Métissage et chorégraphie planétaire

par jack mandon
samedi 11 décembre 2010

En échos à l’article de Fergus : « Quel avenir pour le bal nègre ? »

il me vient à l’esprit une grande année parisienne au millésime exceptionnel qui sut mêler l’énergie d’entre deux guerres à l’impétuosité africaine. C’était en 1925.

La revue nègre, sur un écran de feu, une déferlante d’ébène aux racines lointaines, au passé tumultueux. Les grands ancêtres arrachés à leur histoire, par l’Amérique en transit, essaimaient maintenant chantant, jouant et gesticulant pour conquérir la France et l’Europe.

Une explosion, un feu d’artifice originel pour nous conter un autre monde, celui génésiaque de nos lointains ancêtres de l’immense berceau naturel de l’humanité.

Cet évènement faisait fureur, le tout Paris accourait chaque soir au théâtre des Champs-Elysées. Le grand public à la turbulence coutumière, mais aussi la jeunesse littéraire, les grands artistes, l’avant-garde du moment.

Jean Cocteau le sulfureux s’y présenta récidiviste bouleversé, lui, l’habitué des enfers, Fernand Léger à la fixe densité expressive, le peintre du sage prolétariat...en un mot tout et son contraire connurent ce temps qui marqua sans violence le grand métissage artistique et humain du début du XX e siècle.

La perle noire de la distribution, Joséphine Baker l’éruptive endiablée

J’ai deux amours
Mon pays et Paris
Par eux toujours
Mon cœur est ravi
Ma savane est belle
Mais à quoi bon le nier
Ce qui m’ensorcelle
C’est Paris, Paris tout entier


Le voir un jour
C’est mon rêve joli
J’ai deux amours
Mon pays et Paris

La volcanique ensorcelante, dans un Paris certes à l’époque complètement lâché mais vierge de princesses frénétiques à la chorégraphie luxuriante exotique et colorée.

La nouvelle Orléans, conquérante pacifique, pour nous montrer, nous conter, nous crier un autre monde de rythme, de plaintes et de joie de vivre à l’état brut.

Les charmes de la vieille Afrique et de l’esprit moderne.

Sidney Bechett qui composera plus tard Petite Fleur , un succès mondial, même si lui-même était probablement plus fier des partitions de ballets telles que La Nuit est une sorcière qu’il compose pour le danseur et chorégraphe Pierre Lacotte.

Les mondes anciens dans le nouveau monde pour un nouvel horizon humain et artistique.

Les ferments créatifs aux parfums mélangés dans une effervescence dont ils ne mesuraient pas la portée, ses gens venu de partout et de nul part qui grouillaient dans cette capitale en mutation de l’entre deux guerres. Guerres dévastatrices et meurtrières, la première qui laissait des plaies béantes, la seconde qu’ils n’imaginaient pas.

Les plus déchainés et innovateurs en pleine révolution culturelle. Il bataillaient dur dans un combat pacifique pour ériger d’autres lois, rois et foi. Les écrivains.

Des groupes de phénomènes, boulimiques de beauté, extravagants de génie, foisonnaient, s’agitaient, palabraient, braillaient dans tous les sens en mal de nouveauté.

Une profonde réaction de survie et de sens après l’épreuve barbare du feu, des baïonnettes, des canons, de cet immense spectre traumatisant de la guerre.

La mort que l’on veut oublier en se lançant dans la vie corps et âmes. La mort génitrice de vie et d’amour, à l’aube d’une nouvelle ère.

Dans cette faune multiraciale et multicolore propulsée de toutes les provinces et de tous les continents, Paris s’éveillait bruyamment, colossale, déchainée.

Cet univers éclectique, l’affluence parisienne pour la grande curée, à la Zola. Tout ce monde émergé comme des diables des tranchées réelles et imaginaires.

La guerre de 14-18 venait enfin de rompre les amarres, démantibuler les structures vermoulues, trancher radicalement dans le vif du temps, démiurge praticien.

Il y avait eu l’ancien temps, comme le testament du même nom, maintenant c’était le nouveau temps. Avant la guerre, c’était si loin, antédiluvien !

Les artistes d’avant guerre c’était une curiosité de paléontologue.

Maintenant, après « tous les matins du monde » le premier matin.

Les ismes foisonnaient : dadaïsme, futurisme, orphisme, unanimisme, simultanéisme, expressionnisme, ( l’impressionnisme se perdait dans les brumes d’avant ) surréalisme, aube première.

Toutes les écoles se confondaient un peu, mais comme en politique, l’arrogante différence de surface, pour une essence commune dans une ronde que l’on voulait infernale, pour affirmer son unicité et pour préparer le prochain conflit que l’on ne verrait pas venir.

Eternel retour, virus enraciné dans la chair humaine, sempiternel fêlure, fracture génétique des premiers ébats amoureux sans doute.

Avant de voguer surréaliste, André Breton fut dada, Paul Valéry surréaliste, poétiquement symboliste mais tellement plus, tellement mieux, philosophe, épistémologue. André Gide l’esthète androgyne, belle intelligence généralisante, amoureux des jeunes ismes.

Dans cette effervescence talentueuse se dessinaient une floraison naissante, les prosateurs : Paul Morand, Henri de Montherlant, Jean Giraudoux, Pierre Mac Orlan, François Mauriac, Blaise Cendras, Valéry Larbaud, Jean Cocteau et Joseph Delteil, un jeune paysan étoilé au pays des bourgeois de la capitale.

Le surréalisme bretonnant flirtait avec la psychanalyse freudienne, il avait ses détracteurs.

Les baroques, Guillaume Apollinaire, Jean Giono, Marcel Aymé, Ferdinand Céline et André Breton le rouge dictateur, pléonasme surréaliste.

Des longues jambes, des yeux obliques et triangulaires, des sexes aléatoires, les demoiselles cubistes d’Avignon pour la postérité et le regard noir et perçant de Picasso.

Peut être que la bataille du style eut lieu entre les sensibles , les Girondins, la saveur, et les Montagnards, la rigueur. Savoureux mélange de volupté et de métaphysique.

Il parait qu’à cette époque, dans l’exaltation généralisée, mai 68 avant la lettre, c’était la grande révolution des arts et lettres, sauvage et totale. L’académie française vacilla sur ses fondements. Le cardinal Richelieu n’eut pas survécu à son fantôme.

Mais...Avec le temps
Avec le temps, va tout s’en va
On oublie les passions et l’on oublie les voix.

Ils chantèrent et déchantèrent tous ces créateurs en irruption. La bataille littéraire fut perdu et d’ailleurs n’eut jamais lieu, sinon dans les consciences les plus exaltées.

Cependant, l’Afrique éternelle traça ses premiers sillons en jouant, chantant et dansant dans une nuance identitaire couleur d’humanité. Ce fut l’art moderne.


Lire l'article complet, et les commentaires