Métamorphoses
par Blandine
jeudi 28 avril 2011
Métamorphose : du grec, méta = au delà et morphéus = dieu des rêves. Les rêves transforment les images, les formes, la réalité..
Ovide est un poète latin du Ier siècle avant J-C connu pour avoir écrit 12000 hexamètres répartis en 15 livres : Les Métamorphoses : mythologie romaine et transformations humaines constituent le thème central du recueil. Kafka, écrivain germanique du XXème siècle, est l'auteur d'une œuvre à l'atmosphère terrifiante : La Métamorphose. Divination pour l'un, cauchemar pour l'autre, tous deux représentent deux univers, deux ambiances distinctes. Entre l'ici-bas et l'au-delà d'un monde à refaire, comment envisager et s'approprier leur vision d'une communauté d'êtres humains ? Il y aurait sans doute de quoi écrire un livre, le sujet parait vaste et complexe. Il semble néanmoins intéressant d'observer les significations et le rôle de l'insecte, du latin insecta "divisé" dans La Métamorphose de Kafka et celui des arachnides dans Arachné , une légende greco-romaine créée par Ovide dans Les Métamorphoses.
Le tissage du mythe peut-il métamorphoser la réalité de notre chaos social si bien organisé ?
Arachné était une jeune fille charmante qui se vantait en prétendant être une tisseuse inégalable. Un concours fut organisé pour désigner qui d'Arachné ou d'Athéna, la déesse jalouse, était la meilleure tisseuse. Athéna, outrée d'avoir perdu le challenge, détruisit la toile d'Arachné. Celle-ci voulut se pendre de désarroi mais Athéna l'en dissuada et la métamorphosa en araignée pour qu'elle puisse tisser toute sa vie..
Si l'on traduit littéralement le récit d'Ovide, on comprend qu' Arachné, depuis, tisse des mythes, alimentés par les muses de l'Olympe, demeure des dieux.
Illic et lentum filis inmittitur aurum et uetus in tela deducitur argumentum : un souple fil d'or se mêle à la trame, et sur le métier défilent des légendes mystérieuses.
Arachné représente l'artiste, le poète, le sculpteur de mythes. Rejetée et sauvée à la fois par les dieux, elle est sa propre victime (la vantardise engendre la démesure qui provoque le courroux des dieux ) et son propre bourreau (pulsion de mort). Arachné symbolise la misère du mortel qui tente de se créer ou de subsister à travers son œuvre et la puissance de l'ambitieuse qui court à sa ruine en osant défier les dieux, l'orgueil "diabolique" à l'origine du conflit "divano-terrestre". Elle est "Passion". C'est une jeune fille mortelle mais pas seulement.
Odilon Redon était un peintre du XIXème siècle. Il entreprit de "déchiffrer" l'esprit humain à travers une analyse plus ou moins "symbolique" de l'âme qui, selon lui, était régie et soutenue par le rêve. Un monde fantasmagorique, terrifiant et angoissant à la fois.
Il a peint au fusain "L'araignée qui pleure" et a dit : « L'artiste vient à la vie pour un accomplissement qui est mystérieux. Il est un accident. Rien ne l’attend dans le monde social. »
"L'artiste est un accident" en tant qu'il est différent, du latin "accidens" = le malheur.
Le malheur est aussi ce qui qualifie la vie de Grégoire Samsa, anti-héros de Kafka dans la Métamorphose. Grégoire est en plein cauchemar : après une nuit agitée le réveil est douloureux. Lorsqu'il se lève pour partir travailler au petit matin, il se retrouve métamorphosé en un insecte hideux. Il doit ramper, affronter le regard de sa famille, la pitié des uns, la terreur des autres. Grégoire est une blatte, un cancrelat, une créature monstrueuse qui a gardé la faculté de penser, de souffrir, de réfléchir comme un homme. Très vite, il est rejeté, comme un poids pour ses proches, une erreur de la nature, un châtiment, une tragédie. Enfermé dans sa chambre, reclus, esseulé, il se laisse mourir, libérant ainsi les membres de sa famille, plus soulagés qu'attristés. Que représente Grégoire ? Un pestiféré comme Arachné parce qu'il est juste "différent", humainement inconventionnel ? Un tisseur (du latin" texus" : l'architecte) d'angoisse, l' initiateur d'un monde fait d'altérité et de répulsion. Cette bête humaine, cette araignée qui pleure, cette jeune fille qui tisse... c'est l'Autre.
Aujourd'hui, dans notre société actuelle, qui est cet autre, ce pestiféré devant à tous prix être éliminé ? Est-ce l'artiste, est-ce l'ignorant, est-ce le revendicateur ? Et si ces trois références étaient réunies pour désigner un seul et même corps : le peuple ? Soumis par les savants, manipulé par les incitateurs, il est celui qu'il faut cerner, contrôler, voire supprimer en cas de défaillance du système privilégier.
L'imagination et l'évasion se réunissent dans un même rêve, un rêve fécond, "métamorphosant". Rester docile et ordonné dans un système hiérarchisé et volontairement sophistiqué par les rhéteurs qui nous "accompagnent" et nous acheminent afin de nous maintenir pusillanimes c'est-à-dire non pas formatés ou "machinisés" mais simplement lâches...lâches de fuir nos rêves, nos ambitions, notre bonheur collectif et partagé dans un ordre social équitable et compris par la majorité .
On veut du rêve en couleur, des métamorphoses divino-terrestres... le noir est un fond de commerce, le fond de ceux qui ont compris que la blatte, l'araignée ou "l'autre"était en réalité le Peuple des créateurs masqués, inexplorés ou occultes.
Blandine