Loin des ricains-vilains
par Sandro Ferretti
samedi 29 mars 2025
Les ricains, en ce moment, n’ont pas grosse cote dans les bourses mondiales du bon goût. Evidemment, le rouquin-vilain Bac moins 12, son teint orange de poulet frit du Kentucky qui se serait endormi sous la lampe à UV, ses éructations et ses provocations de cour d’école insupportent. Tout comme son acolyte le frapadingue électrique et ses bagnoles qui avancent toutes seules (souvent dans le mur, du reste). Bien sûr, le dossier des amères-loques est difficile à plaider : les obèses en jogging qui trimbalent partout leur gobelet de café-jus-de-chaussettes tout en donnant au monde des leçons d’élégance. Leurs grosses bétaillères à boite automatique en guise de voitures. Tout cela lasse, of course.
Mais c’est quand même injuste pour un pays qui nous a tout de même offert Bruce Springsteen, Patti Smith, REM ou Chris Isaak dans le sonotone. Offert aussi, sur l’écran noir de nos nuits blanches, De Niro, Al Pacino, les frères Cohen, Harvey Keitel ou Casey Affleck. Et chez les lettreux et autres écrit-vains qui tentent de mettre des mots sur les maux, il faut quand même mettre quelques fleurs sur les tombes de Cormack Mc Carthy, Richard Brautigan, John Fante et autres Faulkner. Alors so what ? C’était mieux avant ? Œuf corse. Mais tout de même, on ne va pas rester dans un Airbnb à écouter du R&B, non ?
Voici donc, en dehors des stars connues et reconnues, quelques pistes ou lueurs actuelles pour se réconcilier avec les ricains. Pourquoi ? Parce que.
Zach Bryan :
De prime abord, son dossier apparait dur à plaider. GI pendant 10 ans, « opérations extérieures », comme on dit, les oreilles bien dégagées et la tondeuse ayant bien déboisé la colline.
Oui, mais…
Une belle tessiture de voix, qui vire parfois au rauque, avant de remonter en chandelle vers la nuance et le soyeux. Un voile élégant. Peinture sociale pas lourdingue, des textes qui font penser à John Fante (cf « mon chien stupide » et le labrador à la fenêtre du Ford 88 de son père) :
Une façon de voir la vie en orange (vous vous souvenez de l’agent orange ?), à défaut de vie en rose.
Des considérations exemptes de mièvrerie sur la condition masculine (un homme ne pleure pas, ou alors se cache), la famille, les funérailles de la famille (qui sont aussi celles de la jeunesse et des rêves inaboutis).
Nathaniel Rateliff
Du lourd, du minéral, de l’authentique, habillé, sous la chemise à carreaux, de lassitude marinée dans le whisky Sour.
Voix à tomber, visite route la gamme du haut vers les basses.
Peintre des chienneries de la vie, (ce bouffon qui vient avec votre ex. vous prendre votre gamin pour la semaine réglementaire de la garde alternée). Mais un placide cherchant la redemption à travers la souffrance :
Mais sans en faire trop, et en tentant de faire le gros dos.
En plus, il aime sa maman. C’est important d’aimer sa maman, tant qu’il y en a :
Et puis, un peu de résignation ne peut pas faire de mal :( "yes, baby, I know")
Creedence Clearwater
C’est pas tout jeune (ici, c’est un « revival »), mais rien que pour les paysages, le pick-up Chevrolet rouge et le caractère imprévisible de la météo - la vraie, comme celle nos météos intérieures-, ben… c’est pour vous :
Tiwayo
Bon, OK, c’est un faux ricain, il est franchouille même s’il a passé 12 ans de sa vie aux States (N.Y, Chicago, Nashville, Memphis).
La musique noire américaine est son univers de référence, mais les nuits blanches lui ont tellement tailladé la voix que ses musiciens l’ont surnommé « the young old ». 31 ans, mais la voix éraillée d’un Tom Waits. Il aurait pu être barman dans un bouge de la Nouvelle-Orléans, en secouant les ingrédients de ses cocktails dans le shaker chromé (blues, gospel, soul, rock, gypsy) : il sert le cocktail un peu frappé (un peu comme lui, avouons-le), mais a un touché de guitare autodidacte assez fulgurant, même s’il a parfois un coté exagérément démonstratif (le genre « Hey, t’as vu ce que je sais faire ? »).
Il sait aussi rendre hommage aux anciens (les Mamas & Papas californiens, en l’espèce) avec ce bijou de nos mémoires qu’est « California Dreamin ».
Voilà, c’était ma modeste contribution à l’optimisme et à la résilience, au-delà des droits de douane ricains et leurs cerveaux atrophiés.
Non, tous les ricains ne sont pas vilains.
C’est même à ça qu’on les reconnait, comme disait l’autre…
Crédit photo : Leutrim Fetahu