Onfray mieux de se taire, pour Freud... et aussi Nietzsche

par Irr
mercredi 21 avril 2010

C’est en tant que jeune diplômé (en sciences humaines, statistiques et communication) que j’ai rencontré "physiquement" la psychanalyse.
Bien que relativement bien diplômé donc, et compétent, je rencontrais des difficultés de dimension pulsionnelle dans mon intégration : dès qu’un contact avec un employeur ou un client potentiel se faisait plus consistant, j’entrais dans une logique d’agressivité et d’affrontement, me menant implacablement à la disqualification.
Sur les principes de l’analyse, son prix et son "efficacité"
 J’ai suivi une psychanalyse d’orientation lacanienne auprès d’une professionnelle, philosophe de formation et proche du milieu de l’entreprise. Cette "première tranche" comme on dit (car je retournerai peut-être un jour sur le divan, pour aller plus loin) a duré 9 mois. Il faut dire que de par ma réflexion personnelle, j’étais déjà assez avancé dans la voie de l’analyse, il me manquait la médiation par un tiers. Le tarif a été fixé par moi seul, et probablement à un niveau nettement en deçà de ce que l’analyste en question pouvait prétendre gagner au regard de ses compétences et de son expérience. Ma cure n’a pas coûté un seul centime à la collectivité.
 Le principe n’a pas été d’éradiquer mon symptôme, qui fonde ma singularité, mais d’apprendre à vivre avec, c’est-à-dire d’inverser sa polarité, à la manière de l’inversion des valeurs appelée de ses vœux par Nietzsche. Ainsi l’agressivité a été décortiquée, interprétée, pesée, déconstruite, par la parole, puis est devenue désir de conseiller les entreprises, dans un premier temps, car d’autres aventures suivront sûrement.
 La psychanalyse n’est donc pas une science, effectivement, et tant mieux, car je ne suis pas un objet, voyez-vous. Je suis un être de langage cherchant à construire du sens.
 Le discours sur l’efficacité des thérapies ne m’intéresse pas. Ma passion pour les statistiques, étudiées en Angleterre, dans l’un des meilleurs centres mondiaux, et pour l’évaluation, reflet de mes penchants autoritaires d’alors, s’est d’ailleurs éteinte, un beau matin, car elle avait perdu de son intérêt à mes yeux. Que voulez-vous mesurer exactement ? Un taux de retour à l’emploi ? D’abandon du recours à l’alcool ou à la pornographie ? La rentabilité du sujet pour la société ? Et bien faites, ça ne regarde que vous, mais ne marchez pas sur mes plates bandes.
 Le livre d’Onfray-mieux-de-se-taire est nul, c’est évident, c’est écrit dans la stratégie de lancement du "produit". Il ne me touche pas dans mon narcissisme de partie prenante de l’aventure freudienne, il me touche dans ma sensibilité d’humain. Le premier débat d’Onfray-mieux-de-se-taire, avec Jacques Alain Miller, était plutôt intéressant, et annonçait un livre "valable", le débat tournant souvent en faveur d’Onfray-mieux-de-se-taire. Mais la prestation chez FOG... Quelle dégueulasserie ! Je n’ai pas pu regarder plus de 2min30, j’étais pris aux tripes, j’étais franchement mal, comme souvent, à vrai dire, avec la télé.  
Nietzsche, on souille encore ton nom pour la gloriole et la moraline ! 
D’après ce que j’ai vu, la thèse d’Onfray-mieux-de-se-taire n’est pas nietzschéenne pour un sou, certainement pas par-delà bien et mal en tout cas. Les éditions Grasset sont à blâmer : le seul fait que l’auteur prétende que Freud ait fait avorter une femme de 58 ans devrait interdire sa publication tel quel, sans révision et sans correction. De puis quand publie t’on des brouillons ? Ne faut-il plus finir les livres ? Les comités de lecture ont-ils été définitivement remplacés par des cellules de (mauvais) marketing (car il y en a un "bon") ?
 Onfray-mieux-de-se-taire n’a pas compris en quoi consiste le déboulonnage des idoles selon Nietzsche : il confond idoles et médiations symboliques. La mise en perspective nietzschéenne n’appelle pas une destruction pure et simple de la croyance, ou de la "légende" comme le dit Onfray-mieux-de-se-taire. Car il n’y a pas, selon Nietzsche, de dichotomie radicale entre l’histoire et la légende. La légende est une médiation symbolique dépassant les sujets et permettant à l’esprit humain d’aborder la crudité violente des faits et de la vie. Ce n’est pas équivalent à l’aliénation. Nietzsche parle ainsi, dans Le gai savoir, de la superficialité par profondeur des Grecs antiques, qu’il admire intensément. Mais puisque tout doit être simple et compréhensible par tous, pour la télé et pour le marché, alors... 
J’attends pourtant toujours beaucoup des critiques de la psychanalyse, en son sein d’abord, mais aussi de la part de vrais penseurs, comme Foucault, Deleuze ou Girard, ou de vrais scientifiques, épris d’épistémologie et de philosophie, comme certains neuroscientifiques travaillant sur l’hypothèse d’un inconscient neuronal ou cognitif. Avec une authentique frénésie, et une franche curiosité.
Mais là, je ne suis pas du tout intéressé. Aucune thèse ne semble nouvelle, quand bien même monsieur FOG, Le Point et Jean-François Khan y verraient une révolution et une entreprise de salubrité publique (sic !). Encore hier, j’ai lu qu’Onfray-mieux-de-se-taire avait réhabilité Nietzsche !!! Et Bataille, au sortir de la seconde guerre mondiale, dans sa revue Acéphale, qu’a-t-il fait ? Et Deleuze avec son "Nietzsche" ? Certainement pas du marketing littéraire, les journalistes ont décidément une mémoire de plus en plus courte. 
Sur ce, je vais me déconnecter au plus vite, car j’ai la nausée. Et ne venez pas toucher à mon analyse, où je risque fort de vous démontrer, pour votre plus grand plaisir, qu’elle n’a pas marché, et que je suis encore capable de beaucoup d’agressivité
 

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