Limonov vu de France

par Thomas Roussot
mercredi 21 septembre 2011

Né le 22 février 1943, Limonov est un écrivain politique franco-russe totalement insituable, dissident à l'égard du régime poutinien mais avant tout franc-tireur, électron libre assoiffé d'absolu. Il a fondé le Parti national-bolchevique, improbable alliage de mouvances hétéroclites et contradictoires. S'étant opposé au régime soviétique, il s'exila aux États-Unis, puis échoua en France, prêtant sa plume acerbe à des journaux tant communistes que nationalistes. Pratiquant le trafic d'armes et la tentative de coup d'État (au Kazakhstan) comme d'autres les séances de signatures, il enchaîna par une peine de prison de deux ans (au lieu de quatorze sous une certaine pression internationale). Son mouvement éclata, se reforma sous un autre avatar, étant accusé de faire le jeu de l'Occident par les uns, d'être un terroriste, un fou, un pornographe, voire un insecte.urgir mais demeurent tus.

L'ouvrage d'Emmanuel Carrère (Limonov, ed. P.O.L) tente de brosser le portrait existentiel de cet écrivain aventurier dont la France est tragiquement dépourvue. Son écriture comme souvent plate et factuelle demeure pourtant terriblement efficace dans son intentionnalité première, à savoir rendre compte d'un destin.

Chaque page ou presque indique combien l'auteur fasciné par son sujet ouvre un entredeux qu'il ne parvient jamais vraiment à combler, à savoir la différence de mentalité radicale entre lui-même et son... Limonov. Car à vrai dire, s'agit-il d'un roman, d'une biographie, d'un essai ? Parvenu à la fin du livre, l'on peut y déceler un exercice d'admiration teinté de haut-le-cœur vite relativisés par une lucidité finalement décente et bienveillante.

L'approche est très souvent psychologisante (sans doute pour éviter le piège d'une littératisation caricaturale) et l'on ne manque pas d'apprendre quels furent les rapports de Limonov avec sa famille, ses amantes, ses amis, bref, l'on a droit à une somme de détails relationnels qui certes peuvent éclairer un parcours mais ne peuvent aucunement en dessiner la cohérence.

« Il ne veut pas ressembler à son père quand il sera grand. Il ne veut pas d'une vie honnête et un peu conne, mais d'une vie libre et dangereuse : une vie d'homme ».

On découvre qu'un ex voyou en Ukraine, clochard et valet de chambre à Manhattan, connecté à L'Idiot international du côté parisien peut devenir infréquentable parce que goûtant par-dessus tout le désir d'isolation minoritaire, de dissidence pour elle-même et charriant une aspiration à la violence intrinsèque à la plupart de ses implications. Ses amis frenchies lui tourneront le dos pour certains quand ils le découvriront tirant à la mitrailleuse, certes dans Sarajevo assiégée par les forces de Karadzic, mais non pour résister à ce dernier...

"Il comprend une chose essentielle, c'est qu'il y a deux espèces de gens : ceux qu'on peut battre et ceux qu'on ne peut pas battre, ce n'est pas qu'ils sont plus forts ou mieux entraînés, mais qu'ils sont prêts à tuer".

Ce qui dérange, c'est cette dissymétrie entre le ton neutre, cliniquement propre de Carrère, et ce dont il est question à travers ses lignes, à savoir d'un écorché vif, d'un loup non domestiqué prêt à tout pour ne pas sombrer dans l'apathie et le conformisme, dont la ligne de brisure est toute tendue vers cette échappée hors des normes et autres carcans comportementaux de son temps. Carrère est sans doute « un ingénieur de l'âme » comme le disait Staline, il déconstruit parfaitement les ressorts affectifs, les circonstances qui s'enfilent les unes aux autres, tout un pan de l'histoire non seulement russe mais occidentale est dépeint avec précision, n'en demeure pas moins un constat abyssal :

« Je vis dans un pays tranquille et déclinant, où la mobilité sociale est réduite. Né dans une famille bourgeoise du 16ème arrondissement, je suis devenu un bobo du Xème. » Déclare Carrère.

Qui enchaîne les succès littéraires, sans bruit ni fureur.

Un archétype aux antipodes de Limonov qui déclarait à son amie Carol en réponse à la question « Tu aurais voulu quoi ? » du côté de New-York :

« Eh bien qu'on reste ensemble. Qu'on aille chercher des armes et qu'on attaque une administration. Ou qu'on fasse un attentat. Enfin, je ne sais pas, quelque chose. »

Ce contraste saisissant entre l'homme traité et l'écriture qui prétend l'embrasser laisse un sentiment amer, celui d'appartenir à un peuple anesthésié dont les échos lointains d'une histoire elle aussi envoûtante et chaotique n'attendent que de ressurgir mais demeurent tus.


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