Michèle Morgan, t’as d’beaux yeux, tu sais ?
par Sylvain Rakotoarison
vendredi 28 février 2020
« On est étonné de voir comment ses yeux peuvent devenir durs, sa bouche méprisante et sa voix cruelle. » (Rober Chazal, "Paris-Presse", le 19 septembre 1957, commentant le film "Retour de manivelle" de Denys de La Patellière, sorti la veille).
C’est très commun de dire le titre, écrit par Jacques Prévert très inspiré par l’actrice (adapté d’un roman de Paul Mac Orlan), la plus grande histoire d’amour du cinéma français, et malgré l’âge, ses yeux, ils restaient beaux jusqu’à la fin de sa nuit. Michèle Morgan est née il y a 25 ans… enfin, non, il y a juste 100 ans, le 29 février 1920. Être né un 29 février ralentit les années, un anniversaire tous les quatre ans. Et lorsqu’elle est morte à l’âge de presque 97 ans, le 20 décembre 2016, elle avait toujours ses si beaux yeux brillants qui avaient séduit Jean Gabin dans le mythique "Le Quai des brumes" de Marcel Carné, sorti le 17 mai 1938.
Elle avait 18 ans, sans assurance, et Jean Gabin, à 33 ans, était déjà une grande star. Et après des mémoires "Avec ces yeux-là" (éd. Robert Laffont, 1977), Michèle Morgan a témoigné vingt années plus tard : « On ne peut pas imaginer que cette phrase serait une légende. ». Jean Gabin, qui l’avait vu jouer dans "Gribouille" l’année précédente, l’avait alors recommandée à Marcel Carné. Une histoire d’amour qui a fini sur un quai de gare à cause de la guerre, les deux allaient se quitter, elle quittait la France pour les États-Unis : « Il est là, tête levée, moi à la fenêtre penchée vers lui, je le regarde, je souris. Une scène de cinéma, mais le dialogue est de nous et nous la jouons gorge serrée. ».
Michèle Morgan était un pseudonyme, elle s’appelait à l’état-civil Simone Roussel, mais elle avait voulu Michèle car un jeune homme qui l’avait séduite n’attendait qu’une Michèle, et Morgan était le nom de la banque américaine qu’elle a vue lorsqu’elle se trouvait aux États-Unis et qu’elle se voyait star d’Hollywood (elle a obtenu finalement son étoile sur le Walk of Fame le 8 février 1960).
Hollywood. C’était dans la maison qu’elle a fait construire en 1944 à Hollywood que l’actrice Sharon Tate, enceinte et femme de Roman Polanski, s’est fait massacrée avec ses invités le 9 août 1969 par la secte de Charles Manson (qui, lui, est mort le 19 novembre 2017).
Michèle Morgan avait toujours voulu faire du cinéma et elle a eu la chance de s’être fait confier le rôle de sa vie si tôt. Un ascenseur pour devenir la star du cinéma français pendant cinquante ans : tous les grands réalisateurs l’ont recrutée pour leurs films (citons notamment Marc Allégret, Julien Duvivier, André Cayatte, René Clément, Claude Autant-Lara, René Clair, Henri Verneuil, Claude Lelouch, Jean Delannoy, Michel Deville, Claude Chabrol, etc.).
Elle a reçu le Prix d’interprétation féminine du Festival de Cannes en 1946 (le premier festival, voulu par le Front populaire mais mis en place seulement après la guerre) pour "La Symphonie pastorale", adaptation d’un roman d’André Gide réalisée par Jean Delannoy et sortie le 26 septembre 1946 (elle présida plus tard le jury du Festival de Cannes en 1971), un César d’honneur en 1992, ainsi que le Lion d’or à la Mostra de Venise en 1996. "Les Grandes Manœuvres" de René Clair, sorti le 26 octobre 1955, où elle joue la compagne de Gérard Philippe, est un autre film symbole de sa carrière d’actrice.
Après une vingtaine d’années de vie affective riche mais parfois chaotique, elle est devenue la compagne de Gérard Oury pendant plus de quarante-six ans. Dans les années 1960, Michèle Morgan, tout en continuant de jouer au cinéma, à la télévision ou au théâtre, a développé aussi son talent artistique pour la peinture (sa première grande exposition a eu lieu en 1968) et aussi pour la haute couture (elle a même sorti une gamme de cravates en soie). Sa peinture ? Elle l’a justifiée en février 2009 : « J’aime les couleurs, les choses gaies. Ma peinture qui est optimiste est le reflet de ma personnalité. ».
Sur France Culture, Michèle Morgan expliqué à Claire Jordan en octobre 1978 à quel point elle avait rêvé d’être une star du cinéma : « Mon idéal, ma passion, tout ce que je voulais au monde, c’était la réalisation de ce rêve d’enfant : le cinéma. Ce n’est qu’après, bien plus tard, que j’ai réalisé ce qu’était le métier de comédien, de comédien de théâtre. Mais mon rêve, c’était de devenir actrice de cinéma. (…) Finalement, j’ai réalisé que jouer la comédie, c’est la même chose au cinéma et au théâtre. ».
Mais pour le travail, elle préférait le théâtre au cinéma : « Sauf qu’au cinéma, on est interrompu toutes les deux minutes par la caméra, le son, la lumière, il faut se reconcentrer cinquante fois par jour, ce qui est une difficulté sans nom. Quand on a un grand rôle dramatique au cinéma, c’est quand même effrayant de commencer à pleurer, parce qu’on s’est concentré, on a donné son âme, toutes ses tripes… Et bon, ça y est, il faut s’arrêter parce que la caméra cale, parce que la lumière n’est pas dans le bon sens, parce que le son… Il y a toujours quelque chose qui vous arrête dans votre élan ! [Au théâtre], j’ai une liberté, c’est merveilleux, parce qu’on joue une scène et on la joue jusqu’au bout, sans être interrompu. ».
Avant de s’endormir pour toujours, Michèle Morgan ne cachait pas son plaisir de se reposer, à un journaliste de l’hebdomadaire "Le Point" le 22 février 2013 : « Je suis heureuse d’être vieille, je suis au chaud, allongée sur mon lit devant ma télé. Je regarde tout, les feuilletons, les nouvelles, et toutes les conneries. ». Un peu comme Michel Houellebecq dans un de ses romans… Ah non, lui, il regardait les dessins animés…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (27 février 2020)
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Pour aller plus loin :
Michèle Morgan.
Disparition de Zsa Zsa Gabor, Michèle Morgan, Claude Gensac, Carrie Fisher et Debbie Reynolds (dessin).
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"Le Cercle des Poètes disparus".
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"J’accuse" de Roman Polanski.
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