« Naître » d’ Edward Bond, au Théâtre de la Colline

par Theothea.com
mercredi 13 décembre 2006

Si Naître a fait fuir par vagues de nombreux spectateurs du Festival d’Avignon 2006, il ne semble pas en être de même au théâtre de la Colline à l’automne suivant.

Est-ce à dire que les abonnés de ce théâtre du XXe arrondissement administré par Alain Françon depuis 1996 se sont habitués à la violence inhérente des mises en scène que son directeur consacre de manière privilégiée à l’auteur britannique Edward Bond ?

Si donc cette familiarisation avec l’insupportable implique relativement peu de départs inopinés de spectateurs en rébellion, c’est peut-être désormais la somatisation qui guette le public atterré mais calé dans son fauteuil sans pouvoir mettre fin à la torture psychique qui picturalise sur scène le retour du refoulé.

Qu’une jeune femme erre telle un spectre chorégraphique parmi les morts vivants allongés à même le sol selon une composition maîtrisée du bouquet apocalyptique avec l’intention monomaniaque de les sustenter grâce à une nourriture improbable, ne saurait glacer le sang puisque nous venons déjà d’assister à la figuration initiale de l’innommable.

En effet l’image mentale objectivée de l’écrasement d’un bébé contre une armée de boucliers en Plexiglas à travers lesquels une faction de WaPos (War-Police) réalise un mur en ayant placé auparavant la mère en première ligne de cette vision horrifiante constitue en soi le stade indélébile de la prostration à venir.

Qu’il s’agisse en fait sur scène d’une simple poupée de chiffons ne saurait atténuer la force symbolique de ce geste hyperréaliste transgressant tous les codes universels du respect de la vie. C’est donc dans la torpeur muette que La Femme (Stéphanie Béghain) aura dénié toute possibilité de réponse à la question impitoyable de l’officier (Eric Elmosnino) : « Comment c’est à la fin ? » et sa survie de zombie au sein de ce traumatisme fondamental aura donc valeur de témoignage de la nécessité, au-delà de toute morale, de dépasser l’inhumain par l’humain.

A l’instar des victimes d’attentats ou de catastrophes naturelles, devrait être organisée, à l’issue de cette représentation théâtrale de deux heures trente, une séance de débriefing psychologique où les spectateurs pourraient verbaliser l’émotion et l’effroi qu’induit une vision réaliste de la violence métaphysique afin d’éviter, en l’intégrant sans mots dire, de la cristalliser dans la stupéfaction au coeur de chaque intimité carcérale.

Photo © Marthe Lemelle

NAÎTRE - ** Theothea.com - d’Edward Bond - mise en scène : Alain Françon - avec Eric Elmosnino, Stéphanie Béghain...- Théâtre de la Colline -


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