Offensive pour la taxe sur la copie privée

par Bertrand Lemaire
jeudi 29 mars 2007

50 organisations, dont les sociétés de gestion collective de droits d’auteur et droits voisins (Sacem, Sacd, Scam...), lancent une vaste opération médiatique pour défendre la taxe sur la copie privée.

Selon un communiqué de presse que j’ai reçu aujourd’hui de la Sacem à mon travail, pour faire saisir l’importance du financement culturel grâce à la taxe sur la copie privée, les manifestations bénéficiant des subsides de ce budget arboreront désormais un logo significatif dans toute leur communication :


Moi je lis le communiqué sous la forme : "si vous voulez des sous, il faudra mettre ce logo sur tous vos supports de communication". Mais j’ai mauvais esprit, c’est bien connu. Cette campagne est réalisée par 50 organisations, dont les sociétés de gestion collective de droits d’auteur et droits voisins (Sacem, Sacd, Scam...). On remarquera que, pour ces gens-là la « copie privée » ne signifie pas la capacité à prendre un disque et le copier sur son balladeur mais bien payer une taxe sur le dit balladeur... dont une partie servira à financer la Culture, oeuvre philanthropique s’il en est.
Alors, tout d’abord, de quoi parle-t-on ? Il s’agit de la fameuse taxe, instituée en France en 1986, sur tous les supports de stockage (CD-R, DVD-R, disques durs de balladeurs, cartouches, cassettes...). Selon le chiffre fourni dans le dossier de presse reçu, la taxe "sur un i-Pod Nano de 4 Go vendu 259 euros s’élève en France à 8 euros". Bon. Le problème, c’est que ces 8 euros ne sont pas aimés par Apple. D’une manière générale, les fabricants de matériels harcèlent la Commission Européenne pour obtenir l’abolition de la taxe sur la copie privée, aujourd’hui généralisée en Europe. Ne soyons pas naïfs : l’iPod mentionné ci-dessus ne passerait pas brutalement à 251 euros si les constructeurs obtenaient gain de cause. Mais la marge d’Apple (et/ou des distributeurs, grossistes, etc.) serait améliorée de 8 euros par appareil vendu. Il s’agit donc d’une querelle sur la répartition de la manne, pas sur l’existence de celle-ci.
Cette taxe représente des montants considérables. Voici les chiffres joints au communiqué de presse susmentionné. Elle est réparti entre producteurs, auteurs et interprètes (1/3 chacun pour l’audiovisuel, 50% auteurs et 25% aux deux autres pour l’audio pur). Sur ce montant, 75% sont reversés aux ayant-droits, 25% aux actions culturelles. Toute la communication des 50 organisations insiste beaucoup sur ces 25%. Bizarrement, assez peu sur des sommes trois fois plus élevées, les 75% qui permettent d’arriver à 100%.
Prenons un exemple. Imaginons un support genre CD-R qui subira une taxe de 1 euro, pour simplifier le calcul. J’utilise ce support pour stocker mes documents bureautiques, mes bases de données, voire mes créations artistiques. Pour cela, je vais financer les « ayant-droits » à auteur de 0,75 euros. En prenant l’hypothèse d’une répartition de type « audiovisuelle », 0,25 euro enrichiront les auteurs (Pascal Obispo, Jean-Jacques Goldman...), 0,25 euro les interprètes (Johnny Halliday...) et 0,25 euro les producteurs (une quelconque filiale de Vivendi Universal par exemple). J’ai du mal à justifier l’enrichissement de ces gens en relation avec ma création et mon stockage. Bon. Passons. Il reste 0,25 euro qui vont permettre de financer la Culture, par exemples : Festival Juste pour rire Nantes Atlantique, Les Eurockéennes de Belfort, Les Francofolies de La Rochelle, etc.
Commençons par ces derniers 0,25 euro, mis en avant dans la campagne de communication qui s’annonce. Johnny Hallyday est parti en Suisse parce qu’il payait trop d’impôts dont l’emploi était décidé par des gens qu’il contribuait à élire. D’une certaine manière, Johnny Hallyday payait mais décidait aussi ce qui serait fait de « son » argent. Il en est de même pour moi : je vote, donc je décide indirectement où va l’argent de mes impôts. Mais, avec la taxe sur la copie privée, je ne décide de rien du tout : ce sont la Sacem, l’Adami, la Scam et autres qui décident. Pas moi. Je ne vois donc pas là un système très démocratique. Si on me demandait mon avis, je pense que je donnerais très peu d’argent au Festival d’Avignon, sans doute un peu au Festival du film court de Clermont-Ferrand et probablement rien du tout à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes qui doit avoir bien d’autres moyens de se financer. Sans doute d’autres personnes auraient d’autres choix.
Revenons maintenant aux 0,75 euros qui vont alimenter Pascal Obispo et autres Johnny Hallyday. Si mes CD-R sont remplis de données personnelles, c’est que je suis « atypique ». C’est ce qu’on me répond quand je m’offusque devant un responsable de la Sacem. La rémunération est calculée pour tenir compte d’un usage moyen de ces supports, tant pis pour ceux qui ne sont pas moyens. Soit, admettons. Mais ensuite ? Là, je reprends mon argument contre la Licence Globale. « Les auteurs » ou « Les interprètes » n’existent pas. Il faut bien parler de Pascal Obispo, de Johnny Hallyday et de Jean Duchmol, auteur-compositeur-interprète résidant à Saint François du Joli Lac dans une lointaine province et dont les oeuvres sont très appréciées de ses voisins. C’est à dire que les sommes collectées doivent être réparties. Selon quel ratio ? Pour commencer, la société de gestion prend sa part (environ 15-20%, pour frais de gestion). Ensuite, un indicateur est choisi, en général les ventes réalisées. Autrement dit, Jean Duchmol ne touchera rien, même s’il a de nombreux fans à travers la planète qui se passent ses oeuvres de copie de CD en copie de CD ou par Internet. Par contre, Pascal Obispo et Johnny Hallyday toucheront bien une part considérable, même si tous les fans ont acheté leurs oeuvres et qu’ils ont été très peu copiés (par exemple parce qu’une protection posée par Vivendi empêchait cette copie). Toute répartition d’une collecte forfaitaire est toujours injuste.
Penchons nous bien sur ces 0,75 euro. Pourquoi doit-on les payer ? N’ai-je pas acheté une licence personnelle d’une oeuvre en achetant un disque ou un film ? Dès lors, qu’importe que je transfère cette oeuvre d’un support à un autre ? Pourrais-je brutalement regarder/écouter cette oeuvre dans plusieurs endroits à la fois ? Non, c’est absurde.
Donc, tant pis si je mécontente la Sacem et ses amis, mais je suis autant contre la taxe sur la copie privée que contre les mesures techniques de protection qui empiètent sur mes droits de consommateur. Quant à financer la Culture (avec un grand C), je trouve qu’on en fait un peu beaucoup et que, surtout, cela devrait relever de l’Etat et des Collectivités territoriales dont les responsables sont élus démocratiquement.

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