Lettre ouverte à Frédéric Beigbeder

par Roberto Gac
mardi 18 octobre 2011


       
                 A propos de l’Apocalypse et de la fin du roman.
 


Cher Monsieur :


 Merci infiniment pour avoir eu le courage de dire la vérité aux Françaises et aux Français dans votre livre sur l’Apocalypse : le roman se trouve en danger de mort et il finira par disparaître définitivement si on ne renverse pas tout de suite le cours des évènements. C’est exactement ce que je dis depuis très longtemps déjà, mais puisque je ne suis qu’un indien araucan dans les terres du Roi Soleil, personne n’a voulu m’écouter. Même vous. En effet, peut-être fatigué par vos légendaires nuits blanches, vous n’avez pas répondu (et sans doute pas lu non plus), la lettre que je vous ai adressée en 2005 chez votre employeur de l’époque, messieurs-dames Flammarion, pour vous prévenir des bouleversements apocalyptiques dont vous faites état aujourd’hui. Certes, ma lettre était un peu longue (500 pages environ sous le titre de La Société des Hommes Célestes (Un Faust Latino-Américain), mais si vous l’aviez lue vous ne seriez pas maintenant dans le désarroi où vous vous trouvez. Oui, le roman va disparaître en tant que genre littéraire si on n’arrête pas dès maintenant les nouvelles technologies électroniques d’écriture, de lecture et d’édition.

 Avec beaucoup de lucidité vous avez découvert quelque chose de décisif : le lien entre la littérature et la technique, entre le roman et l’imprimerie. Car c’est l’invention de Gutenberg qui a facilité le passage de l’épopée en vers, laborieusement calligraphiée, au roman en prose, à la masse textuelle beaucoup plus importante. Dans la même perspective, il est facile de constater la correspondance entre la parution du roman-feuilleton au XIXe siècle et le développement des rotatives de presse. Ajoutons au XXe siècle les facilités apportées par la photocomposition, laquelle coïncide avec l’explosion de best-sellers de supermarchés publiés, aisément et rapidement, à des millions d’exemplaires. Et puis arriva Internet, fleuron de la révolution électronique qui menace non seulement le livre papier comme vous le redoutez, mais aussi le roman en tant que genre littéraire. C’est bien vu de votre part et je vous en félicite.

 Or, votre problème Cher Monsieur (et cela explique à mon avis votre état de confusion craintive), c’est que vous identifiez roman et littérature. En Araucanie tous les enfants savent, depuis l’école primaire, que le roman moderne n’est qu’un simple genre littéraire dérivé de l’épopée, l’un et l’autre nés au sein de la littérature narrative millénaire. Alors, la disparation du roman promise par les nouvelles technologies n’implique nullement la disparition de la littérature, sinon son simple remplacement par un nouveau genre littéraire –l’Intertexte- qui s’appuie sur les données de l’écriture électronique… exactement comme le roman s’appuya jadis sur l’imprimerie.

 « C’est quoi l’Intertexte ? », vous demanderez-vous pendant vos soirées dansantes. A l’opposé du roman –monolingue, monotextuel, monothématique-, l’intertexte est un genre multilingue, multitextuel, multithématique, beaucoup plus en phase avec notre époque où le brassage des langues et des cultures est devenu inéluctable. Mais n’ayez pas peur Monsieur, je ne vous imposerai pas de lire La Société des Hommes Célestes ou La Guérison, intertextes déjà publiés à Paris avec soin et élégance, contrairement à l’édition en papier-water et couvertures en papier d’épicerie des romans de votre ami Houellebecq, édité pourtant par vous -dévot du livre papier !-, chez Flammarion. Vous trouverez un aperçu commode de ces intertextes dans mon site (www.roberto-gac.com) ou dans Sens Public (www.sens-public.org).

 La lecture de mon article Révolution dans l’édition littéraire publié par Agoravox le 13 octobre, pourrait aussi vous aider à dissiper le brouillard dans lequel vous vous trouvez, moins à cause des pétards qui enfument les fêtes parisiennes, que par manque d’information. D’ailleurs, si vous le voulez bien, je peux vous trouver un stage à l’Université de la Nouvelle France (ainsi s’appelait l’Araucanie à l’époque du royaume d’Antoine 1er, l’avocat périgourdin intronisé comme leur roi par les indiens au XIXe siècle) de façon à vous recycler culturellement. Là-bas, en plus de lire L’Araucana, la merveilleuse épopée de Alonso de Ercilla y Zúñiga inspirée par les luttes de mon peuple contre l’Empire espagnol, vous découvrirez, pour compenser votre éloignement des réjouissances parisiennes, des superbes mengüeves aux chochorollís rayonnantes de volupté, qui s’occuperont de votre punún et même, au cas où vous auriez des pulsions perverses, de votre llí.

 Cher Monsieur, je voudrais vous éviter de glisser dans le comique avec votre croisade contre la révolution internaute, croisade que je ne peux pas me permettre d’appeler « quichottesque » par respect envers Cervantès. Non, vous êtes beaucoup plus proche de George Valentin, le protagoniste de L’Artiste, le dernier film de Michel Hazanavicious, où un très gentil benêt veut à tout prix préserver le cinéma muet, convaincu que le film parlant n’est qu’un avatar auquel il faut s’opposer vivement… Bref.

 En vous souhaitant un bel automne, Monsieur, je prends congé de vous bien amicalement…dans la mesure du possible, comme aurait dit Erik Satie

 Roberto Gac
Morigny, le 17 octobre 2011


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