Nicolas Rey : Lettres à Joséphine
par Laconique
mercredi 6 février 2019
Un an après Dos au mur, Nicolas Rey publie Lettres à Joséphine (Au diable vauvert). Ce roman de la rupture amoureuse n’est pas seulement un épanchement d’une grande qualité littéraire, c’est aussi un document de plus à verser au dossier de la plus répandue des souffrances contemporaines : la rupture amoureuse.
Nicolas Rey est pour moi l’illustration parfaite de ce qu’est un écrivain-né. J’ai rarement lu un texte d’une crudité aussi prononcée que ces Lettres à Joséphine, une crudité obsessionnelle qui tourne souvent à la scatophilie. Mais Nicolas Rey a beau se complaire dans les descriptions les plus scabreuses, dans l’exploration la plus explicite des profondeurs de l’anatomie féminine, son texte ne dégage aucune vulgarité, aucune bassesse. Il est touché par la grâce, il est né comme cela. Son style est nativement juste, émouvant, sans retouches, sans labeur. Le style de Moix, par comparaison, est touffu, indigeste, pathologique, laborieux. Le style de Houellebecq est précis mais plombant, saturé de négativité. Mon style est clair, exact, mais il manque de spontanéité, d’abandon, il est irrémédiablement marqué par les scansions tranchées de la dialectique platonicienne. Le style de Nicolas Rey est évident. Il est le reflet immédiat de sa personne, une personne totalement inadaptée au monde moderne, qui ignore la lutte, l’orgueil, l’agitation, qui ne vit que pour la beauté et le plaisir.
Ce qui est frappant dans cette rentrée de janvier, c’est que les ouvrages des trois auteurs phares que sont Michel Houellebecq, Yann Moix et Nicolas Rey tournent autour du même thème de la rupture amoureuse. Dans le monde moderne, pour un homme, la rupture amoureuse est ce qu’il y a de plus douloureux. C’est une expérience littéralement insupportable. Certains hommes se suicident, d’autres vont abattre leur ex-compagne, ce sont des faits divers qui se répètent tous les jours. Yann Moix et Nicolas Rey témoignent d’une douleur intolérable, absolue. « Je me retrouve assassiné de toutes parts, découpé en lamelles. Rentré chez moi, je me tords de douleur. Je suis un sac de larmes », écrit Yann Moix. « À quoi bon vivre à présent si c’est pour vivre sans toi ? Pour la première fois de mon existence, je pense mettre fin à mes jours. Je ne vois pas l’intérêt de continuer dans de telles circonstances. Continuer pour quoi faire ? Puisque je souffre de plus en plus », écrit Nicolas Rey. Il y a dans ces cris de désespoir quelque chose de très significatif quant à la nature profonde de notre société. La société profane, institution à peu près inédite dans l’histoire de l’humanité, coupe radicalement l’individu de Dieu, de la transcendance, mais aussi de la collectivité, et de l’autosuffisance. Seul le couple subsiste. Dans un univers technique, matériel et binaire, posséder la femme est le seul moyen de posséder le monde. L’amour est une technique, l’amour est le seul point de contact entre l’individu et le monde extérieur. Dès lors, lorsque la femme s’en va (et elle s’en va toujours) c’est la vie qui s’en va. Le système est clos, l’esclavage est total. D’où viendra le Libérateur ? Le temps va-t-il revenir des grandes prophéties, comme aux jours où les fils de Jacob ployaient sous le joug en Egypte, comme aux jours d’Achab et de Jézabel, lorsque les autels de Sion fumaient pour les Baals et les Astartés ?