Magritte n’est pas un peintre

par Sylvain Rakotoarison
samedi 26 août 2017

« L’art de la peinture ne peut vraiment se borner qu’à décrire une idée qui montre une certaine ressemblance avec le visible que nous offre le monde. » (Magritte).



Depuis cinquante ans, depuis exactement le 15 août 2017, René Magritte n’est pas un peintre. N’est plus un peintre, sinon, il nous produirait encore de délicieux et subtils tableaux. Il n’est qu’un triste locataire perpétuel de la concession numéro 3047 du cimetière belge de Shaerbeek, près de Bruxelles.

L’évocation de Magritte fait penser immédiatement à sa "fameuse pipe" qui n’en était pas une. Il le disait d’ailleurs : « La fameuse pipe, me l’a-t-on assez reprochée ! Et pourtant, pouvez-vous la bourrer, ma pipe ? Non, n’est-ce pas, elle n’est qu’une représentation. Donc, si j’avais écrit sous mon tableau "Ceci est une pipe", j’aurais menti ! ». D’ailleurs, cette pipe, réalisée en 1929, elle avait pour tire : "La Trahison des images".

Pourtant, ce n’était pas seulement une pipe, représentative ou pas. Magritte était un peintre surréaliste dont le style très académique, très classique, était au service d’une relation absurde entre les choses représentées. Ce sont les compositions de ces tableaux qui sont extrêmement rafraîchissantes, donnant des correspondances, des connexions, des courts-circuits très particuliers entre les idées, les choses, les êtres, les concepts. Comme Salvador Dali qui était le peintre des rêves, Magritte s’est évertué dans l’onirisme figuratif (à ne pas confondre avec l’onanisme figuratif !) avec des formes géométriques très accentuées et des couleurs souvent reposantes à l’œil.



Auréolé de son vivant, Magritte s’est éteint chez lui d’une sale maladie à l’âge de seulement 68 ans (né le 21 novembre 1898). Il avait connu les deux guerres mondiales, mais aussi un drame familial (le suicide de sa mère lorsqu’il avait 13 ans), et a rencontré sa future femme Georgette à la foire de Charleroi peu avant la Première Guerre mondiale. Il ne la recroisa par hasard que six ans plus tard. Adolescent, il aimait jouer dans un cimetière, en s’aventurant dans les caveaux.

Pour rendre hommage à Magritte à l’occasion du cinquantenaire de sa disparition, je propose ici modestement de revoir quelques-uns de ses tableaux, puisés parmi les centaines d’œuvres qu’il a faites, souvent une provocation contre le conventionnel, ou une association entre deux concepts. Le titre de la plupart de ses œuvres n’a rien avoir avec ce qui est représenté, par volonté de déstabiliser l’entendement. Mes commentaires n’ont d’intérêt que d’introduire les tableaux, les éléments intéressants, qui se regardent et "se consomment" en dehors de toute contrainte extérieure, avec l’esprit le plus vierge possible. Beaucoup de compositions peuvent faire sens.

Dans ce petit inventaire imaginaire, l’homme au chapeau melon a une lune à fine lamelle de croissant en guise de réflexion, à défaut de soleil malgré le ciel bleu. Être dans la lune ? Peut-être, mais l’aspect sombre et obscur du costume, neutre du non-visage peut laisser croire à un manque. On tourne le dos aux conventions.



Le gros nuage blanc dans un paysage de montagne va certainement apporter la pluie pour nourrir les ruisseaux et rivières. Pourquoi donc ne pas recueillir l’eau dans un verre à vin ? Mettre de l’eau dans son vin, ou demander un nuage de lait avec son thé ?



Dans la chambre recouverte d’un papier peint ciel, les objets intimes n’ont pas la taille réglementaire. Le lit est tout petit tandis que les ustensiles pour se rendre élégante sont géants, ainsi que ceux pour boire ou fumer (pour le côté éventuellement masculin).



De vieilles chaussures en cuir à forme de pieds, cela devrait être l’adaptation la plus affinée pour se chausser. Maintenant, les magasins de sports proposent chaussettes et chaussures avec différentiation des orteils. Les ongles pousseront-ils ? Toujours noter les légendes sans toujours rapport évident avec le sujet du tableau.



La colombe remplie de ciel est récurrente chez Magritte. Il en a peint de nombreuses. Ici survolant les vagues d’une mer plutôt calme. Le ciel de l’oiseau semble plus rassurant que celui de l’extérieur.



Un nuage d’une plage ensoleillée entre par inadvertance dans une chambre. Les murs en sont rouges de confusion. Les décors intérieurs dans les décors extérieurs et vice-versa ont souvent de quoi étonner sinon détonner.



L’amoureux des chats ne peut pas rester insensible à ce chat dans le melon. Au lieu de sortir un lapin, le magicien Magritte sort un félin philosophe en lévitation, la tête dans les nuages. Un chat en forme de pot.



Sans doute l’un des tableaux les plus "frappants" de Magritte. La mémoire en forme de choc frontal, devant un rideau qui pourrait se refermer sur la vie, qui est le ciel et les nuages.



Échouée sur les rives d’une plage déserte, une sirène à l’envers, à tête de poisson et à pattes d’humain. Si les cuisses sont gracieuses, rien n’indique volupté tant la tête écailleuse du poisson se prête mal aux désirs amoureux. Sans compter l’haleine.



Le croissant de lune enfin agrandi et même pesé et soupesé dans une soucoupe, à côté d’une amphore, sur ce qui ressemblerait à des ruines d’un temps jadis.



Reprenant le principe des sirènes à l’envers, le tableau représente deux amoureux pétrifiés au bord de la mer avec un navire au large qui passe.



Terminons sur cet autoportrait du peintre, avec un titre devinette, la clairvoyance. Le peintre, anticipant le devenir de l’œuf, son modèle, brosse les détails de l’oiseau qui en sortirait…



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 août 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Magritte.
Daniel Cordier.
Boulez à Paris.
La collection Cordier à Rodez.
Soulages à Rodez.
Claude Lévêque à Rodez.
Caillebotte à Yerres.
Goya à Paris.
Brueghel à Paris.
Chagall à Paris.
Dali à Paris.
Van Gogh à Paris.
Hiroshige à Paris.
Manet à Paris.
Rembrandt à Paris.
Boltanski, artiste contemporain.
Boltanski au MacVal.


 


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