Nicole Yrle : « La littérature est indispensable ! »
par Richard Patrosso
vendredi 17 septembre 2010
Rencontre avec l’écrivain Nicole Yrle. Lauréate du Grand Concours Littéraire du Monde Francophone 2008, elle nous parle de son amour pour la littérature, son attirance pour la nouvelle, ses méthodes d’écriture et des auteurs qui l’inspirent. Son dernier roman, Noces de Lavande, primé au Grand Prix Roussillonnais des Écrivains, est paru en mai de l’année dernière tandis qu’un nouveau sera publié dans quelques semaines par un éditeur du Roussillon.
Nicole, comment êtes-vous venue à l’écriture ?
J’écris depuis que je sais tenir un crayon ! J’ai rédigé mes premières histoires toute petite : elles étaient bourrées de fautes en tout genre mais quel bonheur déjà ! J’ai une sœur jumelle à qui je racontais une histoire de mon invention chaque soir ; elle était bon public ! Au fil des années, j’ai continué à inventer, privilégiant l’écriture.
Où puisez-vous votre inspiration ?
Partout ! Une rencontre, une silhouette entrevue, un visage intéressant, une anecdote vécue ou entendue, un fait divers, un paysage, ou tout simplement une idée qui me traverse l’esprit. J’ai l’impression d’être toujours en alerte, c’est devenu une seconde nature.
Quels sont vos thèmes de prédilection ?
De nombreux thèmes m’attirent et naturellement, mes centres d’intérêt évoluent avec le temps, avec ce que je vis et vois, avec l’actualité. Quand j’écris des nouvelles, c’est un petit fait, une idée surgie à l’improviste qui m’inspirent et, du coup, les thèmes que j’aborde sont très divers : l’enfance, la femme, la prison (sous toutes ses formes), les clandestins, le fantastique, l’oubli... Quand j’écris un roman, je relie étroitement les lieux et les êtres, j’aime les contrastes, comme par exemple un drame dans un lieu paradisiaque, une usine dangereuse dans un site de rêve ; la complicité, ou son absence, entre deux personnages, la complexité de la communication entre générations ou au sein d’une même génération sont aussi des thèmes que je retiens volontiers dans mes choix de réflexion.
Quelle est votre méthode d’écriture ?
Vaste question ! J’écris toujours plus ou moins dans ma tête ou dans le petit carnet qui ne me quitte jamais. Cela dit, quand je m’assieds devant mon ordinateur pour écrire, j’aime disposer d’une plage horaire suffisante (au moins deux heures, quel que soit le moment de la journée) mais, éventuellement, quand j’ai un texte en cours d’élaboration, j’éprouve parfois le besoin urgent de revenir sur un passage déjà écrit et je peux n’y consacrer que quelques minutes !
Par ailleurs, et c’est, me semble-t-il, un autre aspect de la question, je n’écris pas au fil de la plume ou du clavier. Si je me lance dans une nouvelle, je sais dès le début où je veux en venir et je connais les étapes essentielles ; les choses sont ensuite susceptibles d’évoluer mais j’ai toujours en tête un schéma général. Pour un roman, je sais également où je veux en venir, je connais d’avance les thèmes essentiels, les péripéties, et mes personnages ont, dès le départ, un physique et des traits de caractère précis.
Quand l’écriture proprement dite commence, je ne procède pas dans l’ordre. Je commence souvent par le dernier chapitre puis j’écris le premier. Ensuite, j’écris ce que j’ai envie d’écrire : ce peut être un chapitre du milieu, voire un passage d’un chapitre. Plus tard, je mets les choses en ordre. Je reviens beaucoup sur ce que j’écris, laissant parfois passer plusieurs semaines avant de reprendre tel ou tel passage du roman en cours. Pour une nouvelle, je la laisse de côté au moins huit jours, parfois bien davantage. Il me semble qu’alors, je regarde mes écrits avec un œil neuf, davantage capable de voir ce qui ne va pas ou doit être amélioré. Pour moi, la qualité de l’écriture a une très grande importance : le rythme d’une phrase, un mot bien choisi peuvent tout changer ; l’idéal est de donner l’impression d’un style fluide qui coule de source alors qu’il n’est atteint (s’il l’est !) qu’au prix d’un travail minutieux.
Vous avez une attirance pour la nouvelle. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?
Même si j’écris aussi des récits ou des romans, c’est vrai que j’aime particulièrement la nouvelle. C’est un genre difficile, exigeant, mais qui apporte à l’auteur comme au lecteur d’intenses satisfactions. À l’adolescence, je dévorais les nouvelles de Maupassant et de Flaubert. Puis j’ai découvert celles de Camus, éblouissantes, de M. Yourcenar et de bien d’autres. Récemment, j’ai lu celles de L. Oulitskaïa : Mensonges de femmes, très originales, et de A. Oz : Scènes de vie villageoise, magistrales. Toutefois, je déplore un peu qu’actuellement, on ait tendance à baptiser « nouvelle » n’importe quel texte court. Pour moi, la structure et l’écriture d’une nouvelle sont particulières ; en particulier, je pense que la densité, le resserrement dans l’action, l’unité interne sont très importantes, que la concision et, par conséquent le mot juste, sont essentiels ; je pense aussi que la chute est indispensable et que, s’il n’y en a pas, cette absence même doit constituer une chute, le comble de l’art en somme !
Quelle lectrice êtes-vous ? Quels sont les auteurs qui ont votre préférence ?
Depuis l’enfance encore, je suis une bibliovore. Je suis éclectique dans mes goûts mais je suis très sensible à l’écriture. Pour moi, un bon auteur est un virtuose de la langue, qui arrive à faire croire au lecteur que ce qu’il écrit coule de source. J’aime énormément Camus, Le Clézio, Giono, Ramuz, Del Castillo, mais aussi T. Capote, H. Lee, C. McCullers, Indridason, Pamuk, Nedim Gürsel, Ben Jelloun et encore des poètes, Char, Aragon, Prévert... je n’en finirais pas !
Quelle est votre conception de la littérature ?
Une telle question me fait penser à une réflexion de Claude Roy : "La littérature est inutile, sa seule utilité est qu’elle aide à vivre", disait-il et moi, je modifierais volontiers sa phrase pour affirmer avec conviction : la littérature est indispensable car elle aide à vivre ceux qui écrivent et ceux qui lisent.
Je ne pourrais pas vivre sans littérature, celle que je lis et celle que j’écris. Je peux être longtemps "habitée" par un livre qui m’a plu, j’ai l’impression d’avoir été transformée par lui. Quand j’étais toute jeune, je sentais que la littérature me faisait grandir. Je déplore cependant que le "marché" actuel soit inondé d’une quantité ahurissante de livres qui n’ont rien à voir avec la littérature justement. Certes, il en faut pour tous les goûts mais la littérature jetable qui remplit les gondoles des magasins durant deux mois n’a rien à voir avec la vraie à laquelle elle nuit en l’empêchant de venir à la lumière. Reste heureusement le bonheur de chercher par soi-même, en sortant des sentiers battus et de découvrir parfois une perle, c’est hélas de plus en plus difficile. Qui sait si le salut ne viendra pas d’internet avec les auteurs et les éditeurs indépendants ?
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