Meursault : contre enquête*
par Paul ORIOL
mercredi 19 février 2014
Du nouveau sur un crime commis en 1942 sur une plage algéroise où un « Arabe » avait été tué de plusieurs balles de revolver. Par le frère du jeune assassiné.
A l'époque, nul n'avait connu le nom de la victime et son cadavre avait disparu. Tandis que l'auteur, un certain Meursault, condamné à mort mais jamais exécuté, avait relaté son crime dans un livre qui lui a valu, quelques années plus tard, un prestigieux prix littéraire mondial.
La mère et le frère de la victime sont partis, pendant des années, à la recherche du corps de leur fils et frère. Celui-ci retrace cette longue quête peu fructueuse mais qui leur a permis, sans être reconnus officiellement, de témoigner de leur situation à l'époque et de leur situation actuelle en Algérie.
Cela permet, aujourd'hui, de donner un nom à la victime : Moussa Ouled el Assasse, Moussa, « le fils du gardien. Du veilleur pour être plus précis », parce que le père « travaillait dans une usine de je ne sais quoi ». Père qui, lui aussi a disparu, on ne sait ni pour où, ni pourquoi.
La victime n'a pas eu droit à une reconnaissance comme chahid (martyr) et la famille n'a eu aucune indemnisation de la part du Gouvernement algérien : le crime avait eu lieu bien avant le déclenchement de la lutte de libération nationale. Et le frère qui a tué un Français n'a pas reçu le titre d'ancien moudjahid (combattant) : le meurtre a eu lieu quelques jours après la proclamation de l'Indépendance.
Le frère de Moussa qui en a été l'ombre, la doublure auprès de sa mère, pendant des années, n'en a tiré qu'un seul bénéfice personnel : la rencontre éphémère d'une jeune étudiante libérée de l'Algérie nouvelle, Mériem (Marie), qui faisait un travail universitaire sur cet événement.
Bien sûr, l'Algérie nouvelle lui a permis aussi d'aller à l'école, d'obtenir un emploi de petit fonctionnaire tandis qu'avec sa mère ils pouvaient bénéficier de l'occupation d'un bien vacant, une maison abandonnée par une famille française chez laquelle la mère travaillait.
Dans les faits, Meursault ne risquait pas grand chose en tuant, sous l'effet brutal du soleil, un « Arabe » sur une plage. C'est surtout son comportement lors de l'enterrement de sa mère et dans les jours qui ont suivi sa mort qui lui ont valu une condamnation à mort, jamais exécutée d'ailleurs. Le jeune algérien ne risquait guère plus pour le meurtre d'un Français.
Mais si l'écriture du livre a valu un prix fabuleux, au premier, il risque de faire du second, pour sa description du monde dans lequel il vit, l'objet, un jour ou l'autre, une condamnation qui a beaucoup plus de chances d'être suivie d'effet.
* « Meursault, contre-enquête » de Kamel Daoud, [barzakh], Alger 2013
NB : Le livre publié en français et édité en Algérie a été traduit en plusieurs langues. Pour le moment, il n'est, malheureusement, pas encore diffusé en France.