Nouvelle écriture : La grande illusion

par Denis Thomas
lundi 25 février 2013

François de Closets est (sans doute) un penseur respectable. Dans son livre « Zéro faute ! » , il fustige la complexité formelle de la langue de Molière et plaide pour une évolution du français. De son côté, le philosophe Michel Serres, se veut indulgent pour le « nouvel humain », sa « Petite poucette », qui doit s’adapter à toute vitesse à un monde en plein basculement. Une renaissance ?

De Closets, journaliste et écrivain, répétant ad libidum qu’il était un véritable cancre en orthographe, va plus loin. Beaucoup plus loin même, dans un territoire où règne l’illusion de façon tristement criante.

Pour lui, les jeunes générations, accrochées comme des berniques aux textos, SMS, MSN, Face Book ou bien Twitter sauraient faire la différence entre leur sabir et un langage plus « officiel ». Du premier, « ils savent très bien que ce n’est pas du français », affirme ce pourfendeur des idées reçues.

Pour François de Closets, il y aurait donc différents registres de langages écrits. Comme il existerait, chez les plus jeunes, une langue pour parler entre eux, pour chercher un emploi ou bien encore pour s’adresser à une quelconque autorité. Soit, je laisse ici le lecteur à ses propres constatations.

Après la lecture de « Zéro faute ! », je me suis amusé à une, puis plusieurs expériences, qui ont malheureusement donné le même, inquiétant (ou pas selon Closets) résultat.

Aux adolescents de mon entourage, tapotant fébrilement leurs claviers, alimentant des conversations d’une tenue que ma bienveillance légendaire empêche de commenter, j’ai formulé une demande simple. « A ta prochaine réponse, utilise le français et une orthographe minimum », lançais-je timidement à l’une d’entre eux. Devant les regards qu’ont suscité cette petite requête, mon estomac s’est noué. Bilan uniforme. Impossible de revenir à quelque chose ressemblant, de près ou de loin, ne serait-ce qu’à l’almanach Vermot …

Je veux bien que Closets donne des arguments tels qu’aux 17ème et 18ème siècles des penseurs comme Voltaire ou Diderot utilisaient dans leur correspondance une orthographe « privée » très personnelle. Mais, leurs écrits sont là. Somme toute, assez « propres ».

Le philosophe Michel Serres vient toutefois au secours de ces jeunes générations. « Soyons indulgents avec eux, ce sont des mutants », dit l’académicien.

Pour l’auteur de « Petite poucette » - en référence à cette écolière ou à cette étudiante capable d’envoyer des SMS avec ses pouces à la vitesse de la lumière - « nous connaissons actuellement une période d’immense basculement, comparable à la fin de l’Empire romain ou de la Renaissance ». Et les nouveaux humains doivent s’y adapter à toute vitesse, le tout en période de crise globale de l’économie, de la politique, de la religion ou bien encore de … l’école.

Michel Serres dit vrai mais il en demeure pas moins que nombre de jeunes cadres supérieurs, ingénieurs, se plaignent d’avoir été maltraités en matière d’apprentissage du français. « Je suis tributaire de ma secrétaire pour écrire un courrier et je suis obligé de prendre des cours d’orthographe après le boulot », me disait l’un d’entre eux avec tristesse et agacement.

 

UN POIL PERDUS

Michel Serres évoque, lui, l’exemple d’un candidat au concours de l’Ecole normale interrogé sur un texte du XIXe siècle parlant de labourage et de moissons. Le malheureux ignorait tout le vocabulaire, reconnait le philosophe qui s’est refusé à le sanctionner.

« L’espace vital a changé et avec lui ‘l’être au monde’, que les philosophes allemands comme Heidegger pensaient immuable », plaide Michel Serres. Reste que nos étudiants sont un poil perdus…

Closets argumente : « le professeur doit apprendre à utiliser l’ordinateur » pour transmettre l’orthographe.

On imagine sans peine que les enseignants l’ont attendu. En tout cas, ce dont on est sûr, c’est qu’ils attendent les crédits pour acquérir de l’informatique …

Comme la calculette, ajoute-t-il. Je ne sais pas vous, mais moi, sans calculette, je rame. Certes, dans ma vie courante, j’ai moins à calculer qu’à écrire ou parler (le français, et je ne parle pas de l’anglais qui, lui aussi, s’écrit et dont on ne peut plus guère se passer).

Globalement, l’outil technique nous permet d’aller plus vite, tellement vite qu’on y laisse des plumes. D’oies.

Et là : Danger. « Quand les signes n’ont plus ni clarté, ni logique, ils ne permettent plus de communiquer, d’aucune façon », écrivait feu l’académicienne Jacqueline de Romilly.


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