« Lorsque l’enfant paraît » Catherine Frot & Michel Fau au pinacle de La Michodière
par Theothea.com
jeudi 10 novembre 2022
Jouer cette pièce d'André Roussin en cette période contemporaine alors qu'elle a été écrite en 1950 est une véritable aubaine.
Un mois et demi après sa première, la jauge du théâtre de la Michodière fait le plein en rassemblant tout ce que le public attend pour sortir de chez lui afin de se réjouir en nombre.
Comme aimantés par le bouche à oreille, les spectateurs savent instinctivement que le duo Frot-Fau va combler leur attente.
Et c'est donc sous leurs applaudissements que la grande Catherine apparaît !
Et là peut commencer la création de Michel qui, de toute évidence, aime tellement les personnages caricaturaux qu'il a le talent de les diriger avec tact et justesse comme si, précisément, ceux-ci étaient paradoxalement pétris de sobriété.
Il s'en empare tel un démiurge agitant à distance les stéréotypes comme des marionnettes complaisantes d'un jeu de société qui permet de pousser leurs cohérences jusqu'aux stades ultimes en déclenchant l'hilarité générale.
Mais Michel Fau n'a pas l'intention de se moquer ; il respecte la sincérité de cette grande bourgeoisie convaincue dans son échelle des valeurs, de la vertu inhérente aux principes de la morale, même si en pratique, elle est tentée de ne pas en appliquer les contraintes.
En tout cas, l'ancienne génération en rappellera l'esprit sans cesse à sa progéniture qui, elle, aura tendance à chercher ouvertement des arrangements propices pour composer l'attitude favorable à son intérêt immédiat.
Jeux de rôles parfaitement huilés par l'auteur qui aura le talent de jongler avec de multiples rebondissements domestiques pour parfaire sa démonstration de déstabilisation collective suscitée par les signes avant-coureurs de l'enfantement imprévu, voire même de 4 coup sur coup.
De l'épouse à la gouvernante en passant par le fils et la fille de bonne famille, tous se sont donné le mot pour entraver la très honorable progression de carrière sénatoriale du pater familias.
Si le "Qu'en-dira-t-on" est en l'occurrence tellement important, c'est que ce haut représentant du peuple vient précisément de faire voter à la fois la pénalisation de l'avortement et la fermeture des maisons closes.
Cependant l'œil amusé de Michel Frau en dit long sur l'interprétation décalée qu'il souhaite projeter dans l'imaginaire du public.
Avec sa comparse Catherine Frot, ils composent un fabuleux tandem à deux têtes, l'une, la sienne, prête en permanence à trouver matière à se réjouir, l'autre toujours prédisposée au drame à venir ; cette complémentarité ludique accompagne comme dans un leitmotiv magique les tribulations des mises enceintes successives annoncées à la manière de catastrophes naturelles pouvant modifier la rotation de la planète.
Par chance, il n'en sera rien et les naissances annoncées devraient reprendre leur statut d'heureux événements puisque à l'époque la planification contraceptive n'était effectivement pas encore d'actualité.
Dans un décor aux couleurs saturées pouvant suggérer la perspective hyperréaliste assumée par cette mise en scène ébouriffante, un rétrécissement opérationnel s'effectuera sur le plateau grâce aux rapprochements progressifs de panneaux mobiles à chaque baisser de rideau intermédiaire comme pour signifier la normalisation sociétale en voie d'être sauvegardée sans autre échappatoire viable.
C'est donc un véritable régal que d'assister dans un premier temps à la complexification sans cesse croissante du « savoir gérer » les moeurs en cours se raccrochant aux moindres tests de grossesse plus ou moins farfelus jusqu'à atteindre ce franchissement du cap d'inflexion s'autorisant enfin la perspective d'une réalité pragmatique à projeter...
La distribution est en pleine osmose avec cette perception plaisante et dynamique que Michel Fau distille en présentiel sur scène grâce à son expressivité fédératrice et confiante.
Ainsi cette réalisation artistique remarquablement agencée en équipe autour de la famille Fau-Frot est ovationnée avec grand enthousiasme par le public.
photos 1 à 5 © Marcel Hartmann
photos 6 & 7 © Theothea.com
LORSQUE L'ENFANT PARAÎT - **** Theothea.com - d' André Roussin - mise en scène Michel Fau - avec Michel Fau, Catherine Frot, Agathe Bonitzer, Quentin Dolmaire, Hélène Babu, Sanda Codreanu et Maxime Lombard - Théâtre de La Michodière