Mystère des amours d’enfance

par jack mandon
mercredi 18 septembre 2013

Iphigénie en parure atemporelle

Voici un titre en trois mots clés. Pour une foule de gens, ces vocables résonnent dans la tête et s'inscrivent dans le cœur en lettres majuscules. Et pourtant l'actualité en rafales, déverse dans nos vies leurs antonymies mortifères.

Du « mystère » nous basculons à l'évidence, l'authenticité, et tout devient banalité. De « l'amour » nous nous engouffrons dans la haine, sa perversion, pour connaître le froid et entrer dans la mort, son contraire. Dans « l'enfance », nous désirons grandir, préférons la maturité puis tendons vers le déclin et la vieillesse.

La vérité est contrastée, animée d'ombre et de lumière depuis le début des temps. Je vous propose un voyage initiatique qui conditionne au fond toute la vie.

« Un balcon sur la mer » histoire d'une discrète et belle facture dans sa mise en image. Son interprétation est sensible, simple et lyrique. Toute la noble gravité de l'amour . A contre-époque, de conception classique quant au fond. Cela invite à la méditation, mais aussi, et surtout à redécouvrir les œuvres classiques, particulièrement celle de Jean Racine, qui paraissaient hermétiques dans la jeunesse. La vie passant, toujours insaisissable, les formes d'art enracinées dans notre enfance, concourent à nous éveiller. « Un balcon sur la mer » Le décor est posé dans une lumière méditerranéenne voilée et troublante. Nous pourrions hésiter à nous glisser dans les ombres sonores, populeuses, épicées, odorantes et colorées. Souvenirs prégnants d'un drame insidieux entre mémoire estompée et présent hésitant et flottant. Le paysage oscille entre un littoral méditerranéen un peu blafard et quelquefois des flashs lointains d'un essentiel heureux dans l'innocence. Et celui géographique, de l'Algérie. Oran, « un balcon sur la mer » Ainsi nommé, en une époque romanesque de folles illusions de conquêtes. Maintenant lointaine un peu léthargique dans sa métamorphose, comme oubliée.

Le film, va et vient entre un présent divers, confortable, mais au fond chagrin et affairiste. Jusqu'au jour où Marc, le héros ombrageux, percute son passé, il rencontre une femme au charme envoûtant dont le visage lui semble familier. Il pense reconnaître Cathy, l'amour de ses douze ans dans une Algérie violente, à la fin de la guerre d'indépendance. Après une nuit d'amour, la jeune femme disparaît.

Au fil des jours un doute s'empare de Marc, il s'interroge sur l'identité véritable de cette compagne filante, jaillie de nulle part, elle s'approprie peut être l'âme de son amour de jeunesse. Un amour perdu, mais jamais oublié dans son essence, pourtant englouti à vif, dans les tourments, les méandres et la confusion de l'exode franco-algérien.

Des images s'imposent insensiblement dans une succession de retour dans le temps, au fur et à mesure où Marc progresse dans son interrogation.

Le cadre méditerranéen, l'âge tendre gorgée de soleil et de sensations, habité par une triangulation relationnelle. Trois pré-adolescents prisonniers d'une atmosphère racinienne secrète et mystérieuse par le caractère des liens qui les unissent. Quotidien fait d'école, de jeux et de distractions de leur âge, mais surtout d'un épisode théâtral marquant. Alors que ces moments de préadolescence sont ponctués de silences criants, de gauches hésitations, de gestuelles muettes mais délicates et expressives, l'amour les traverse et embrase leurs jeunes vies. Emportés dans leur histoire. Sur une scène de théâtre de quartier, ils vont placer ingénument des mots majuscules sur leurs émois. Les alexandrins de Racine, les feux de la rampe, le maquillage scénique...et surtout leur histoire qui s'accomplit sous le regard du monde. Cathy (Iphigénie , lumineuse dans un amour partagé avec Marc- Achille), Marie-Jeanne ( Eriphile, malheureuse et sombre, captive de Marc-Achille, qui lui semble l'ignorer), Marc, (Achille, comblé et pourtant pris malgré lui dans une énigmatique destinée entre ces deux héroïnes dissemblables, au fond indissociables).

La pièce de Jean Racine a pour thème central le sacrifice d’Iphigénie exigé par son père, Agamemnon, afin que la colère des dieux soit apaisée. C’est à ce prix que l’armée grecque pourra atteindre les rivages de Troie. Il règne dans cette pièce une atmosphère sombre rassemblant les sentiments de peur, de colère, de tristesse. Sa gravité est renforcée quand, au milieu du déchaînement des passions sur la question du sacrifice, Iphigénie apparaît digne, droite, calme, prête à verser son sang pour la nation grecque. Seulement, cette pureté n’est pas destinée à mourir et sera sauvée par le sang Eriphile, une princesse sombre et rebelle, par le mauvais sort marquée.

Eriphile, l’ombre lumineuse d’Iphigénie

Scène 4
ACHILLE, IPHIGENIE, ERIPHILE,

ACHILLE
Princesse, mon bonheur ne dépend que de vous,
Votre père à l'autel vous destine un époux.
Venez y recevoir un cœur qui vous adore.


IPHIGENIE
Seigneur, il n'est pas temps que nous partions encore.
La reine permettra que j'ose demander
Un gage à votre amour, qu'il me doit accorder.
Je viens vous présenter une jeune princesse.
Le Ciel a sur son front imprimé sa noblesse.
De larmes tous les jours ses yeux sont arrosés.
Vous savez ses malheurs, vous les avez causés...

ERIPHILE
Oui, Seigneur, des douleurs soulagez la plus vive.
La guerre dans Lesbos me fit votre captive,
Mais c'est pousser trop loin ses droits injurieux
Qu'y joindre le tourment que je souffre en ces lieux.

ACHILLE
Vous, Madame ?

ERIPHILE
Oui, Seigneur ; et, sans compter le reste,
Pouvez-vous m'imposer une loi plus funeste...

 

Cette tragédie, à l'origine donne à voir des passions déchaînées qui, toutes, font d'Iphigénie leur victime. L'oracle divin ne semble alors rien d'autre que le révélateur des passions des hommes.

Ainsi en décida Racine, en un siècle classique ou la juste raison contrôlait la passion. Dans la mythologie grecque, Iphigénie soumise au joug de la malédiction des Atrides connaîtra le sacrifice.

Dans notre temps, et au fond à tous les temps, au monde des hommes, les enfants sont soumis. Seuls, l'imaginaire, le jeu, le rêve et l'amour les dispensent des règles, au moins pour un temps, fussent elles classiques des trois unités. Mais les enfants du récit, habitent la fournaise algérienne où tout se mêle dans le désordre des sens et des passions antagonistes. Marc vit dans une famille réaliste et avisée qui fuira, certes sans panache, le théâtre des hostilités, mais aussi le théâtre de son enfance. Désespéré, Marc tentera de revoir son amour, mais en vain. Il trouvera sur sa route Marie-Jeanne, pour la première fois il s'adressera à elle, lui criera son désespoir en lui confiant un message d'espérance à l'attention de Cathy . Les événements d'indépendance s'achèveront dans le crime, le désespoir et la confusion. La destinée de Cathy prendra alors la voie mythologique. Son père enseignant avait des idées progressistes, menacé par les activistes, il entraînera malgré lui sa fille au sacrifice. Ils trouveront la mort dans un attentat.

Comme le fit l'Agamemnon mythologique, pour des motifs moins nobles et plus obscurs, en des époques analogues. L'horreur est par définition inimaginable et intemporelle. Elle dépasse toujours les prévisions. L'histoire de l'humanité est une longue expérimentation d'atrocité et sa plus folle espérance est que cette expérimentation puisse prendre fin. 

Le temps et la vie couleront. Marc intériorisera sa déchirure sous un masque d'élégance et de gaîté, tel un noble héros homérique. Les plages de l'enfance s'estomperont jusqu'au jour où il retrouvera graduellement son passé dans les yeux de Marie-Josée, la destinée grandiose dans un quotidien pourtant trivial. (Eriphile, l'ombre d'Iphigénie). Euripide, Homère et Racine n'y pourront rien changer, un destin en métamorphose émergera insensiblement, s'affranchissant de ses créateurs antiques et modernes.

Les dieux et les hommes se jouent des époques et des modes. Ils sacrifient le mythe, mais illuminent son ombre inconsciemment dans une nouvelle incarnation. Une âme cynique et stoïcienne verrait dans cette nouvelle histoire la mémoire qui enserre dans ses boucles, la naïveté des hommes et la patience retorse des femmes. Mais après tant de misère on se prend à rêver et à croire, la résilience. Alors, comme par magie, sous les augures sibyllines de l'éternel Eros et de Vénus, l'intrigue féminine devient idyllique pour rencontrer l'amant dans son ingénuité.

« La femme que l'on aime pour retrouver ses souvenirs, n'est pas celle que l'on croyait. Et c'est une oubliée de l'histoire qui émerge et nous séduit. »

Iphigénie spectrale et immémoriale, noble suppliciée, se mêle et se confond avec l'héroïne de chair, Eriphile. Celle-ci occupe insidieusement la préadolescence et inspire l'amour. Mais est-ce vraiment Iphigénie, noble et solaire, ou Eriphile, sombre, sulfureuse et lumineuse qui envoûte l'ombrageux Achille ?

Dans cet antre imaginaire et merveilleux s'élabore « le mystère des amours d'enfance. »

Je vous conseille de voir ou de revoir « Un balcon sur la mer »  le film de Nicole Garcia.

Présentation du film

 


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