Mats/Morgan sur les traces de Zappa
par Bernard Dugué
mercredi 27 mai 2015
Avec le dernier CD du duo suédois Mats-Morgan, nous pouvons compléter le panorama de cette musique progressive mais pas trop symphonique qu’est le rock in opposition. Morgan Agren joue de la batterie depuis l’âge de 4 ans. Son compère Mats Oberg exerce ses talents au clavier. En 1988, ce duo suédois eut l’honneur d’être invité pour quelques performances scéniques par Frank Zappa en personne. Autant dire que ces deux musiciens se réclament d’un prestigieux héritage qu’ils ont pu faire fructifier pendant plus de deux décennies avec quelques productions en studio dont le dernier en date propose une douzaine de petites perles musicales composées par le duo et quelques une jouées avec trois musiciens additionnels, clarinette incluse. Entre 1996 et 2002, le Mats-Morgan band a produit six albums. Puis en 2005 est paru chez Cuneiform records le premier CD signé par le duo. Il a fallu attendre presque dix ans pour voir un nouvel album disponible, intitulé « Schack Tati » en référence au cinéaste français Jacques Tati connu pour son modernisme burlesque… et décalé comme l’est cette musique qui vient de Scandinavie.
La musique de Mats-Morgan est très moderne et même moderniste, foisonnante, presque exubérante, avec un style empruntant beaucoup à Zappa pour le côté baroque et rapide mais moins rock que le maître et un peu plus mélodieux et raffiné, avec des morceaux évoquant autant Happy the Man que des productions issues des enfants de Canterbury comme l’ont été Henry Cow ou National Health. Un peu jazzy, très progressif, légèrement teinté de symphonisme avec un travail conséquent de la partie clavier et joyeux, débridé, festif, entraînant, par la magie d’un grand batteur qui d’ailleurs joue avec d’autres artistes sur la scène internationale. La Suède n’est pas uniquement prédestinée pour gagner l’eurovision de la chanson. Elle est aussi la partie non seulement du métal de bonne facture mais aussi du progressif avec des artistes présentant une originalité certaine tout en se coulant dans des mouvances abouties et travaillées depuis les seventies.
A noter une curiosité. Les musiques sont la plupart signées Agren mais il n’est pas exceptionnel que le percussionniste s’implique dans la composition. On connaît quelques cas, avec notamment Christian Vander pour sa formation Magma ainsi que Daniel Denis très présent pour Univers Zero. Dans ce genre de musique telle qu’on l’entend chez Mats et Morgan, la batterie ne sert pas de métronome comme dans le rock basique mais représente un instrument à part entière contribuant à la production des œuvres ainsi qu’au style pratiqué. Mats et Morgan proposent des pièces musicales très stylisées, avec des notes qui semblent se découper pour dessiner des arabesques mélangeant l’expérimental, le jazzy et le symphonique. Des notes jouées au piano qui s’envolent et confèrent à l’ensemble ce côté très aérien et expérimental qu’on trouve chez Zappa, Henry Cow, Matching Mole ou même Zao. Ces quelques références permettent de situer le dernier opus de ce duo Mats/Morgan dont les compositions sont travaillées et proposent une palette de styles et d’ambiances expérimentales et progressives parfois planantes qui raviront les mélomanes amateurs de musique baroque et s’éloignant des évidences médiatisés pour les masses. Bref, de l’authentique musique, à consommer sans modération.
Verdict, 4 stars sur 5 pour ce CD paru chez Cuneiform record et qui s’écoute agréablement avec un style lumineux, enjoué et plutôt optimistes, rappelant les seventies si créatives et les expériences les plus innovantes, sophistiquées, raffinées mais pas du tout ennuyeuses. Une musique à écouter le soir lorsque le soleil tape encore avec un verre de rosé frais.