettre d’un Conte à celle qui se l’approprie

par C’est Nabum
samedi 9 mars 2019

De l’écrit à l’oral.

Ma chère amie, vous venez de me choisir, dans le vaste et universel répertoire des récits, contes et légendes que tous ceux qui vous ont précédée ont couché un jour sur le papier afin d’en perpétuer la mémoire. Je suis flatté de cet honneur, j’ai dû vous toucher, vous donner envie de partager un pan entier de mon histoire mais je me dois de vous mettre en garde.

Ma délicate lectrice, je suis avant tout une œuvre du vent, de la transmission orale. J’ai besoin de mots pour renaître, les vôtres me seront délicieux si vous acceptez de ne pas me suivre à la lettre. Si le cœur m’est indispensable ce n’est certes pas par lui que je dois retrouver vie. La simple récitation me laisse de marbre, elle me fige et me glace. Je veux vivre dans votre bouche, reprendre des couleurs qui soient celles de votre époque.

Votre décision m’honore. Je m’abandonne désormais à votre fantaisie. C’est à vous de tirer ma substantifique moelle, de retrouver les images et les odeurs, le sens caché et les vérités éternelles sans hésiter un seul instant à me bousculer, me chahuter, me contraindre à décrire votre époque. J’accepte volontiers de m’éloigner à jamais des rives de ma région d'origine, de quitter le temps qui fut le mien à ma création pour me glisser dans de nouveaux habits et des préoccupations contemporaines.

C’est à vous ma nouvelle créatrice de faire de ce texte, figé sur le papier, une nouvelle œuvre vivante, un message d’aujourd’hui pour les gens de votre époque. Mes vérités n’ont pas changé, elles doivent simplement se vêtir autrement, s’adapter à la compréhension de vos contemporains tout en restant d’abord fidèle à votre sensibilité. C’est à moi, le Conte, de me glisser subrepticement dans votre racontée.

J’accepte tout de vous pourvu, madame, que vous y mettiez toute votre âme. Me dire en public, ce n’est pas un exercice neutre, une banale restitution à distance. À travers la trame de mon récit, ce sont vos tripes et votre cœur que vous offrez à ceux qui vous écouteront d’autant mieux que vous y aurez mis une énergie folle, une conviction absolue, une vérité indiscutable.

Je me laisse porter désormais que vous savez que je me donne à vous. Glissez vos mots, vos expressions, vos tics de langage, vos facéties et vos démons, vos peurs et vos espoirs. Je vais tout absorber, je me ferai éponge, réceptacle généreux. J’ai besoin pour cela de vous sentir vibrer, de pénétrer au plus secret de vous.

Je me donne, je m’abandonne. Demain ou bien plus tard, moi le Conte que vous vous êtes approprié, moi qui suis issu d’une lointaine culture, je serai à tout jamais le vôtre. N’ayez aucune honte, il en a toujours été ainsi dans la longue histoire de la transmission orale. Je me glisse dans vos mots tandis que je peux m’installer dans le même temps ceux d’une autre, devenant alors différent et pourtant presque semblable.

Interprété par vous ici, par une autre ailleurs, je pourrai ainsi toucher de nouveaux cœurs, prétendre, qui sait, à de nouveaux amis, en devenant l’objet d’un autre conteur qui m’aura aimé par votre truchement.

Il était une fois… La formule est somme toute assez maladroite. Il sera une nouvelle fois et bientôt une autre fois. Je me répands, je me transforme, je m’insinue, je me décline, je me glisse et je ne suis ni tout à fait le même ni tout à fait un autre. Je suis la langue, quelle que soit cette langue, je suis la vie et toute l’humanité, au-delà des époques et des cultures.

Je serai encore des myriades de fois …

Conteusement vôtre.


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