Michael Jackson, alias Mister Lonely, is back !

par Vincent Delaury
mardi 30 décembre 2008

Mister Lonely* ou L’Attaque des clones en quelque sorte.

Le film du réalisateur indépendant Harmony Korine (Gummo, Julien donkey-boy) - Mister Lonely - n’est certainement pas un chef-d’œuvre, trop de complaisance arty et branchouille (allant même jusqu’à s’égarer dans des stases spatio-temporelles filmiques propices à l’ennui !), mais, en allant surfer sur l’île artificielle et mélancolique des sosies (Charlot, Marilyn, Madonna, le Petit Chaperon Rouge, Bambi...), il permet tout de même une sorte de come-back par procuration à... Michael Jackson, King of Pop inscrit aux abonnés absents depuis un moment, c’est le moins qu’on puisse dire ! Mais, quoiqu’on en dise, ce mec-là, au visage déstructuré par la chirurgie esthétique, est un génie de la musique, un fucking genius je dirai même ! Eh oui, c’est LUI l’auteur magique de machines funky increvables et mythiques comme Don’t stop ‘til you get enough, Thriller, Billie Jean, Beat It, Bad et autres Blood on the Dance Floor. Yeah Michael, come on, the way you make me feel ! 



Derrière le strass, les paillettes et les heures, parfois cramoisies, passées sous les sunlights, cet illusionniste à la main d’argent, au moonwalk légendaire et au corps-fantôme, voire mutant, a toujours goûté à la solitude des stars, dont certains, fort cruels voire jaloux, n’attendent qu’une chose : la chute libre, sur le mode Plus dure sera la chute – bref, on en connaît la chanson, sur fond de procès sans fin et d’accusations de pédophilie notoires. Remember : « Leave Me Alone » chantait un Michael grimé dans un clip-parc-d’attractions éponyme, musée-clinique clipesque de 1988, un leitmotiv à ne pas oublier. Cette solitude rêvée, c’est aussi pour Michael une volonté d’échapper à soi-même. Et, chez Korine, au générique, l’image de Mister Lonely - en plein je(u) régressif, où l’on voit, sur un standard de Bobby Vinton, un Michael Jackson sur sa mini-moto au ralenti - saisit tout du personnage bigger than life : cet enfant Dieu bulle ad libitum dans un temps suspendu, au royaume cotonneux de Neverland. C’est un jet-lag permanent. Il a grandi trop vite, c’est un corps d’adulte dans un état d’esprit enfantin, rêvant non stop de chantilly flottante, de Peter Pan, de Fred Astaire, de miroirs rococo, de verres de lait à Demy pleins et de Mickeys kitschissimes. Au jour d’aujourd’hui, en 2008... 2009, il paraît que la star des stars, Michael Jackson alias THE King of Pop, serait encore dans tous ses états, il irait au plus mal, sa santé péricliterait tous azimuts (un déficit en alpha 1-antitrypsine, un œil gauche passant bientôt l’arme à gauche) ; concernant ce thriller d’un Jackson dont le corps élastique, après avoir été trépidant dans les 80’s et 90’s, serait désormais vacillant, voire carrément à l’Ouest, eh bien j’espère juste, en tant qu’aficionado jacksonien avéré du King !, que c’est de l’intox, pas de l’info ; la presse nous annonçant d’ailleurs, quelques jours après nous avoir fait part qu’il serait atteint d’une maladie génétique grave (greffe de poumons en vue), qu’il ferait en fait, en excellente forme, du shopping cosmétique à Beverly Hills tout en se préparant pour une prochaine tournée mondiale de près de trente dates à travers les cinq continents – sacré farceur, qui croire ?

A la copie estampillée Korine (égarée dans un phalanstère de sosies en terre écossaise aux confins d’un surréalisme « mara-bout-de-ficelle »), on peut toujours préférer l’original ; pour autant, l’original est déjà, en soi, à l’ère du corps formaté et du visage botoxé, une copie d’un Eldorado rêvé, un double, un masque-media. C’est pour cela que des artistes contemporains (McCarthy, Koons, Marclay, Horowitz, Belin et consorts), travaillant la surface de l’image médiatique, façon le dandy Warhol, ne cessent de se référer à ce corps-icône, à ce corps-blason, mannequin figé de vitrine bling bling qu’est le Jacko des charts et des tabloïds britanniques : pensons aux sosies désincarnés de Valérie Belin, portraits d’illusions qui sont comme autant de surfaces réfléchissantes de la star-system et de sa fabrique d’images-leurres ; on peut aussi évoquer la céramique barok’n’roll de Jackson & Bubbles, exposée au château de Versailles et signée par le néopop Jeff Koons. Hop hop hop, la boucle est bouclée ! : mettre le Roi de la Pop chez le Roi Soleil, c’est mettre un miroir en face d’un autre miroir, mise en abyme propice à la question suivante : « Quand un miroir se regarde dans la glace, qu’est-ce qu’il y a à voir ? » (Andy Warhol). En faisant de son corps de star fabriqué un work in progress ouvert aux mutations biologiques dernier cri, Michael Jackson s’inscrit de plain-pied dans l’art contemporain : n’en déplaise à certains, c’est lui le plasticien hors pair, le King of Pop… Art, cultivant à l’extrême un art des surfaces. C’est ça, entre autres, qui est fascinant chez Jackson, le vrai comme le « faux » d’ailleurs (on s’en fiche désormais !) : le fait qu’il soit davantage une image, un ersatz, une icône génétiquement modifiée, qu’un être de chair et de sang. C’est à la fois un Dieu et un épouvantail, un zombie superstar, autrement dit une Créature Pop entre Bambi et Frankenstein. « Frankenstein-le-Bambi », écrit Jean-Hubert Gailliot dans son plaidoyer admiratif et fraternel Bambi Frankenstein (2006), il est entre noir et blanc, réalité et fiction, glamour et trash, candeur et obscénité, prophète et martyr, homme et femme, black-music couillue et r’n’b sirupeuse, et on pourrait multiplier ainsi à l’infini ce je rimbaldien des contraires. C’est un costume, labellisé United Colors of Jackson, se rêvant l’incarnation irréprochable d’une plastique biotechnologique à l’ère d’une nouvelle Renaissance sans entraves. Dans Cool Memories, Jean Baudrillard fait de ce freak, mi-ange mi-démon, « un enfant prothèse, un embryon de toutes les formes rêvées de mutation qui nous délivreraient de la race et du sexe. » Creuset de toutes les contradictions, il est le reflet de notre époque « post-humaine » du tout-spectacle, du tout-numérique (YouTube, vidéosurveillance, webcam, etc.) et d’images dérivées d’images – vision ou pressentiment qu’avait déjà eu, en son temps, le poète surréaliste André Breton : « Il viendra un jour où les images remplaceront l’homme et celui-ci n’aura plus besoin d’être, mais de regarder. Nous ne serons plus des vivants, mais des voyants. » Par Toutatis, cette époque, on y est, non ?, et Michael en est très certainement la figure de proue, l’étalon couvert d’âge d’or Canada Dry et de porcelaine blanc de neige, sur fond de morphing généralisé. Jackson n’est pas un, ou Five, mais mille ! Et Harmony Korine l’a bien compris avec l’armada de doubles de son Mister Lonely.



Bon, en même temps, sa santé qui vacillerait, ça rappelle juste que Michael Jackson est aussi un enfant malade, un humain trop humain, avec ses faiblesses biologiques. Attention scoop : Michael n’est pas qu’une momie ou un homme enfermé dans un caisson à oxygène de pacotille, il vit, il respire ! Bref, Bambi forever ! Michael est comme le phénix, on attend toujours son (improbable) retour mais il a déjà été si haut qu’on se demande bien s’il arrivera encore, à plus de 50 ans passés, à toucher de nouveau les étoiles. Faisons un rêve, pour lui et son come-back à venir, en espérant que celui-ci ne soit ni un énième remix ni un disque rayé du genre best of du very best of. Cher Michael, qui que tu sois, sache-le, you are not alone  !

* En salle depuis le 17 décembre

 

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