Michel Robin, la subtilité vaincue par le covid-19

par Sylvain Rakotoarison
vendredi 20 novembre 2020

« Fini, c’est fini, ça va peut-être finir. Les grains s’ajoutent aux grains, un à un, et un jour, soudain, c’est un tas, l’impossible tas. » ("Fin de partie", Samuel Beckett, 1957).



Une tirade du personnage Clov, dans "Fin de partie" de Samuel Beckett, une pièce qu’il adorait et qu’il avait encore jouée en 2012 au Théâtre Gérard-Philippe à Saint-Denis, mais dans le rôle de Hagg, le vieux père, apportant « une incroyable densité humaine à [son personnage] » selon "Les Échos" de l’époque. Quant au journal "Le Figaro" du jour, il a titré tristement : « Acteur talentueux, qui jouait de sa voix douce et de son apparente timidité dans ses nombreux personnages au théâtre et au cinéma, il nous a quittés à 90 ans des suites du coronavirus. ».

Il venait en effet d’atteindre ses 90 ans la semaine dernière. Le comédien français Michel Robin a été emporté ce mercredi 18 novembre 2020 par la pandémie de covid-19. Les décès quotidiens nombreux, beaucoup trop nombreux, ne sont que de froides statistiques communiquées par une administration rigoureuse. On peut être touché par des proches, par soi-même… ou par des personnages publics, connus sans être forcément stars dans le cas de Michel Robin. On pourra toujours dire qu’il avait 90 ans et qu’il avait vécu, et même bien vécu, une vie souriante et paisible de comédien, mais la vérité, c’est que s’il n’y avait pas eu cette saleté de virus, il aurait été encore là, les yeux toujours très timides, le sourire aux lèvres et l’élégance de la courtoisie, de la prévenance. Esprit et corps tenaient encore la route, jusqu’à l’impasse pandémique.

Michel Robin a souvent joué les "vieux", même lorsqu’il était jeune. Et son allure une peu courbée, voûtée, sa tendresse, en faisait un acteur très apprécié malgré ses rôles souvent accessoires. Certes, il a joué dans beaucoup de films au cinéma (entre autres, "La Chèvre", "Merci pour le chocolat" et "Le fabuleux destin d’Amélie Poulain"), mais il était avant tout un comédien de théâtre, qui a apprécié le théâtre et que le théâtre a apprécié, au point d’être "reçu" ou plutôt "accueilli" (tardivement) sociétaire à la Comédie-Française. C’est d’ailleurs grâce au théâtre qu’il a eu la reconnaissance de son talent avec un Molière en 1990, et aussi la possibilité de jouer des rôles principaux (au lieu de seconds rôles), comme Monsieur Jourdain dans "Le Bourgeois gentilhomme" de Molière en 2000.

Éric Ruf, son ami qui pourrait presque être son petit-fils, administrateur général de la Comédie-Française depuis le 16 juillet 2014, à peine plus jeune que lui comme sociétaire (498e, lui 495e), a annoncé publiquement la triste nouvelle du décès. Michel Robin et Éric Ruf avaient joué ensemble dans plusieurs pièces, notamment dans "Les Trois Sœurs" de Tchekhov ou "Cyrano de Bergerac".

S’en prenant à l’épidémie dans ses souvenirs évoqués pour "Le Figaro" du 19 novembre 2020, Éric Ruf a raconté : « Cette époque nous éprouve cruellement et nous la haïrons de nous priver soudainement des plus fragiles et des meilleurs d’entre nous. Nous avons tous un souvenir précis de Michel, parti il y a dix ans déjà de notre théâtre. De sa tendresse et de son humour dévastateur. De sa dent aussi, carnassière et drôle. Nous comptions énormément pour Michel qui gardait un attachement indéfectible à notre Maison. ».



Et d’ajouter : « Michel a toujours joué les vieux, très tôt dans sa carrière. Il concédait il y a peu qu’il avait enfin l’âge du rôle et que cela le contrariait. Nous perdons un grand-père, un père de théâtre, un ami, un grand comédien. Toutes nos pensées et notre tristesse accompagnent Amélie, sa fille, et Gaspard, son petit-fils, que Michel adorait. ». Sa fille venait le voir très régulièrement pour lui apporter ses repas en période de (premier) confinement.

Il y a un peu plus d’un an, le 27 mai 2019 au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, à Paris, Michel Robin s’était déplacé pour répondre aux questions de la journaliste Mathilde Serrell (à l’époque de France Culture et maintenant de France Inter), entretien qui vient d’être proposé sur Youtube en son hommage.





Parmi les premiers commentaires, une internaute, qui a eu l’occasion de travailler avec lui, s’est rappelée ainsi : « J’ai eu la chance de partager des moments délicieux avec ce Grand Monsieur (…). Il restait avant et après le spectacle, pour me raconter ses années de théâtre, de vie, avec un humour incroyable. Il était si drôle, surtout quand il téléphonait à sa fille !! J’adorais quand il me parlait de Beckett (…). » (19 novembre 2020).

Le 4 mai 2020, avant le déconfinement, Michel Robin, comme le disait Éric Ruf, acceptait sa vieillesse de cette manière : « J’assume mon âge, même si je ne réalise pas que j’aurai 90 ans. (…) J’ai du mal à me projeter au-delà de 95 ans. Il me semble que, alors, je serai peut-être quand même vieux. » ("Générations"). Au revoir, grand homme riant et souriant à la vie !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (19 novembre 2020)
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Le très discret Michel Robin.
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Brigitte Bardot.
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