Milk Coffee & Sugar, počtes de l’espoir
par Léna
vendredi 5 mars 2010
Quand Milk Coffee & Sugar (Gaël et Edgar), issus du Collectif d’artistes Chant d’Encre, se mélangent, ils forment un cocktail peu commun qui détonne et étonne sur les scènes du hip-hop français. A la croisée du rap et du slam tendance jazzy, nouveau genre bien à eux, les deux compères, simples et entiers, mettent des rimes sur leur conscience militante. Interview d’un duo prometteur en pleine ascension, à deux mois de la sortie de leur premier album.
L : Comment chacun d’entre vous en est arrivé à la musique, puis à Milk Coffee & Sugar ?
Edgar : Je suis venu à la musique assez naturellement, car j’avais toujours eu envie d’en faire. J’ai toujours aimé écrire aussi. J’ai d’abord commencé à créer des instrus et à rapper. Au début des années 2000, je fréquentais les soirées slam. J’y ai rencontré les futurs membres du Collectif Chant d’Encre en 2004, mais aussi, grâce à eux, Gaël. Tous les deux nous avions une envie commune d’allier slam et musique.
Gaël : Moi j’ai d’abord écrit au Burundi où j’ai grandi. J’écrivais des poèmes, comme ça, sur des bouts de papier. Quand je suis arrivé en France, j’ai cherché un atelier d’écriture ou de poésie. La Maison de la Culture vers laquelle on m’a orienté ne proposait qu’un atelier rap. C’est comme ça que j’ai commencé à rapper. J’ai pas mal tourné sur la scène rap pour le label Squate Sky. Puis j’ai rencontré Apkass, un des membres de Chant d’Encre qui a l’époque n’était pas encore formé. Il m’a proposé de participer à la création d’une pièce de théâtre en slam autour du génocide au Rwanda, qui était commémoré 10 ans après. Le projet m’a séduit, j’ai rencontré les autres, on a fondé Chant d’Encre. Avec eux, je me suis activement impliqué dans le mouvement slam pendant plusieurs années. Au sein du collectif, j’avais plus d’affinités avec Edgar, on rappait tous les deux, on se comprenait mieux sur scène. Ainsi petit à petit, on en est venus au projet du groupe Milk Coffee & Sugar.
L : Votre musique est un mélange original de rap, de slam et de jazz. Quelles sont vos références et vos influences ?
Gaël : Nous avons des modèles d’une part issus de la littérature, d’une autre de la musique. Côté écriture, j’ai un faible pour la poésie de René Depestre, ou encore celle de Léon Gontran-Damas. J’apprécie aussi la façon dont Frantz Fanon écrit. Bien que sa littérature soit plutôt politique, j’y décèle une forme de poésie et d’urgence remarquables. Côté rap, nous sommes tous les deux influencés par le rap des années 90 en particulier, entre autres par The Roots. Concernant la musique de manière plus générale, nous sommes fans du chanteur congolais Zao. Et puis nous apprécions la bonne musique soul, hip-hop, bien sûr. Cela dit, nos influences sont larges.
Edgar : Oui, nous jouons sur le mélange de nos influences. J’ai été particulièrement bercé par la musique africaine, dont le makossa de mes origines camerounaises, mais aussi la Soul. En ce qui concerne mon écriture, je m’inspire beaucoup des contes, surtout des contes africains, et aussi du théâtre, étant donné que j’ai fait des études d’arts du spectacle. J’ai été marqué par les pièces de théâtre de Voltaire, dont on méconnaît la carrière de dramaturge. Mais ma grande rencontre, ma référence, c’est sans conteste le dramaturge ivoirien Koffi Kwahulé.
L : J’ai lu partout sur internet que vous « poétisiez le quotidien pour déserter les perspectives d’un monde balisé » ? Pouvez-vous développer cette affirmation ? Quelles valeurs cherchez-vous à véhiculer à travers vos textes ?
Gaël : Oui cette phrase devait se trouver dans un dossier de presse. Ce sont les journalistes qui se contentent de copier-coller (rires). Cela dit, elle traduit bien en effet notre message. A travers nos textes et notre musique, nous voulons communiquer notre refus d’être cantonnés à un rôle de consommateurs et de producteurs passifs à laquelle ce monde balisé veut nous réduire. Nous prônons le retour à des valeurs humaines, contre le diktat économique.
Edgar : Cette phrase nous place en effet comme des poètes du quotidien, ce que nous sommes avant tout. Au-delà de la dénonciation d’une société capitaliste, nous mettons des mots sur des actes simples de la vie qui selon nous font le bonheur.
Gaël : Ce dont on parle dans nos textes, nous en sommes vraiment acteurs dans nos vies. A une petite échelle bien sûr, puisque nos choix de vie ne révolutionnent pas la planète. Mais enfin, nos opinions ne sont pas que des paroles. Ce sont aussi des actes.
L : En somme, vous êtes ce qu’on pourrait appeler des artistes engagés.
Gaël : Engagés, oui enfin, ça dépend ce qu’on entend par là. On dit de nous que l’on fait du rap « conscient », c’est-à-dire qui ne se regarde pas le nombril, qui ne reste pas enfermé dans sa bulle, qui tient compte des réalités complexes de notre monde. Oui, pourquoi pas. Cela dit, nous essayons de ne pas rester statiques. Le danger du rap, du slam, c’est la tentation de se créer un personnage, une posture, et d’y rester cantonné sans s’en rendre compte. Nous aimons faire des morceaux très « engagés », et puis derrière casser avec d’autres plus légers, du moins en apparence. Notre engagement réside dans le fait qu’écrire nous permet de lutter contre le cynisme qui hante le monde actuel. Et donc en écrivant, paradoxalement, on peut garder une certaine forme de naïveté.
Edgar : Une naïveté qui s’apparente plus à de l’espoir, je dirais. En effet, notre engagement, si tant est qu’on puisse parler d’engagement, est positif, justement par la poétisation du quotidien. On constate d’abord la violence de la réalité. Puis voilà la question qui se pose : comment sortir de ces balises économiques et sociales ? Nous invitons chacun à s’attarder sur des actes simples et sentimentaux, qui participent à l’épanouissement personnel plus qu’autre chose. Nos textes peuvent paraître parfois durs. Quand c’est le cas, nous choisissons un accompagnement musical plus doux, qui rend compte de l’espoir qui nous habite. Parce que nous sommes avant tout des personnes pleines d’espoir.
L : Comment le processus d’écriture s’opère chez vous ?
Edgar : L’écriture peut être spontanée ou réfléchie. Des chansons puisent leurs sources dans nos vies respectives. D’autres sont issues de la maturation de choses qu’on a envie de dire. Dans tous les cas, lorsqu’on est dans le milieu de la création, on doit sans cesse être réceptif à ce qui nous entoure. Tu peux avoir envie de parler de millions de choses, mais tu dois faire le tri. Donc tu choisis de garder tel ou tel sujet, la sélection s’effectue souvent par thème. Notre exigence est que la chanson ait un écho avec nos idées et nos envies du moment, il est trop facile de chanter pour chanter, en se contentant de faire rimer des mots.
Gaël : Oui le piège est de tomber dans la facilité, vers laquelle tout nous pousse. Quand on est en concert, on devine vite quels genres de morceaux plaisent au public. Mais si tu ne proposes que des morceaux commerciaux, grand public, avec paroles légères à l’appui, je suis convaincu qu’on va vite t’oublier. En effet, c’est tentant, tu peux écrire des centaines et des centaines de chansons faciles. Par contre si tu arrives avec une chanson polémique, plus difficile à accoucher, là tu vas marquer les mémoires. Certes, il n’y aura pas d’entre deux, les gens vont soit adorer soit détester, mais dans tous les cas ta chanson va faire long feu, car elle se démarque par un caractère affirmé.
L : La musique est-elle votre métier, ou avez-vous d’autres activités professionnelles parallèles ? Vivre de la musique, est-ce un objectif pour vous ?
Gaël : Ah oui, Milk Coffee & Sugar à 100%. On ne fait que ça. On avait des boulots, mais on a été respectivement licenciés (rires). Après tout, c’était l’occasion de nous consacrer entièrement à nos projets musicaux. Toutefois, percer dans le milieu n’a jamais été une fin en soi. Chanter pour devenir riches, loin de nous cette idée, même si bien sûr nous serions heureux de pouvoir faire vivre nos projets. Si on peut continuer à faire ce qu’on aime, tant mieux. Si la nécessité économique nous rappelle à l’ordre, tant pis. De toute façon, on aura toujours l’envie d’écrire et de créer. Et puis on considère qu’on a déjà réussi. On est arrivés au bout de l’enregistrement d’un album qui va bientôt sortir. Rien que ça, déjà, c’est énorme pour nous, alors oui, on peut dire qu’on a réussi. J’ai un album, je suis content. J’ai des chansons, je suis content. J’ai eu la chance de me produire en concert, je suis content. Combien de gens vivent ça après tout ? Tout le monde ne peut pas en dire autant. Même si on reste incognito, on aura laissé une trace. Dans la vie d’un être humain, c’est important qu’il puisse au moins laisser une trace de son passage sur Terre. Ce qu’on vit est énorme. On aura au moins vécu ça. Mais nous, tant qu’on peut écrire, on est heureux.
L : Justement, d’où vient cette soif d’écrire ?
Edgar : J’écris depuis longtemps. Mais je pense que ma soif d’écriture est alimentée par un héritage familial. Dans ma famille, ils s’expriment tous incroyablement bien, et j’ai toujours été admiratif face à leurs facilités. En plus, ils ont tous un don artistique, soit dans le chant, soit dans la musique, et autres. Ils m’ont transmis le goût de l’art, et m’ont aussi toujours poussé à me dépasser. Moi j’ai choisi d’écrire pour tenter d’exister parmi eux.
Gaël : Moi, je n’aurais jamais écrit de ma vie si je n’avais pas connu la guerre au Burundi entre 1993 et 1995. J’avais peur. L’écriture m’est venue tout naturellement à ce moment-là. Et puis quand je suis arrivé en France, je me suis mis à écrire sur l’exil, mais aussi le métissage. Etant métis franco-rwandais, c’est ici que j’ai pris conscience de ma couleur de peau. On m’a tout de suite renvoyé une identité de noir, ce qui a chamboulé mon raisonnement et qui a nourri ma plume. En fin de compte, je ne me suis pas mis à écrire pour des raisons très drôles. Quand on a écrit l’album Milk Coffee & Sugar, j’ai eu une période de dégoût profond pour le monde de l’entreprise. J’avais fait des études de finance naïvement, je suis arrivé dans une entreprise sans réfléchir, j’ai bossé dans la finance à Londres. J’étais rentré dans le moule. J’ai été totalement écœuré par l’univers capitaliste qui nous robotise. Après cette soudaine prise de conscience, mon écriture était moins axée sur l’exil et le métissage. L’exil, aujourd’hui, je sais ce que c’est, je vis avec, je ne plus à la recherche d’un chez moi ni d’une identité. En revanche, à l’heure actuelle, la violence économique est un sujet qui me fait réagir et écrire.
L : Edgar, tu as publié un premier roman « Coffee » en 2008. Il paraît que tu prépares le deuxième. Peut-on savoir de quoi il va parler ?
Edgar : Oui c’est vrai que ça m’a ouvert quelques portes. Je suis très fier de mon roman. J’ai été publié dans une collection ado. Avec le temps, j’aimerais arriver à quelque chose de plus précis, de plus étoffé. J’ai la chance de pouvoir écrire et d’avoir été publié. J’écris un deuxième roman, en effet. Ce sera une histoire d’amour, derrière laquelle se cache une parabole des liens entre l’Afrique et l’Occident. Cela dit, je serai peut-être le seul à déceler cette métaphore.
L : Ah, plus maintenant que tu nous l’as dit (rires). Et quels sont les projets d’avenir proche de Milk Coffee & Sugar ?
Edgar : Notre premier album arrive dans les bacs le 11 mai 2010. Une tournée de concerts nationale est prévue en automne. J’espère publier aussi ce deuxième roman cette année. Enfin, Gaël ne tardera pas non plus à sortir son premier album solo, l’année prochaine.
Milk Coffee & Sugar étaient en concert au New Morning à Paris le 5 février et à la Dynamo à Pantin le 13 février. Ils ont sorti un EP de 5 titres en janvier. Leur 2e clip, Alien, a récemment été mis en ligne : http://www.youtube.com/watch?v=h9oNC60pL2A.