« Mesrine : l’Ennemi public n°1 », ou la mort aux trousses

par Vincent Delaury
lundi 24 novembre 2008

 

Disons-le d’emblée, la 2ième partie du diptyque sur Mesrine, signé par le talentueux Richet, m’a moins emballé que la 1ière. En tant que spectateur, je trouve qu’on est moins dans l’ivresse, on est moins surpris par le personnage Mesrine qui nous avait tant bluffés dans le premier par son panache et sa désinvolture de malfaiteur audacieux, plutôt contagieuse.

Mené tambour battant, le premier (L’Instinct de mort, 1h53) filait à une vitesse un peu folle et on avait moins l’impression de séquences narratives se succédant platement comme dans le 2ième, certainement parce que le filmage à l’américaine, plus opératique et plus majestueux, permettait au film de glisser habilement entre les genres, les territoires - France, Espagne, Etats-Unis, Canada - et les différents protagonistes croisés par Mesrine sur son chemin (de croix). Dans le deuxième, L’Ennemi public n°1 (2h10), lorsqu’on le voit en salle un mois après le premier, certes Richet nous plonge tout de suite dans l’action, ce qui me semble une bonne chose, on gagne du terrain mais, en même temps, pour le spectateur, et même si l’intrigue n’est pas d’une complexité abyssale, il faut se remettre tout de go dans le contexte des seventies, on a alors un peu de mal car on se doit de raccrocher les wagons, notamment avec le jeu d’un Vinz’ Cassel qui s’avère moins fin - sa gouaille du genre titi parisien est quelque peu forcée (enfin moins que l’accent du Sud à venir de Charlie Bauer/Gérard Lanvin !) et il faut alors faire quelque effort pour accepter cette convention langagière qui tend à rapprocher le jeu habité de Cassel vers la pure imitation style Musée Grévin.



En outre, dans ce 2ième volet, étant donné que Mesrine est plus chaotique, et ses actes plus brouillons, la mise en scène vient épouser cette tempête sous un crâne : le cadre est moins stable, ça virevolte et mitraille sec dans le plan et le montage, plus cut, annule tout lyrisme au profit d’un cinéma d’action pure. Haut les flingues ! OK, les séquences de braquage et de flingage s’enchaînent efficacement, les flics à hauts képis, les Renault 16, BMW et autres 4L défilent tous azimuts, on suit tout cela sans ennui mais sans grande exaltation non plus, et c’est là que le bât blesse un peu : ça vient faire doublon quant à tout ce qui se passait dans le 1ier. On retrouve les mêmes ingrédients (flics apeurés, casses, tueries, enlèvements, volonté de puissance de Mesrine, course aux paillettes, retour à la case prison, évasions en série, romance, guet-apens, cavalcades) et les blocs dramaturgiques, plus attendus, s’empilent alors classiquement, au rythme des personnages entrant dans la danse de mort du gangster n°1 (Michel Ardouin, François Besse, Sylvia Jeanjacquot, Charlie Bauer et le Commissaire Robert Broussard). Au final, on se dit que ce biopic en diptyque, qui dure plus de 4 h, aurait certainement gagné en puissance en étant plus elliptique. Un film fleuve, scindé en deux parties mais pris dans un continuum filmique, à la Il était une fois en Amérique, aurait certainement permis de garder tout du long l’énergie bord-cadre et le côté écorché vif de Mesrine. Du 1ier, j’ai envie de tout garder, et du 2ième, je retiens surtout la violence abominable du gangster ennemi public n°1 contre un journaliste de Minute (cela permet de voir également la crapule qui se cache derrière son côté Robin des Bois) et la traque en plein Paris menée par Broussard qui finira en bain de sang sans sommation, un certain 2 novembre 1979, porte de Clignancourt. Ici, question mise en scène, Richet réussit une superbe séquence, non seulement parce que son filmage kaléidoscopique rappelle le meilleur De Palma, mais aussi et surtout parce que le film s’arrête là où l’on « rêverait » de voir la suite : un Mesrine, désormais politisé via ses accointances avec l’extrême-gauche et les Brigades rouges, qui déciderait de passer du statut de braqueur populaire à celui de réformateur social voulant lutter tout seul contre le système (police, justice, Etat français) et les QHS : « Je veux faire fermer les QHS, parce que moi j’y ai passé 5 ans, moi j’ai vu comment on brise les hommes, comment on les démonte, comment on les casse. » On se dit alors qu’un autre film serait à faire, en allant outre la réalité brute de décoffrage, à savoir la mort subite d’un corps-masse finissant en viande morte sanguinolente. Et les points de suspension de cette fin d’une (sur)vie trépidante sont hautement convaincants. Ce diptyque n’en est que plus fort lorsqu’il se fait, trop rarement hélas, béance filmique dont le spectateur, par son imaginaire, est invité à combler les trous.



Résumer ce diptyque à du « cinéma français à l’américaine » ne suffit pas. Dans un premier temps, il faut certes le souligner puis, dans un deuxième, préciser qu’il tend vers autre chose et qu’il ne se contente pas d’être dans le simple copier-coller : il s’agit davantage de partir du polar US pour rejoindre les histoires policières à la française, traitées par des Melville, Verneuil et autres Corneau. Mesrine oscille entre ces deux trajectoires, loin d’être antagonistes. Il y a du western hollywoodien dans le duel opposant le tueur à Broussard (« Quand nous nous rencontrerons à nouveau, ce sera à celui qui tirera le premier. », Mesrine) et dans l’échappée belle campagnarde de Jacques & François. Le film retrouve alors sa dimension lyrique, la battue des flics dans les hautes herbes alternant avec le parcours en douce des deux fuyards permet d’instaurer un suspense vraiment prenant. Tout compte fait, à l’exception de deux ou trois choses du 2ième, L’Instinct de mort se suffisait à lui-même. Cette 1ière partie montait constamment en crescendo, notamment grâce à l’escapade canadienne tonitruante du chien fou Mesrine, alors que le n°2, L’Ennemi public n°1, présente, on l’a vu, des baisses rythmiques et des saturations narratives qui nuisent, in fine, à la force d’impact de l’ensemble. A force de vouloir trop en dire sur Mesrine, son mystère s’épuise, le trop-plein confinant à l’illustratif, voire au décoratif. Le hors-la-loi devient moins opaque, plus attendu (sa course à la célébrité bling-bling, sur fond de poids des mots et de choc des photos à la Paris Match) et plus lourdingue (sa colère abrutie et sa violence extrême contre le journaliste Jacques Tillier dans une grotte de l’Oise réaménagée en studio de cinéma gore). D’ailleurs, cette séquence dure un peu trop, comme si Richet était tenté de basculer dans un voyeurisme morbide façon Gaspar Noé (Irréversible). Bon sang, coupez ! A l’instar du récent biopic sur Coluche, on aurait pu prendre qu’une tranche de vie de Mesrine et l’arrêter nette, à la fin du 1ier, tel le tranchant d’une guillotine, d’autant plus que dès l’entame du 1ier, Mesrine, dans sa marche inexorable vers la mort (« Je crois pas que je vieillirai beaucoup, au moins je connais déjà la fin  »), s’avère être une tête de mort courant droit à la potence : Jacques Mesrine (1936-1979) ou la chronique d’une mort annoncée. Lorsqu’il s’enregistre sur bande magnétique, ce tueur en sursis ne se voile point la face : « Il n’y a pas de héros dans la criminalité. » Fondu au noir.



Entre l’emballement tous azimuts du parcours de l’ennemi public n°1 et le point mort, voire l’angle mort (à la fin du 2, au cours de sa filature par les hommes de Broussard, Mesrine disparaît plusieurs fois de leur champ de vision), voilà certainement l’interstice dans lequel Mesrine, le personnage comme le film, réside. Entre ombre et lumière, dans un caché-montré permanent. Il est évident que la sortie en DVD du diptyque Mesrine permettra de voir dans la foulée les deux parties et ainsi de mieux apprécier l’ensemble mais, vous l’aurez compris, si l’on devait n’en garder qu’une, ce serait la 1ière car, à deux ou trois exceptions près, la 2ième s’inscrit dans un tragi-comique de répétition dont certains accents franchouillards pourraient presque conduire à revoir à la baisse le n°1 (L’Instinct de mort), ce à quoi nous ne nous risquerons pas car, chez Richet, il y a un tel instinct de cinéma et une telle amplitude dans son filmage qu’on a vraiment envie de continuer à le suivre dans ses prochaines trajectoires filmiques. Et pour une fois que Thomas Langmann (Le Boulet, Blueberry, Astérix 3) produit un film, en grande partie, artistiquement réussi, et dont le budget (80 millions d’€ !) n’étouffe point l’ambition d’un auteur, il faut tout de même avoir l’honnêteté de ne pas trop bouder notre plaisir et saluer, tel qu’il se doit, le retour du (bon) polar à la française.


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