Miriodor, du rock contemporain de belle facture

par Bernard Dugué
mardi 28 avril 2015

Le rock progressif est un genre hétéroclite qui ne se résume pas à l’héritage de Genesis, Yes et autres pointures de ce rock qui fut désigné également comme symphonique. Des styles et des genres multiples ont essaimé depuis les années 1970. Avec des tentatives moins symphoniques mais tout aussi inventives parmi lesquelles on trouve le zeuhl mais aussi d’autres formations étranges, parfois venues de Belgique comme Univers Zéro et Aksaq Maboul, de Suisse comme Débile Menthol ou alors du Canada, ce qui est le cas de Miriodor, le groupe que je vais vous présenter et qui a sorti quelque huit albums depuis ses débuts il y a plus de 30 ans. Le dernier est sorti récemment sur le label connu des mélomanes férus de rock alternatif, « Cuneiform records ». Les spécialistes se plaisent à classer ce genre de musique dans la catégorie RIO, rock in opposition, dont l’une des figures est le légendaire Henry Cow, émanation de la galaxie Canterbury et ses machines molles. Ce qui signale une opposition résolue face aux critères convenus du rock et le souci de se démarquer du rock aseptisé genre Police ou des évolutions néo-progressives qui n’apportent pas de grande innovation au début des années 1980. Après les seventies, le devenir du rock ne se résume pas au punk et au rock FM formaté par MTV. Le RIO et les expériences alternatives ont considérablement enrichi le paysage musical, même si la décennie 80 s’est compromise avec la facilité des produits de marché.

Honnêtement, Miriodor n’entre pas vraiment dans le RIO mais plutôt dans un genre progressif de chambre, bref, une musique très raffinée, aux compositions subtiles, élaborées, avec un élan rock et presque symphonique, bref, une musique qui tient la comparaison avec un quatuor de Debussy ou Hindemith et dont les influences sont multiples, de Gentle Giant, Henry Cow et VDGG à Univers Zéro et Happy the man. Et sur ce dernier CD, on trouvera quelques ambiances assez déconcertantes évoquant parfois les dissonances des Residents. Miriodor joue une musique qui se perd pour nous aider à mieux nous retrouver dans un univers mélomane dissident qui permet une évasion de ce monde ambiant si morose et vulgaire qu’on nous présente dans les médias de masse. Ce rock se veut sans compromission avec les règles du marché. L’écouter représente un acte de résistance face au Reich de la pop commerciale.

Cobra Fakir est le dernier CD de Miriodor réduit à nouveau au stade de trio avec deux membres fondateurs, Pascal Globensky aux claviers et Rémi Leclerc officiant aux percussions tout en complétant les parties de clavier. Bernard Falaise qui a rejoint la formation il y a une vingtaine d’année officie à la basse et la guitare. Au final, le disque offre une suite de 11 séquences musicales enregistrées à Montréal et dont l’ingrédient de base est constitué par les claviers secondés par une guitare mélodique. Chaque morceau est différent des autres, offrant un paysage sonore d’une réelle intensité, avec une originalité et un souci de jouer une belle musique. Ce qui nous rappelle, nous qui avons trahi Platon, que l’art doit viser le beau. Et si la musique de Miriodor est belle, elle est aussi mystérieuse et déconcertante au point d’élever nos âmes vers un monde d’idées pures, vers des univers dépassant les limites du monde matériel.

Les écoutes successives laissent découvrir peu à peu tous les détails très fins et ce travail des sons combinés pour réaliser une subtile alchimie qui enveloppe sans irriter si susciter quelques inquiétudes comme dans les premiers disques de ce groupe surprenant. Un mélange d’intimisme et de sonorités et bruitages collés avec des lignes mélodiques qui se perdent et un tissage habile où transparaissent les nappes discrètes d’orgue, les touches de piano et parfois une guitare qui se fait acoustique et séduit le mélomane. Si on devait choisir une référence, ce serait 1313 d’Univers Zéro mais en plus optimiste, beaucoup moins sombre. Comme si cette musique se plaisait à déjouer l’ombre avec des sonorités lumineuses et envoûtantes, parfois prenantes. Ce disque porte bien son titre, du reste explicité dans la notice fournie avec le CD. Le cobra exécute un huit en entendant la flûte du fakir et devient un autre être alors que le fakir entre en transe et voit de grandes roues virevolter en pures abstractions. C’est cela, du platonisme inscrit dans les vibrations des instruments participant à une œuvre baroque, scintillante et résolument orientée vers un 21ème siècle qui se cherche un avenir. Dieu que ce mellotron est sublime dans le cinquième morceau et la complicité avec une guitare frippienne. Envoûtant et lancinant comme un esprit qui viendrait d’un compositeur de Pentecôte diffusant depuis l’au-delà des notes sur une partition. Ce qui ne surprend guère, nos amis Québécois ne sont pas des indécrottables nostalgiques et neurasthéniques comme nous les Français.

Cobra Fakir est un disque indispensable pour tout amateur de prog qui veut être du 21ème siècle et y progresser ! 4 à 4.5 stars.

 

Liens vers Cuneiform records et Miriodor

http://www.cuneiformrecords.com/

http://miriodor.com/wp/


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