Paolo Siani : un disque de prog engagé signé par un papy du rock qui fait de la résistance
par Bernard Dugué
samedi 15 octobre 2011
Le rock progressif est né au début des seventies. Il est tombé en désuétude la décennie suivante, malgré quelques résistances et de nouvelles formations oeuvrant dans le néo-prog comme IQ, Pendragon et Marillion dont le destin fut calamiteux. Ce n’est qu’au milieu des nineties qu’on peut parler d’un renouveau du prog. Quinze ans et le genre a fait plus que résister. Les anciens se sont évaporés mais pas tous. Quelques-uns continuent à jouer. C’est le cas de Stephano Lupo qui chante dans Il tempio delle Clessidre, mais aussi Paolo Siani, un vieux routard du prog seventies, batteur et chanteur du groupe Nuova Idea, qui vient de reprendre du service avec un album finement réalisé grâce au concours de quelques anciens mais aussi d’une cohorte de jeunes musiciens venus célébrer l’héritage et le transmettre.
Siani sévissait comme batteur dans les années 1970 au sein de Nuova Idea, l’une des très nombreuses formations de rock progressif, jouant dans un registre heavy prog largement teinté de clavier, rejoignant ainsi leurs compatriotes Osanna ou New Trolls. Après trois albums, Nuova Idea a pratiquement disparu des radars du prog et c’est fin 2010 que l’on peut entendre à nouveau ces musiciens. Enfin, pas tous. Trois membres de la line-up originale figurent dans ce CD composé par Siani qui a pu réunir le guitariste et l’organiste de son ancien groupe, tout en associant une bonne dizaine d’amis musiciens férus de musique progressive. Ce CD, intitulé Castles, wings, stories & dreams, est paru sous la signature de Siani avec comme précision la présence d’amis et de Nuova Idea, si bien que cette œuvre se présente à la fois comme émanant de Siani et comme un retour de son groupe sur la scène prog. Au final, le résultat est plutôt réussi. Ne serait-ce que pour commencer le package cartonné rappelant les anciens vinyles du prog et leurs illustrations très arty ; rien de commun avec ces pochettes fades représentant un yéyé ricanant bêtement qu’on trouvait dans les années 1960. Saluons les efforts du label Black Widows qui nous permet d’accéder à cette musique car un CD, même si ça se regarde comme on observe un plat dans un restaurant avant de le déguster, ça se savoure, ça s’écoute.
La musique de Siani est ses amis s’est sensiblement éloigné du heavy. On a affaire plutôt à un disque très finement joué, avec des instruments très détaillés, flûte, saxes, synthés… une énergie affirmée et des compositions raffinés, tantôt symphoniques, tantôt débordant sur un style plus free genre Crimson seconde période ou alors un peu fusion, avec des cuivres généreusement utilisés comme à belle époque du premier Crimson. Le disque est dédié à l’hôpital des enfants de Genèse. Ayant pu me faire traduire les paroles (merci Isabelle), les textes sont résolument engagés à gauche, ce qui donne une fraîcheur nostalgique à cette œuvre dont le message évoque les contestations contre le système qu’on trouvait fréquemment à la vieille époque. Une récitation d’un texte de Gandhi au début du CD nous met dans l’ambiance de cette musique qui, très raffinée, n’en oublie pas pour autant le cours terrible du monde, avec ses injustices, ses tragédies et notamment cette Afrique malmenée par le mercantilisme et les oligarchies locales qui affame ses enfants (à entendre dans le morceau Madre Africa). Dans Cluster bombs, Siani dénonce, accompagné par un beat lancinant légèrement bluesy évoquant le schizoïd man du roi Crimson, le carnage planétaire des bombes à fragmentation lancées sur les peuples tout en permettant à l’argent sale de circuler. Il se demande alors quel genre d’esprit mercantile peut permettre ce type d’atrocité sans cilier, tout en comptant ses liasses de billets.
Auparavant, on aura pu écouter le contraste avec The game, longue suite de 10 minutes proposant une musique complexe, avec une composition très travaillée et d’étincelantes parties de sax et d’un orgue dont le son est aisément identifiable puisqu’il s’agit du légendaire Hammond, si répandu dans les années 1960 - début 70 et dont les vieux exemplaires ont été restaurés pour servir d’instrument d’époque mis à la disposition des formations de prog. Cette longue suite musicale, chantée en italien, se veut une note d’espérance, poétique. Un hymne à la musique qui donne un souffle à l’existence et permet à l’âme de s’envoler et de planer au-dessus des calamités d’un monde si moche. La musique permet d’atteindre le ciel, les étoiles. Alors si vous avez une âme de résistant et que votre compte en banque n’est pas à découvert, laissez-vous tenter par cette petite perle du prog et procurez vous ce disque de Siani et ses potes, le ciel vous accordera alors la médaille de la résistance. Bon week end !