« Mademoiselle Julie » Anna Mouglalis magnétise L’Atelier
par Theothea.com
vendredi 7 juin 2019
D’un processus créatif à l’autre en 2018, Anna Mouglalis & Xavier Legrand ont changé de production et de metteur en scène en charge du projet de cadrer leur « Mademoiselle Julie ».
En effet, après une première perspective en compagnie de Gaëtan Vassart dont le teaser laissait apparaître une scénographie plutôt extravertie, le duo perspicace décide alors de faire appel à Julie Brochen qui ramène les protagonistes vers une lutte plus intériorisée où l’esprit se bat, avant tout, contre lui-même.
Depuis le Conservatoire, Anna souhaitait incarner le rôle de la jeune aristocrate ; a contrario, Julie Brochen en sortant de cette même formation, se méfiait de ce texte qu’elle jugeait très noir.
L’aspiration récurrente de l’une allait néanmoins convaincre la collaboration active de l’autre d’autant plus aisément qu’ayant travaillé récemment sur les difficultés du couple, l’accès à la pièce de Strindberg apparaissait désormais à Julie Brochen plus attrayant.
Anna Mouglalis, dont le timbre de voix semble faire écho sensitif à celui de Fanny Ardant, avait envie de porter haut le désir perçu du point de vue féminin mais Julie Brochen veillerait à ce que son partenaire masculin, Xavier Legrand, ait toute latitude à affirmer l’autonomie de sa personnalité.
En effet, sachant que leurs relations homme / femme évolueraient en permanence dans le contradictoire et le conflictuel, il était important que chacun soit assuré de sa marge de manœuvre.
La malignité de l’auteur est d’avoir réussi à intriquer les rapports de force entre Julie et Jean, non seulement au sein de leur pouvoir réciproque de séduction mais surtout en laissant le jeu de différenciation sociale s’exercer dans toutes ses composantes tirant à hue et à dia à la fois sur la rationalité, la morale et la respectabilité mais aussi sur la servilité, la condescendance et l’instrumentalisation.
Magnétique, Julie se joue de Jean parce que, bien entendu, elle sait l’effet qu’elle produit sur lui, elle se rend compte de la gêne que cela suscite, elle escompte que le statut de domestique mette celui-ci en porte-à-faux et que l’absence paternelle renforce le trouble sur la confiance déléguée à son majordome ; bref, tout au long de cette nuit de la Saint-Jean, Julie ne boira « pas uniquement » du petit lait à perturber sans cesse les repères de la bienséance.
En contrepartie, le valet ne s’en laisse point compter. Il a l’expérience du métier pour lui ; ce ne sont pas les divagations excentriques et alcoolisées d’une nymphomane désorientée par sa rupture sentimentale récente qui peuvent mettre à mal sa droiture bien qu’il n’en soit pas moins ce mâle disponible manifestant de plus en plus ouvertement son objectif d’émancipation à moyen terme.
Toutefois, comme la dialectique argumentaire peut susciter des tendances à faire fluctuer les opinions et les convictions de l’une et de l’autre, que par ailleurs Kristin, la gouvernante, surveille plus ou moins la fougue des débats, voire ces ébats, place donc désormais à la valse du déséquilibre et du dérapage incontrôlés sur le point de s’immiscer au cœur du ring pour s’y faire ostensiblement hara kiri.
Julie Brochen, de surcroît en charge scénique du rôle de la gouvernante, tente de retenir les rênes des deux pur-sang désemparés.
Saura-t-elle les brider et les faire revenir au petit matin en zone de réalisme se pointant sous la lumière de l’aube qu’accompagnera la chanson de Gribouille « Dieu Julie » ?
De fait, c’est Strindberg qui décide de la chute nécessaire à sa tragédie « naturaliste », mais ce sont quand même Anna Mouglalis et Xavier Legrand qui auront pris à témoin l’immense scène en profondeur du Théâtre de l’Atelier pour en faire leur terrain de jeu passionné à la manière d’une corrida à dominante feutrée… de préférence.
photos 1 à 4 © Franck Beloncle
photos 5 & 6 © Theothea.com
MADEMOISELLE JULIE - ***. Theothea.com - de August Strindberg - mise en scène Julie Brochen - avec Anna MOUGLALIS, Xavier LEGRAND & Julie BROCHEN - Théâtre de l'Atelier